Etienne Guyon

Cette rubrique reflète la diversité de pensée des normaliens. L’a-Ulm ne cautionne en aucun cas les opinions émises par les interviewés.

Etienne Guyon (1955 s) est physicien. Il a dirigé l'Ecole normale supérieure de 1990 à 2000 et le Palais de la découverte de 1988 à 1990.


Interview du 10 janvier 2014

Etienne Guyon me reçoit à l’ESPCI, ou plus simplement PC, l’Ecole voisine de la rue d’Ulm, dans son bureau « tout petit », s’excuse-t-il. Pendant que j’installe l’appareil enregistreur, je remarque une photo affichée sur le mur, où il entoure de ses bras avec une infinie tendresse une toute jeune enfant. Je lui demande s’il s’agit de sa petite-fille. « Mon arrière-petite-fille », me corrige-t-il. Et la conversation s’engage très vite sur la famille et sur ce qui a été le drame de sa vie – perdre deux de ses enfants. Il parle avec amour des deux qui lui restent, de son fils, commandant de bord à Air France, qui a fait de la mécanique des fluides comme lui, et de sa fille cadette, infirmière.


Martha Ganeva
 : Vous avez travaillé en physique sur les phénomènes de chaos et de désordre. Je vous propose de faire cette interview dans l’ordre et de commencer par le commencement. Vous êtes parisien de naissance et avez intégré l’Ecole normale en 1955. Avez-vous hésité entre les sciences et les lettres ou bien saviez-vous dès le début que vous seriez physicien ?

Etienne Guyon : J’étais un bon élève, mais un bon élève moyen. J’ai passé mon bac avec mention « assez bien » la même année où j’ai passé mon « chamois d’or », et j’étais plus fier du Chamois que de mon bac, peut-être parce que j’ai réussi à faire beaucoup de ski alors que je finissais mes études secondaires dans un lycée d’altitude pour convalescents tuberculeux. Je m’étais trouvé antérieurement en préventorium l’année précédente avec un autre futur normalien, Pierre Petitmengin, et nous avons préparé le premier bac l’un à côté de l’autre. Pierre est resté un ami. Pour la suite, je n’avais pas spécialement envisagé de devenir un chercheur, mais plutôt un enseignant ; très jeune,  je m’étais même dit qu’il faudrait que je sois curé parce que j’aimais bien parler comme en chaire. Ce n’est qu’une fois entré à l’Ecole que j’ai eu l’idée que je pouvais faire de la recherche. J’avais été reçu également à Polytechnique, mais je ne voulais absolument pas faire une école militaire. Et j’ai eu un autre coup de chance : au retour du service militaire, j’ai rencontré Pierre-Gilles de Gennes (1951 s), qui voulait alors monter une équipe de recherche expérimentale. La rencontre avec ce jeune maître de conférences d’Orsay, où se mettait en place un exceptionnel laboratoire de Physique des solides, a été pour moi un éblouissement. Nous avons passé une première demi-journée ensemble pendant laquelle il m’a expliqué ce qu’il voulait faire, en remplissant un tableau, de façon parfaite, comme il a toujours su le faire. Alors je me suis dit que c’était lui l’homme de ma vie… Nous sommes restés amis jusqu’à sa mort et même si nous n’avons pas beaucoup publié ensemble, nous avons toujours été très proches en science et en amitié. Pendant que je dirigeais l’Ecole normale et que lui dirigeait l’Ecole de physique et de chimie toute proche, nous prenions des petits déjeuners ensemble pour monter des projets communs aux deux Ecoles.

Ce qui m’avait fasciné chez Pierre-Gilles, c’était l’éclairage qu’il savait apporter à un sujet. Comme un coup de baguette magique : il prenait le sujet et le rendait intéressant. Il avait une grande capacité de jugement et en même temps beaucoup d’intuition. Quand il se doutait de quelque chose qu’il n’avait pas encore démontré, il aimait bien parier. Cela semble être l’attitude la moins scientifique qui soit, mais elle rend compte de son sens de la physique. L’essentiel était de partir d’une question simple et d’apporter un éclairage aux choses auxquelles on ne pense pas. Je me souviens qu’un jour nous avions échangé sur le problème suivant: comprendre ce qui fait la hauteur d’une dune et ce qui fait qu’elle se déplace. Il fallait pour cela trouver la relation de taille entre la dune et un grain de sable qui la constitue, puis, comment en déduire la vitesse d’avancée des dunes. La question était au fond comment le désordre du mouvement turbulent du vent, combiné à celui de la géométrie d’un tas de sable, donne naissance à des dunes et des rides aux élégantes formes géométriques. A partir de ces questions simples s’est construit tout un programme de recherches qui se sont développées à l’Ecole normale et l’Ecole de physique et chimie, et qui vont des rides du fond du sable jusqu’aux dunes Martiennes, en passant par les « manips » de nos labos !

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