ADAM Richard - 1971 l

ADAM (Richard), né le 16 septembre 1951 à Reims (Marne), décédé le 19 décembre 2019 à Clamecy (Nièvre). – Promotion de 1971 l.


Mon ami s’est enfui rejoindre les étoiles... Richard le lettré, le passionné de culture,
Est parti vers le large à quelques encâblures . Sans un bruit, sans un mot, il a hissé les voiles . . . Richard savait tout de Cicéron à César

Sa science inondait l’amphi de la Sorbonne, Latin, grec, étrusque, du Parthénon à Rome, Il enseignait la vie du haut de son perchoir . Richard a désiré voguer vers l’au-delà, Écrivant ces mots-ci sur sa dernière page :

Comme Brel et Brassens je n’ai pas été sage,
Je n’ai pas de regret, ma vie valait cela.
J’ai fouillé tant de ruines et tant de sépultures,
Que je peux sans scrupules m’écarter de la route,
Et laisser aux vivants sans l’ombre d’aucun doute,
Un souvenir heureux de ma caricature...

Ami Richard, pour toi je ne fais pas de rime
Je dis ma peine sans souci de la prosodie
Au diable les enfers et les profonds abîmes
Que ton savoir comblait comme encyclopédie...

J’ai rencontré pour la première fois Richard Adam quand mon épouse et moi avons emménagé dans le château de Villaines, proche de Clamecy, petite cité nivernaise . Lors d’une marche à thème, que j’avais eu la charge d’organiser et de commenter, Richard s’était inscrit, probablement attiré par le titre : « Toponymie des parcelles de terres autour de Breugnon » . Je ne savais pas à quel point il était plus compétent et savant sur ce sujet que moi . Il fut respectueux de mon effort et ne fit aucune remarque quant à l’imprécision et aux quelques inexactitudes de mes propos : élégance de seigneur...

Peut-être savait-il, connaissant mon patronyme, que nous étions de la même maison, archicubes pour le restant de nos jours . Je m’explique : Richard, maître de conférences à la Sorbonne, avait eu pour élève ma fille Marie, qui m’avait confié en aparté que l’un de ses profs vivait dans la région, et que nous étions probable- ment voisins . En effet, la demeure de Richard se situait sur les contreforts d’une colline que je peux toujours apercevoir depuis ma terrasse . Quel curieux concours de circonstances ! Peut-être lui avait-elle confié que son père exerçait rue d’Ulm, ou plutôt rue Lhomond, sa profession de physicien .

À défaut d’avoir son monument, il aurait mérité d’en être un dans la commu- nauté de communes des Hauts Nivernais-Vaux d’Yonne dont il avait assumé un rôle de conseiller municipal dans son village d’Oisy . Il avait investi une grande part de son temps et de son cœur dans de nombreuses activités auxquelles il apportait son enthousiasme et son savoir .

Fervent d’archéologie, il a répertorié tous les tas de terre de la région et effectué des fouilles dans tous les recoins des environs de Clamecy . J’aimais le faire parler de son combat permanent à propos de la bataille d’Alésia qu’il situait plutôt dans le Jura . Qu’il s’agisse des sites de Salins-les-Bains ou de la Chaux-des-Crotenay, sa connaissance de César et de son De bello Gallico lui procurait les arguments de sa thèse .

On regrette souvent de n’avoir pas consacré assez de temps avec ses amis . J’aurais dû lui faire « cracher le morceau » à propos de ses preuves de la bataille, car il s’était rendu sur les lieux présumés par lui et d’autres . Il m’en parlait comme un général d’armée, en évoquant la topologie locale et affirmant que seul cet endroit « parfai- tement décrit par César » correspondait au déploiement des troupes belligérantes .

Le puits de la science de Richard était si profond que l’on s’attardait sur sa margelle .

Mais Richard était affublé d’une timidité qui le rendait parfois inabordable : au cours d’une relation de plus de quinze années, je n’ai jamais réussi à l’inviter « à la maison » pour un repas ou une simple soirée conviviale .

Ses aventures féminines, mariage et autres relations, l’avaient rendu misogyne et la détestation de ses « ex » se traduisait par des qualificatifs peu flatteurs : surcharge pondérale, femelle qui à défaut de cervelle avait une « dure mère » très dure, etc .

Là où il était assidu et à son aise, c’était dans sa loge Claude Tillier de Clamecy ou rue Cadet, comme il aimait à le résumer . La secte, comme il la nommait en toute sincérité, lui donnait un but dans une existence devenue solitaire . Il me confia un jour, lui le professeur qui ne souffrait pas du trac dans un amphi, éprouver cette contraction de l’estomac quand il s’agissait de « plancher » devant ses frères .

Par ailleurs, il s’épanouissait dans son rôle d’éditeur et affichait une certaine fierté à s’entourer d’un nombre croissant d’écrivains qui se faisaient éditer au « Panier d’orties1 » .

