ROLLEY Claude - 1953 l

ROLLEY (Claude), né à Saint-Lô (Manche) le 11 novembre 1933, décédé à Paris le 10 février 2007. – Promotion de 1953 l.


Né de parents tous deux enseignants, Claude Rolley fait à Avallon ses études secondaires, de la cinquième à la première (1944-1949), et les achève au lycée Louis- le-Grand, où il prépare ensuite le concours de l’ENS, à laquelle il est admis en 1953 . Agrégé de lettres classiques en 1956, il s’oriente vers l’archéologie grecque en suivant les cours de préparation au concours d’entrée à l’École française d’Athènes (EFA) . Après un an d’enseignement à Auxerre et trois ans de service militaire dont six mois en Algérie, il séjourne quatre ans en Grèce (1961-1965), où il est actif sur deux sites dévolus à l’EFA : à Thasos, il fouille avec succès un petit sanctuaire hors les murs, le Thesmophorion, où il découvre une masse de terres cuites votives, dont il cèdera plus tard la publication à un jeune collègue ; à Delphes, il reprend l’étude des objets en bronze trouvés lors de la « grande fouille » du sanctuaire d’Apollon, à la fin du xixe siècle – travail de longue haleine, resté inachevé, bien qu’il ait donné lieu à deux tomes des Fouilles de Delphes, le premier sur les statuettes (1969), le second sur les chaudrons votifs à trépied (1977), qui établissent sa réputation internationale .

Nommé maître-assistant de langue et littérature grecques à l’université de Dijon en 1965, il y succède à Roland Martin (1934 l) à la chaire d’archéologie grecque en 1970, après avoir soutenu, sous la direction de P . Demargne, une thèse d’État sous la forme alors inusitée d’un dossier centré sur l’étude des bronzes grecs . Il restera à Dijon jusqu’à sa retraite, dédaignant postes et honneurs parisiens au profit d’un atta- chement régional d’une exceptionnelle intensité : membre de la Société des sciences de l’Yonne depuis 1957, il est directeur des Antiquités historiques de Bourgogne de 1970 à 1974, année où il est cofondateur de l’Association archéologique de l’Avallon- nais, qu’il présidera jusqu’à sa mort . Membre de l’Académie du Morvan, qu’il préside de 1992 à 1998 et dans le bulletin de laquelle il fait paraître deux fascicules impor- tants : Le Morvan romain (2001) et Le Morvan gaulois (2004), il est aussi membre de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon depuis 1983 et surtout directeur, de 1979 à 1993, de la Revue archéologique de l’Est, au comité de rédaction de laquelle il siège jusqu’à sa mort . Il aura donc, pendant un quart de siècle, participé d’une manière décisive au développement de l’archéologie protohistorique et gallo- romaine dans la région où il avait ses racines .

À partir de 1970, Claude Rolley prend l’habitude de passer les trois mois d’été en Grèce, où il se rend en voiture, ce qui lui permet d’acquérir une connaissance remar- quable des gens, des sites et des musées . Au retour, il ne manque jamais de s’arrêter à Tarente, où se tient le congrès annuel concernant la Grande Grèce : il y prend la parole en 1980, 1987, 1989 et 1990, et ne cessera pas de fustiger le cloisonnement néfaste qui isole l’archéologie de l’Occident grec, alors en plein essor, de celle de l’aire égéenne . L’estime et l’attachement de ses collègues italiens lui valent de pouvoir étudier et publier en 1982 Les Vases de bronze de l’archaïsme récent en Grande Grèce.

