ANTOINE Philippe - 1960 s

ANTOINE (Philippe), né le 23 avril 1940 à Montauban (Tarn-et-Garonne), décédé le 8 novembre 2017 à Roubaix (Nord). – Promotion de 1960 s.


Cacique de la promotion 1960, section Mathématiques, Philippe Antoine était un esprit assez éclectique, curieux et ouvert, très indépendant intellectuellement, et qui a mené de front une carrière d’entomologiste et de mathématicien . Thierry Deuve parle longuement de l’entomologiste, je parlerai ici du mathématicien . Mon témoignage sera malheureusement tronqué, car j’ai connu Philippe tardivement, à partir de 1992, à l’université de Lille, où nous avons d’abord été collègues, puis amis .

La carrière universitaire de Philippe Antoine en mathématiques a été précoce ; elle a commencé à Lille en 1964, où il a ensuite été nommé professeur en 1972, après la soutenance de sa thèse d’État (nous dirions aujourd’hui HDR), et où il est resté jusqu’à son départ en retraite .

Son directeur de thèse était le mathématicien Paul Dedecker, connu pour ses travaux en topologie algébrique . Il y a d’ailleurs un Cours de topologie algébrique coécrit par Antoine et Dedecker .

Cette thèse avait pour titre : Sur la structure de certains espaces fonctionnels . Le titre et le contenu reflètent assez bien les goûts mathématiques de Philippe Antoine ; il avait 20 ans au moment de l’explosion des « Maths modernes », et a gardé une sensi- bilité assez « grothendieckienne » et une préférence pour la plus grande généralité, comme en témoigneront les lignes qui suivent . Ajoutons que le rayonnement à Lille de Philippe a été incontestable et qu’il a dirigé de nombreuses thèses (une dizaine, de 1975 à 1996) ; plusieurs de ses étudiants ont obtenu un poste dans l’enseignement supérieur . Il a ensuite, comme chercheur, privilégié son intérêt pour l’entomologie .

Au début, mes relations avec Philippe étaient relativement formelles, et j’avais seulement entendu parler de lui en (très) bien par ses étudiants préparant l’agré- gation externe ; ils appréciaient la grande clarté et la grande élégance de ses cours . En partant en retraite, il m’a d’ailleurs laissé ses notes de cours, qui sont un document précieux .

Il a également été président du jury de Capes (où il a laissé de bons souvenirs, d’après les récits que j’ai eu l’occasion de recueillir) . J’ai aussi le témoignage d’un ancien étudiant devenu professeur à l’université de Lille, qui me parlait du plaisir qu’il prenait à écouter les cours de maîtrise de Philippe (toujours parfaits et d’une grande concision), et plus particulièrement ceux qui traitaient du théorème d’Eidelheit dont je n’avais jamais entendu parler ! Mais ce théorème d’interpolation figure mainte- nant en bonne place dans l’ouvrage bien connu Introduction to Functional Analysis de Meise et Vogt (1997), ce qui est tout à fait dans l’esprit de Philippe Antoine ; signalons de plus que ce travail contient, entre autres, un théorème de Borel, que tous les analystes connaissent bien ! L’extrême généralité peut mettre des choses en perspective et avoir du bon...

En 2000, en préparant un cours de maîtrise sur les séries de Fourier, Philippe Antoine a déniché dans le volumineux traité Trigonometric Series d’Antoni Zygmund, à la page 58 du tome I pour être précis, une notion de « convergence uniforme en un point » . Cette définition semble introduite par Zygmund – juste en passant – pour formuler une propriété de convergence des séries de Fourier . Mais elle a tapé dans l’œil de Philippe, qui a cherché à la mettre en perspective, justement ! Comme j’étais censé être quelque peu connaisseur de l’analyse de Fourier, il m’a contacté, et nos relations sont devenues plus intimes . Nous avons pas mal échangé, au début des années 2000, autour de cette notion . Je me revois lui disant qu’un théorème impor- tant d’analyse fonctionnelle pouvait mieux se comprendre dans le cadre qu’il avait développé et, les yeux pétillants de gourmandise intellectuelle, il m’avait répondu : « Alors là, tu m’intéresses ! Tu m’intéresses beaucoup ! »

Et de fait Philippe a revisité, avec succès, plusieurs résultats fondamentaux d’ana- lyse fonctionnelle, aux preuves parfois disparates, avant de dégager tout l’intérêt de cette notion de « convergence uniforme en un point » tapie dans Zygmund . Se remettant avec passion aux mathématiques, qui n’étaient plus, comme je l’ai déjà dit, sa préoccupation principale depuis quelques années, il a fini par écrire un ouvrage entier, dont la publication a pris beaucoup de retard, mais qui va paraître début 2022 (c’est son dernier travail mathématique) . Philippe s’est intéressé à la notion pour elle- même, d’un point de vue à la fois historique (elle semble due à du Bois-Reymond [1886], que Zygmund ne cite pas) et mathématique . Le principal intérêt du livre est que Philippe, lisant ce fameux Zygmund avec un œil d’aigle, a dégagé une notion qui unifie considérablement une bonne partie des grands résultats d’analyse fonc- tionnelle de la première moitié du xxe siècle, comme les théorèmes d’Ascoli, Baire, Bernstein, Dunford-Pettis, etc .

Je retrouve aussi des échanges de lettres des années 2000-2004, qu’il commence toujours par « Mon cher ami » et fait parfois suivre de formules comme « merci d’avoir lu mes élucubrations » ou « je vais donc mettre une pédale douce à mes débordements » ; il ne se prenait pas au sérieux !

