Ellen Giacone

Cette rubrique reflète la diversité de pensée des normaliens. L’a-Ulm ne cautionne en aucun cas les opinions émises par les interviewés.

Ellen Giacone est une normalienne (2002 S) au parcours peu conventionnel, aujourd'hui chanteuse lyrique après des études de biologie et un passage dans le monde de l'entreprise chez AREVA. Née dans une famille multiculturelle de professeurs mélomanes, elle a mené en parallèle un cursus académique et musical. Elle nous explique aujourd'hui comment l'Ecole lui a permis d'explorer ces différentes voies : recherche, entreprise et chant...

Le site d'Ellen : http://www.ellengiacone.com/




Interview du 8 juillet 2013:

Entre les langues

Martha Ganeva : Bonjour, Ellen Giacone. Je vous remercie d’avoir accepté d’évoquer votre parcours de jeune archicube, parcours déjà très riche dans plusieurs domaines. Vous avez grandi dans une famille pluriculturelle, où l’on parlait (au moins) trois langues…

Ellen Giacone : Oui, mon père est Italien, ma mère est Néerlandaise et j’ai passé mes premières années en Italie. A la maison on parlait surtout italien, un peu néerlandais avec ma mère, et mes parents utilisaient l’anglais entre eux parce qu’ils s’étaient rencontrés aux Etats-Unis… Lorsque nous sommes arrivés en France, j’avais huit ans et je ne parlais pas un mot de français : mais j’ai eu la chance de l’apprendre très vite, en l’espace de quelques semaines, car j’ai tout de suite été mise dans une école française publique.       

M. G. : Et quelle est la langue que vous sentez être la vôtre ?

Ellen Giacone : Maintenant c’est le français. C’est la langue dans laquelle j’ai fait toutes mes études, celle avec laquelle je suis le plus à l’aise, ma langue maternelle d’adoption en quelque sorte...

M. G. : Mais vous chantez en italien.

Ellen Giacone : Oui, et j’avoue que c’est un énorme avantage pour la musique, d’autant qu’il me tenait à cœur d’avoir un métier dans lequel je puisse mettre à profit mon amour pour les langues.

M. G. : Et est-ce que vous vous posez la question de l’identité ?

Ellen Giacone : Oui, je me la pose, notamment parce que je n’ai toujours pas la nationalité française. Je suis de nationalité italienne. Lorsque j’ai eu dix-huit ans, je me suis renseignée sur la question de la naturalisation et je ferai sûrement la démarche un jour. Au fond de moi, je ne me suis jamais sentie cent pour cent Française, même si je suis un pur produit de l’éducation de la République française.

M. G. : Et est-ce que vous vous sentez Européenne ?

Ellen Giacone : Oui, pendant un temps je m’en sortais avec cette réponse (rires). Et par la suite, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui ressentaient aussi ce sentiment d’appartenance à l’Europe.

M. G. : Ce sentiment ne vient-il pas surtout du fait que l’on a fait sien le patrimoine européen ? En ce qui me concerne, c’est ainsi que je le ressens. Et en particulier dans le domaine artistique. Les artistes et les savants ont toujours voyagé, une histoire de l’art étroitement nationale n’a pas beaucoup de sens, les courants de pensée, les techniques et les inventions ne se sont jamais arrêtés aux frontières nationales (celles-ci sont d’ailleurs un concept bien plus récent). Vous avez eu également cette chance de vivre dans plusieurs villes européennes. Pourriez-vous nous faire part de ces expériences ?

Ellen Giacone : En Italie nous avons vécu dans une toute petite ville près de Turin, Torre Pellice. Ma famille s’est ensuite installée à Paris. Pendant ma scolarité à l’ENS, j’ai passé six mois à La Haye – j’avais envie de connaître les Pays Bas, où j’ai passé beaucoup de vacances en famille, mais où je n’avais jamais vraiment habité. Je suis également partie aux Etats-Unis pour un stage de deux mois à Kansas City, au fin fond du Missouri. Enfin, l’année dernière je me suis installée à Londres pendant un an. Et pour revenir à l’aspect européen, j’ai remarqué que, allant d’un pays à l’autre, même si je me sentais bien partout, il y a à chaque fois des barrières à franchir, la première étant celle des démarches administratives, souvent assez lourdes, même au sein de l’Union européenne. Ensuite, les mentalités différentes que l’on doit apprendre à décrypter : par exemple, en Angleterre, l’humour prend une part importante dans toutes les discussions, mais malgré cet humour une certaine distance demeure. L’esprit « insulaire » est très ancré chez les Anglais. Ils parlent de « nous, l’Ile » par opposition au Continent, c’est-à-dire, le reste de l’Europe. Cela est très étonnant lorsqu’on a grandi avec un fort sentiment européen : pour moi, l’Angleterre a toujours fait partie intégrante de l’Europe, alors que, dans les discussions que j’ai pu avoir avec des Anglais, l’Europe n’était qu’un concept assez lointain. Le Commonwealth a beaucoup plus d’importance pour eux que l’Union européenne…

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