Combien de virgules mal placées ou de tirets inopportuns m’a-t-il soulignés en rouge... Il maîtrisait tant la typographie, les symboles et la mise en forme des textes, que j’hésite encore à prendre sa succession .

Lui-même écrivait de nombreux livres, des polars comme il disait, dans lesquels il aimait donner des coups de griffes à ceux dont il ne supportait pas la « c... » . Il avouait dans son livre Pamphlets et réflexions plonger souvent sa plume dans l’acide... Si le vitriol avait été buvable, il s’en serait abreuvé pour le vomir sur les « imbéciles qui peuplaient le monde de la politique »...

Nous avions le même goût pour le jazz et échangions nos vieux disques afin de les enregistrer sur des vecteurs plus modernes . Il connaissait toutes les époques de la carrière de Sydney Bechet et les subtilités liées à l’usage d’une clarinette ou d’un saxophone .

Nous évoquions souvent les sous-sols de « l’École », et les soirées dansantes qui s’y déroulaient, mais aussi la salle Dussane et l’aquarium . Son chien, nommé Bonhomme, sur lequel il avait reporté toute l’affection qu’il aurait dû offrir aux humains, avait hérité d’une assiette ornée de trois « Ernest » . Dans un de ses livres, il promettait de préciser ce nom désuet d’Ernest . Il n’a nulle part évoqué le fameux bassin aux Ernest, ni la 2CV Citroën transformée en sculpture posée sur ledit bassin lors de la visite d’un grand helléniste2... Quand l’animal mourut, il l’enterra, face à l’Orient éternel, avec son écuelle ENS et il alluma trois bougies vertes... Puis il étala sur les pages d’un livre, analyse oblige, son histoire d’amour avec son confident .

Il appréciait la peinture et les œuvres picturales . Chez lui, les murs n’affichaient plus un centimètre carré de libre et, bien qu’il aimât mes toiles aux maisons défor- mées, et qu’il manifestât le désir de m’en acheter, par amitié ou par soutien, celles qu’il aimait étaient toujours trop grandes pour son manque de place . Cela m’eût pourtant honoré de figurer entre Hosotte et Viala...

Perpétuellement à l’affût de tout ce qui offrait la possibilité de partager son savoir en matière de musique, il a initié puis animé, durant quelques années, la radio locale « Radio flotteurs 3 » . Il a fini par renoncer face à l’immobilisme et au manque d’am- bition culturelle de la station . Il m’a souhaité bon courage quand, au sein d’un petit groupe de mordus, j’ai tenté de consacrer un petit quart d’heure à une lecture de poésie tous les dimanches matins .

Il est coutume d’encenser ceux qui viennent de nous quitter, surtout quand il s’agit de célébrités . Je n’ai jamais entendu une plainte ou un soupir de la part de Richard . Tout juste de brefs éclats de colère quand il éprouvait une difficulté à effectuer un geste banal . Et pourtant il souffrait . . . une prothèse de hanche, mal opérée, avec des conséquences nosocomiales ayant nécessité une réouverture pour curetage, lui avaient imposé de marcher avec une canne . Un chirurgien distrait lui avait fait une jambe plus courte que l’autre . Imaginez les douleurs provoquées par cette dissymétrie ! Un autre chirurgien lui a proposé de corriger cette erreur . Nouvelle intervention, dans une clinique de Cosne-sur-Loire cette fois . Richard a perdu deux centimètres de hauteur . Décidément, les chirurgiens devraient suivre des cours de métrologie : le second a commis une erreur angulaire . Les pieds de Richard, en projection au sol, n’étaient plus parallèles . La marche, même avec une canne, était devenue encore plus douloureuse . Moi le physicien, cela me foutait en rogne... Pourquoi et comment accepter tant d’incompétence ?

Richard a vécu ses derniers jours en grabataire . Il ne s’est pas relevé de sa dernière opération . Je n’oublierai jamais son regard, la veille de sa mort . Ses paroles avaient perdu leur clarté et je ne comprenais plus ce qu’il me disait . Cela l’avait fâché, plus contre lui que contre moi . Tu ne comprends rien ! furent ses dernières paroles à mon endroit .

Richard n’aimait pas les honneurs . « La médaille ne fait pas le héros, elle le ridi- culise » : c’était là une de ses citations favorites . Il est parti dans une discrétion absolue...

Notes

  1. 1 .  La maison d’édition Le Panier d’orties, qu’il a cofondée en 2003, a plus de cent titres à son catalogue .

  2. 2 .  Certainement pour fêter la nomination de Jean Bousquet (1931 l) à la direction de l’École .