La compétence ainsi acquise dans trois domaines habituellement distincts de l’archéologie : le monde égéen, l’Occident grec et la Gaule préromaine, confère à Claude Rolley une prééminence qui se manifeste à partir des années 1980 de diffé- rentes manières . Un premier livre de synthèse, Les Bronzes grecs (1983), la révèle ; la chronique critique des parutions récentes (environ deux cents ouvrages, la moitié en allemand) qu’il tient dans la Revue archéologique pendant vingt-quatre ans la confirme d’une manière éclatante, comme sa participation aux Congrès internationaux concer- nant les diverses catégories d’objets en bronze . Après sa retraite de l’Université, prise dès que possible, cette souveraineté s’élargit à l’ensemble de la sculpture grecque, avec ses deux grands volumes sur la Sculpture archaïque (1994) et sur la Sculpture classique (1999), qui resteront longtemps la voie d’accès la plus sûre à cet aspect privilégié de l’art grec . Enfin, la publication de La Tombe princière de Vix, en 2003, apparaît comme le couronnement de la carrière scientifique de Claude Rolley, puisqu’elle met magistra- lement en œuvre la triple compétence qu’il avait développée depuis son premier article, en 1958, qui concernait déjà le « cratère de Vix », conservé au musée de Châtillon-sur- Seine – vase en bronze de grandes dimensions, chef-d’œuvre de la toreutique grecque, trouvé en 1953 dans la tombe d’une « princesse » celte de Bourgogne . Ce n’est pas le moindre mérite de Claude Rolley que d’avoir réussi à faire aboutir en si peu de temps une publication à laquelle auront participé trente-sept spécialistes français et allemands appartenant à diverses institutions d’enseignement et de recherche .

Il commençait à rassembler les matériaux du troisième volume de son manuel de sculpture grecque, sur la période hellénistique, quand il apprit qu’il était atteint d’un mal incurable qui ne lui laissait que quelques mois à vivre, ce qu’il annonça sans émotion à ses amis . Il eut encore la force d’aller voir l’exposition L’Or des Thraces, au musée Jacquemart-André, avant de s’éteindre le 10 février 2007 . Sa bibliothèque et ses papiers scientifiques, ainsi que de très nombreuses photographies, les plus anciennes datant de son premier voyage en Grèce en 1954, ont été donnés par sa famille à la bibliothèque de l’École normale supérieure .

Les hommages qui lui ont été rendus1-7 de divers côtés éclairent chacun un ou deux aspects d’une personnalité scientifique difficile à circonscrire . Son goût de l’objet, du détail concret, aiguisé par un appétit de connaissances qui tendait à l’exhaustivité, était servi par une mémoire exceptionnelle . L’énorme masse d’informations acquise ainsi au cours de ses voyages, plus encore peut-être que de ses lectures, il avait de plus le don de la maîtriser et de l’ordonner clairement . De là l’amplitude remar- quable de son œuvre, qui conjugue, avec un bonheur rarement donné aux savants, les analyses les plus fines et les synthèses les plus vastes . Claude Rolley aura ainsi prouvé qu’on peut être un très grand archéologue sans être un fouilleur : son lieu de recherches favori, c’était les réserves, plus encore que les salles de musée . Bien qu’il ait été d’abord spécialiste de sculpture, son approche n’était pas celle d’un historien d’art traditionnel, surtout préoccupé de style . Peut-être parce que les bronzes, hormis les statues et figurines, sont souvent des ustensiles avant d’être des œuvres d’art, Claude Rolley a accordé une importance croissante aux analyses techniques permettant de déterminer les procédés de facture et, par là, les provenances, la circulation des bronzes entre les trois aires culturelles qu’il connaissait à fond ayant été un de ses problèmes de prédilection . À sa manière, différente de celle de Jean Marcadé (1939 l), Claude Rolley aura donc apporté une contribution majeure au renouvellement des études de sculpture grecque en France durant la seconde moitié du xxe siècle, caractérisé par une approche qu’on peut appeler matérialiste . Le contraste flagrant entre le manuel de sculpture de Charles Picard et celui de Claude Rolley, destiné à le remplacer chez le même éditeur, marque le passage d’une approche littéraire et esthé- tique à une approche archéologique ; d’une histoire de la sculpture grecque par les grands maîtres, fussent-ils seulement connus par des textes et quelques copies, à une histoire par les œuvres, fussent-elles anonymes ou mutilées . C’est le mérite éminent de Claude Rolley que d’avoir tourné définitivement cette page avec brio .

