Jean-François Di Meglio

Cette rubrique reflète la diversité de pensée des normaliens. L’a-Ulm ne cautionne en aucun cas les opinions émises par les interviewés.

Jean-François Di MEGLIO (1976 l) est le Président d'Asia Centre.


Propos recueillis par Jean-Paul Hermann




J.-P. H.
: Votre site www.centreasia.eu décrit bien vos activités multiples.

J.-F. Di Meglio: Ce centre de recherches indépendant couvre l’ensemble de l’Asie, grâce à des experts en majorité académiques mais aussi issus de l’entreprise. Les publications sont nombreuses.

J.-P. H.: De quand date votre passion pour la Chine ?

J.-F. Di Meglio: Plus que d’une passion, je parlerais d’ « intérêt passionné ». Je répète très souvent aux jeunes qui viennent me voir que je leur souhaite la même chance que celle qui m’a mis sur la route d’un «prononceur d’oracle », un professeur d’université qui m’a dit à la fin des années 70 : « Il faut que vous fassiez du chinois », sans savoir rien de moi. Ces chances arrivent. Depuis, ma vie a été intimement liée à l’histoire récente de la Chine et mes séjours là-bas (comme étudiant en 1979-1981, à Taiwan pour l’ex-Paribas de 1993 à  1997, puis à Pékin et Shanghai de 2005 à 2008) ont rythmé les moments forts de ma vie professionnelle, dont finalement cinq ans seulement, en plus de trente ans, n’auront pas été passés en relation avec l’Asie en général et la Chine en particulier.

J.-P. H.: Vous êtes agrégé de lettres classiques. Ça surprend. Quelle est votre trajectoire?

J.-F. Di Meglio: Jean Bousquet, le Directeur de l’Ecole quand j’y étais nous disait : « Il faut que vous deveniez des « pro » ». Je pense qu’il opposait surtout cela non à un manque de professionnalisme des normaliens académiques qui étaient majoritaires, à juste titre, mais à la nécessité de « professionnalisation » de ceux qui « se cherchaient ». Après que j’ai fini par obtenir mon agrégation et traversé une période enchantée d’enseignement (y compris dans le secondaire), l’intérêt naissant pour la Chine au milieu des années 80 a conduit des établissements bancaires à m’approcher, et l’un d’eux m’a  finalement tout appris de la finance, de façon efficace et bienveillante. J’ignore si ces conditions sont encore possibles. Ce qui a aussi changé malheureusement (mais rien n’est irréversible), c’est la possibilité qui était donnée d’apprendre divers métiers de la finance tout en plaçant les impétrants en responsabilité. Les métiers de la banque correspondent aussi à la curiosité normalienne, car on y est exposé à toutes sortes de secteurs et de problématiques, de la gestion d’un centre de profits aux questions de l’énergie, ou au financement d’une acquisition, ou au développement (incluant les questions de ressources humaines) dans un territoire à défricher.  J’en ai tant profité que j’ai pu récemment devenir entrepreneur, autant à travers notre Centre de recherche, que j’ai fondé en 2005 avec un autre célèbre archicube, le Professeur Godement, alors que j’étais encore à la Banque et auquel je consacre désormais beaucoup de temps en tant que Président (d’association), qu'en développant (depuis trois ans) des activités privées de conseil pour de grands groupes (surtout européens) confrontés à des situations d’acquisition, d’acclimatation ou de transformation dans leurs activités asiatiques.

J.-P. H.: Quand vous recevez un CV, que regardez-vous en priorité ? Quelles questions posez-vous à un jeune lors d’un entretien d ‘embauche?

J.-F. Di Meglio: La curiosité, la capacité d’apprendre, qui se manifeste au travers des CV, sont un critère essentiel pour recruter des normaliens (des littéraires en particulier), car souvent ils pensent ne savoir qu’écrire, rédiger, ou développer des capacités de communicant, alors que leur adaptabilité peut être le secret de leur réussite.  Lorsqu’il s’agit d’un normalien, je cherche surtout à savoir s’il est capable d’accepter le regard des autres en particulier sur la valeur ajoutée concrète que son travail apportera. La créativité normalienne est essentielle, mais elle ne s’épanouit dans les meilleures conditions que si les règles du jeu de l’entreprise, parfois un peu réductrices, mais malgré tout formatrices, sont acceptées. Quand il s’agit d’un « non-normalien », c’est au contraire le « pas de côté » que je recherche, l’ouverture d’esprit et l’anticonformisme.

De nos jours, ce que je conseille, c’est d’aller regarder, non plus du côté des pays « émergents » (ceux qui devaient émerger ont déjà attiré des talents innombrables, et il est plus difficile d’y entamer une aventure), mais du côté de « la prochaine vague », ces pays, d’Afrique, par exemple, qui sont aujourd’hui, comme la Chine que j’ai découverte il y a trente ans, difficiles à connaître, mais prometteurs et gratifiants pour les « courageux ».

J.-P. H.: Vous arrive-t-il, réciproquement, de faire des études sur l’Europe pour des Chinois?

J.-F. Di Meglio: Ne nous cachons pas que, s’agissant d’interlocuteurs asiatiques, l’échange est plus difficile à établir dans ce sens-là : la valeur du « conseil » n’est pas estimée de la même façon ici et là. Les flux d’investissement sont néanmoins là pour croître, et, sans parler d’études, j’ai pu conseiller des acteurs asiatiques travaillant sur des cas très spécifiques en Europe. Concernant le domaine de la recherche, en revanche, notre Centre a des coopérations sur une base paritaire avec des homologues indiens, singapouriens, japonais, coréens et même chinois (y compris avec des centres très proches des cercles de décision) : c’est ainsi que la connaissance mutuelle et les habitudes de travail se construisent, de façon à déboucher sur une relation réellement productive.