Jean Leclant

Cette rubrique reflète la diversité de pensée des normaliens. L’a-Ulm ne cautionne en aucun cas les opinions émises par les interviewés.

L'interview de Jean Leclant (1920-2011) reproduite ici a été réaliée par Guy Lecuyot en 2000 et publiée dans le Bulletin de la Société des amis de l'Ecole normale supérieure (novembre 2000). Nous remercions l'auteur de nous avoir aimablement permis cette publication.


Guy Lecuyot :
Normalien (1940 l), agrégé, ancien pensionnaire de l'IFAO, vous avez été au cours de votre carrière professeur à l'EPHE, à la Sorbonne et au Collège de France. Depuis de nombreuses années vous occupez le siège de secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Pouvez-vous nous dire comment vous qualifierez ce parcours?

Jean Leclant : Les diverses étapes de mon parcours se sont succédé tout naturellement; certaines sont dues au hasard, à ce qu'on peut appeler la chance; d'autres m'ont coûté de gros efforts, de la passion; j'ai abordé la vie avec un certain optimisme et j'ai toujours essayé d'agir au mieux. Ayant une vocation dès mon jeune âge, les circonstances m'ont permis d'acquérir la formation adéquate. C'est ainsi que j'ai réussi ce qu'un homme peut espérer de mieux dans l'existence : faire coïncider sa profession et sa passion.

Guy Lecuyot : Depuis vos premiers pas dans le monde savant, trouvez-vous que le milieu de la recherche a beaucoup changé?

Jean Leclant : Il est évident que le milieu de la recherche a beaucoup changé. Quand jeune, j'ai accédé au monde du savoir, celui-ci se conformait à un certain nombre de règles; il y avait des exigences bien spécifiées, des cusus à suivre. Je comprends fort bien l'effarement, le désarroi des jeunes à l'heure actuelle devant cette masse d'étudiants parmi lesquels il leur faudra se frayer un chemin incertain, devant un avenir qui risque de leur paraître bouché, tout au moins fort aléatoire.

En ce qui concerne l'érudition, le nombre de curiosités a considérablement augmenté. En un sens, il y a moins de généralité et davantage de spécialisation; cependant l'ouverture des esprits est certainement plus grande. Les voies qui s'offrent sont multiples, extrêmement diversifiées. Pour le choix des options, celles-ci doivent correspondre au tempérament de chacun. De toute façon, me semble-t-il, on ne saurait forcer les chercheurs à être des spécialistes étroitement confinés dans un domaine.

Guy Lecuyot : Qu'en est-il de l'égyptologie?

Jean Leclant : En égyptologie, les spécialités sont devenues de plus en plus pointues certes, mais est-ce que l'engagement dans cette science doit se concevoir comme le don total à une spécialisation - ce que certains considèrent comme essentiel? Il y a un vieux principe de philosophie scolastique : ce que l'on gagne en estension, on le perd en compréhension et ce que l'on gagne en compréhension, on le perd en extension : c'est-à-dire que plus vous vous bornerez à descendre en profondeur, plus vous risquerez de vous en tenir à une vision restreinte non seulement du monde, mais aussi de votre thème de recherche.

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