Il y fallait du cran ; Claude Rolley n’en manquait pas : sa vivacité naturelle pouvait aller jusqu’à la véhémence, lorsque la conviction l’animait . C’est ainsi que sa contri- bution à la publication des statues de Riace, dans un volume spécial du Bollettino d’arte (Due bronzi di Riace, 1984), s’appelle : « Delphes ? Non ! » et détruit en trois pages et demi ce qu’il considérait, à juste titre, comme des élucubrations farfelues . À l’oral, sa voix forte conférait à des apartés souvent mordants une publicité rava- geuse . Lors d’un dîner assez guindé, il était capable de dire à un condisciple qui rappelait complaisamment l’ancienneté de leurs rapports : « L’ennui, c’est que tu es devenu très vite un vieux con . . . » . Il se moquait de l’Institut, qui aurait bien voulu le recevoir : « Ça sent la perruque » et refusait catégoriquement de se prêter à l’usage galvaudé des « Mélanges » . Il ne portait jamais de cravate, mais, pour se donner l’air officiel lorsqu’il le fallait, arborait ironiquement un nœud papillon qui devint vite son emblème .

Sa conversation, tant qu’elle restait professionnelle, était redoutablement didac- tique : son savoir était accablant, mortifiant pour l’interlocuteur, à qui il prêtait non sans quelque malice des connaissances équivalentes aux siennes : « Tu as lu, bien sûr... , qui vient de paraître ; qu’en penses-tu ? » . Mais on pouvait facilement le faire changer de sujet ; il n’attendait que cela, à vrai dire, car il s’intéressait à toutes sortes de choses . Grand lecteur de bonne littérature, française et étrangère (R . Musil, par exemple), il était aussi amateur aventureux de cinéma : il me vanta avec insistance Le bal des vampires, voire Vedo nudo, un film comique italien qui n’a pas fait date, semble- t-il... Mais c’est surtout de musique que nous parlions : il était mélomane, excellent connaisseur de l’opéra et du Lied allemand . Là aussi, son goût de l’exhaustivité était impressionnant : il était capable de citer et de comparer les nombreux – une bonne dizaine – enregistrements du Voyage d’hiver de Schubert par D . Fischer-Dieskau .

Quant à sa vie personnelle, je ne saurais rien en dire, n’en ayant jamais rien su et je doute que quiconque, dans son milieu professionnel, soit en mesure d’en dire quelque chose – ce qui serait d’ailleurs le trahir . Somme toute, c’était quelqu’un d’ori- ginal et d’attachant, pour peu qu’on lui donnât l’occasion de dépasser le personnage qu’il s’était créé, peut-être pour se protéger .

Bernard HOLTZMANN (1963 l)

Notes

  1. Fr. Croissant, St. Verger, « Claude Rolley (1933-2007) », Revue archéologique 2007, p. 121-128.

  2. J. Renoux, « Disparition de Claude Rolley, professeur émérite de l’université de Bourgogne, ancien directeur de la RAE (1979-1993) », Revue archéologique de l’Est 56 (2007), p. 5-6 (avec portrait).

  3. V. Meirano, « Claude Rolley, un ricordo », Annuario della Scuola Archeologica di Atene 85 (2007), p. 299-300.

  4. St. Verger, « Introduction : La chronique sur les bronzes dans la Revue archéologiqueClaude Rolley et le cratère de Vix, Un voyageur polyglotte, Un regard original sur la Protohistoire » dans Bronzes grecs et romains, recherches récentes – Hommage à Claude Rolley, Institut national d’histoire de l’art (juillet 2012), actes du colloque en ligne.

  5. M.-Chr. Hellmann, « Claude Rolley et la Revue archéologique », ibidem 2012.

  6. A. Cavé, « Le fonds Claude Rolley à la bibliothèque d’archéologie de l’École normale supérieure », ibidem 2012.

  7. S. Perrot, « Claude Rolley et ses archives : l’universitaire et le photographe », ibidem 2012.