  3. 3 .  Allusion à Jean Rouvet, le plus fameux enfant de Clamecy avant Romain Rolland (1886 l), qui mit au point le flottage des bois du Morvan sur l’Yonne et la Seine, pour le chauffage de Paris, dès le xve siècle .

Jipé VIEREN (Paris VI- Institut de Physique de la matière condensée)

***

J .-P . Vieren parle de Richard Adam comme d’un puits de science, mais d’un puits à la margelle duquel on restait – et je ne crois pas que beaucoup des habitants de Clamecy et de sa région, là où il s’était établi et se sentait vraiment lui-même, avaient conscience que son activité scientifique ne se limitait pas à cette seule archéologie locale, qu’il menait avec passion . Et avec une compétence qui malheureusement n’est pas toujours le fait de ceux qui s’intéressent à cette forme d’archéologie . Et s’ils connaissent – espérons-le ! – les ouvrages qu’il a publiés dans ce domaine (avec des collègues passionnés comme lui, mais dont la table des matières et les parties qui J .-P . Vieren parle de Richard Adam comme d’un puits de science, mais d’un puits à la margelle duquel on restait – et je ne crois pas que beaucoup des habitants de Clamecy et de sa région, là où il s’était établi et se sentait vraiment lui-même, avaient conscience que son activité scientifique ne se limitait pas à cette seule archéologie locale, qu’il menait avec passion . Et avec une compétence qui malheureusement n’est pas toujours le fait de ceux qui s’intéressent à cette forme d’archéologie . Et s’ils connaissent – espérons-le ! – les ouvrages qu’il a publiés dans ce domaine (avec des collègues passionnés comme lui, mais dont la table des matières et les parties qui sont signées de lui montrent qu’il a toujours été la cheville ouvrière de ces travaux), comme Le Tumulus-nécropole de la Bonneterie à Vielmanay (Nièvre), paru à Dijon en 2002, ou sur César et les collines du Nivernais, qui est sorti en 2014 aux éditions du Panier d’orties qu’il animait à Oisy, il n’est pas sûr qu’ils aient eu connaissance du rôle important que Richard Adam a joué dans des entreprises de recherche au niveau national et même international . Or il suffit de consulter le site https://halley.ens.fr/ pour constater que son œuvre n’a rien de négligeable .

Ayant choisi de faire son mémoire de maîtrise, puis sa thèse de 3e cycle – puisqu’il était encore de la génération dite « de l’ancien système » – sous la direction d’Alain Hus (1947 l), qui enseignait à l’Institut de latin dans ce qui venait d’être appelé Paris IV après le bouleversement de l’ancienne Sorbonne, il était naturel qu’il s’oriente vers les deux directions de recherche qu’Alain Hus représentait dans l’éta- blissement, prolongement de ce que Jacques Heurgon (1923 l) avait mis en place : l’œuvre de Tite-Live et l’archéologie . Sa scolarité à l’ENS, où il était entré en 1971, avait coïncidé avec la création par Christian Peyre (1954 l) du laboratoire d’archéo- logie, qui permit à de nombreux littéraires de s’ouvrir à une approche concrète de l’Antiquité, à laquelle leur formation de khâgne ne les avait pas préparés . C’est à cette conjonction de rencontres que l’on doit son premier ouvrage, paru en 1988 aux Presses de l’ENS, Recherches sur les miroirs prénestins, qui reste de nos jours encore l’ouvrage de référence sur cette catégorie d’objets, typiques de la symbiose qui existait aux ive-iiie siècles avant notre ère entre les mondes étrusque et latin .

Sa carrière d’assistant, puis de maître de conférences de latin à Paris IV, où il fut nommé en 1979 après trois années en collège à Melun, lui permit de se faire connaître comme spécialiste de Tite-Live – et de faire notablement progresser le serpent de mer qu’est devenue au fil du temps l’édition des 35 livres de l’Histoire romaine dans la « Collection des Universités de France » . Édition lancée tambour battant par Jean Bayet (1912 l) avec le livre I sorti en Budé en 1940, qui avait subi un ralentissement progressif, accentué par le décès de son initiateur en 1969 et qui, malgré les efforts déployés à son tour par Paul Jal, disparu en 2012, n’était toujours pas parvenue à son terme, puisque cinq livres manquent encore aujourd’hui, plus de soixante-dix ans après le lancement de l’opération . À la différence de collègues lati- nistes, ayant occupé le cas échéant des postes beaucoup plus prestigieux que le sien, dont on attend toujours la copie, Richard Adam réalisa consciencieusement l’édition des deux livres qui lui furent confiés, le livre XXXVIII paru en 1982, puis le livre XXXV paru en 2002 . Sa connaissance des périodes hautes de l’histoire de Rome lui donna également l’occasion de rédiger, en 1996, une très pratique introduction à la vie politique de cette période (Institutions et citoyenneté de la Rome républicaine), et ce fut tout naturellement à lui que Paul Jal fit appel en 1995 lorsqu’il fallut remettre à jour la bibliographie du livre I de Jean Bayet, alors que les cinquante-cinq ans qui s’étaient écoulés depuis la publication initiale avaient modifié de fond en comble ce qu’on pouvait penser en 1940 de la Rome du temps des rois . Si ces travaux valurent à juste titre à son auteur l’obtention d’une habilitation à diriger des recherches, ils ne modifièrent pas sa situation professionnelle, ni n’altérèrent sa profonde discrétion – et il est typique que Richard Adam se tint à l’écart des manifestations, souvent plus pompeuses que réellement scientifiques, qui marquèrent le bimillénaire de la mort de Tite-Live en 2017 .

La même modestie caractérisait l’étruscologue qu’il était aussi . Pourtant, lorsque le besoin se fit sentir de structurer les études qui se faisaient en France dans ce secteur, en profitant de l’occasion fournie par l’organisation à Florence en 1985 d’un « second congrès international des études étrusques et italiques » (succédant au premier, tenu... en 1928) pour créer une Sezione francese de l’Istituto Nazionale di Studi Etruschi ed Italici – dont le siège se trouve, comme il est normal dans ce domaine de la recherche, en Italie, mais qui, par ses sections dites « étrangères », joue un rôle de coordination du travail au niveau international –, il fut aussitôt un des membres les plus actifs de cette section française qui devint en 1992 une compo- sante de l’UMR « Archéologies d’Orient et d’Occident » mise sur pied par Christian Peyre dans le cadre du laboratoire d’archéologie de l’ENS . En particulier, conscient de ce qu’une des tâches principales qui incombaient aux chercheurs français était d’étudier, et aussi simplement de répertorier le matériel étrusque trouvé dans notre pays – travail qui n’avait encore jamais été mené d’une manière systématique –, Richard Adam lança, sur une base de fascicules régionaux, une série Répertoire des importations étrusques et italiques en Gaule, dont 4 volumes parurent entre 1987 et 1992 . Certains, se posant en éminents spécialistes de la question, se gaussèrent de l’entreprise, voire essayèrent de s’y opposer – et il faut avouer que la forme maté- rielle de ces volumes, des fascicules in quarto simplement brochés, n’était pas très flatteuse . Mais il n’empêche que, par sa double compétence à la fois en archéologie étrusque et en archéologie nationale, par son acharnement à fouiner dans le moindre petit musée (nous lui devons d’avoir réussi à publier une urne étrusque avec inscrip- tion qu’il avait retrouvée dans les réserves du musée de Clamecy, où, souvenir d’un voyage en Italie, elle avait échoué au xixe siècle sans que personne s’avisât jamais de sa présence dans cette ville de moins de 4 000 habitants), Richard Adam permit, pour la première fois, de se faire une idée complète de l’importance du flux d’objets que les Étrusques avaient pu envoyer, au-delà des Alpes, sur les voies du commerce de l’étain, plusieurs siècles avant l’établissement de l’empire de Rome . La grande expo- sition, financée par Fiat, qui se tint en 1992-1993, d’abord au Grand Palais à Paris puis à l’Altes Museum de Berlin, intitulée Les Étrusques et l’Europe, et qui illustra cette influence des Étrusques sur la Gaule et les autres pays du Nord de l’Europe, s’inscrit dans la ligne du travail mené depuis plusieurs années par Richard Adam .

Son rôle éminent dans cette problématique qui mettait en valeur la tâche à laquelle il s’était attelé transparaît, là encore très modestement, dans le chapitre qu’il rédigea pour le catalogue .

Il ne fut jamais homme à se mettre en avant . Aux grandes manifestations auxquelles d’autres se seraient complus, il préféra toujours le travail solide, et les relations personnelles fondées sur l’amitié et les goûts partagés . Il fut à juste titre apprécié de ses étudiants, qui n’avaient pas de mal à déceler sous des dehors bourrus la compétence et le sérieux de l’enseignant qu’il était . Parmi les titres de ses ouvrages qu’on lit sur https://halley.ens.fr/, on voit un Entraînement au thème latin (DEUG, licence, agrégation) qu’il publia chez Klincksieck en 1995 avec Bernadette Liou : dans un institut de Latin de Paris IV, où certains se gardaient bien d’avoir à corriger les paquets de thèmes de leurs étudiants pour se consacrer plutôt à leur seule recherche, Richard Adam a toujours tenu à accomplir pleinement sa tâche d’enseignant-cher- cheur, sur ses deux volets à la fois .

Dans le manuel évoqué plus haut était citée l’abréviation S T T L, sit tibi terra levis, si fréquente dans les épitaphes . C’est le vœu que l’on peut formuler maintenant qu’il nous a quittés .

Dominique BRIQUEL (1964 l)