Que dire enfin ? Sinon que je regrette de n’avoir pas connu Philippe plus tôt, que je garde un très bon souvenir de nos échanges, de sa gentillesse, de son enthousiasme intellectuel et de son élégance, et qu’aujourd’hui il me manque .

Hervé QUEFFÉLEC, université de Lille

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En addition de sa vie familiale, Philippe Antoine a eu deux grandes passions scientifiques, sans doute complémentaires, qu’il a assidûment développées et qui l’ont conduit à publier dans des revues spécialisées et à se faire un nom . Ce sont d’une part les mathématiques, auxquelles il a consacré sa vie professionnelle (il a été professeur à l’université de Lille), d’autre part l’entomologie, une activité plus discrète mais prenante, qui occupera ses loisirs et le portera au rang d’un spécialiste de notoriété internationale .

La mémoire familiale raconte que dès sa jeunesse il prenait plaisir à capturer des insectes dans les fossés de la citadelle de Lille pour les observer à la loupe ou au microscope . Sa curiosité scientifique se portait ainsi sur les objets concrets et vivants que sont ces animaux de petite taille, monde souvent méconnu du grand public mais ouverture sur des questionnements sans fin et des découvertes inédites à la portée de l’amateur . Philippe Antoine n’était pas ce que l’on appelle un homme de terrain . Il préférait le calme et l’isolement de son bureau, à son domicile, où durant des années il a passé des heures à rassembler, à préparer, à observer, à disséquer les nombreux coléoptères qu’il recevait du monde entier . Il lui fallait aussi vérifier en permanence que ces envois ne contenaient pas d’anthrènes, petits coléoptères – bien vivants ceux-là – ravageurs de collections d’insectes . Certainement, son statut et son adresse à l’université de Lille l’ont aidé, à ses débuts, à inspirer confiance aux muséums étrangers qui lui envoyèrent alors par centaines des insectes à identifier ou à étudier . Son épouse se rappelle l’étonnement du département de mathématiques de l’université qui vit arriver un mètre cube de boîtes en provenance du Carnegie Museum de Pittsburg . Très rapidement, après ses premières publications et ses premières descriptions d’espèces nouvelles, il acquit une réputation qui lui ouvrit les portes des principales institutions mondiales .

Philippe Antoine s’est spécialisé dans l’étude des coléoptères Cetoniidae, commu- nément appelés cétoines . Ce sont de très beaux insectes, aux couleurs vives souvent métalliques, irisées, veloutées ou chatoyantes, très prisés des collectionneurs . Ils sont donc intensivement étudiés . Il n’en est que plus difficile de se faire une place dans le monde des spécialistes et c’est pourtant dans ce domaine que Philippe Antoine excellera . De 1984 à 2012, il a publié 93 articles ou notes qui feront de lui l’un des meilleurs spécialistes mondiaux pour ce qui concerne la systématique taxinomique, c’est-à-dire la connaissance des relations de parenté entre les lignées naturelles et l’identification des genres et des espèces auxquels on attribue un nom selon la méthode linnéenne . Cela nécessite de savoir observer, mais aussi de disséquer avec minutie certains organes de ces insectes . Ce travail de laboratoire occupait Philippe Antoine et lui a permis de constituer une importante collection de référence, rassem- blant environ 40 000 spécimens, que la famille offrira en 2019 au Muséum national d’histoire naturelle de Paris .

Les liens de Philippe Antoine avec le Muséum ont été constants et étroits . Il y obtiendra le titre officiel d’attaché . Il venait souvent étudier les collections nationales et emprunter les spécimens de référence nécessaires à ses études . Il aura les mêmes liens privilégiés avec les muséums de Londres, de Tervuren et de Leyde, mais il n’est sans doute pas un grand muséum des Amériques, de l’Europe ou de l’Asie qui n’ait envoyé à Philippe Antoine des spécimens pour étude . Sa réputation lui permettait de publier en français, ce qui mérite d’être souligné dans le contexte international actuel de la biologie et de la zoologie, où la langue anglaise tend à devenir plus qu’hégémonique, exclusive . Ses travaux n’en étaient pas moins abondamment cités . Avec Roger-Paul Dechambre, alors responsable du Service des Coléoptères, au Muséum de Paris, et l’auteur de ces lignes, il cofondera en 1995 la revue Coléoptères, dans laquelle il publiera beaucoup .

En lisant les nombreuses publications de Philippe Antoine, on est frappé d’emblée par leur rigueur et leur précision . C’est une marque constante de sa façon de travailler . Pourtant, notre ami n’avait rien d’austère . Il était toujours vif et souriant lorsqu’il venait au Muséum . Ses articles ont porté le plus souvent sur la faune africaine, qu’il connaissait très bien car elle correspond au centre de diversification des Cetoniidaemais beaucoup d’espèces nouvelles sont aussi décrites, du Sud-Est asiatique et, plus rarement, de l’Amérique latine . Au total, Philippe Antoine a décrit 252 espèces nouvelles, ce qui est considérable, et 16 genres nouveaux, mais ce dernier chiffre n’a pas beaucoup de signification puisque le concept de genre est d’une appréciation très subjective voire circonstancielle . En fait, point n’est besoin d’établir un palmarès pour comprendre, à la lecture de son œuvre scientifique, que Philippe Antoine aura été parmi les plus éminents spécialistes de cette famille de Coléoptères . Son dernier article, paru en 2012 dans Terrestrial Arthropods Reviews, est un travail de synthèse sur la biodiversité des Cetoniidae en Haute-Guinée, publié avec trois coauteurs américains d’une université du Kentucky . Nous prenons conscience aujourd’hui de l’impératif de défendre la biodiversité sur tous les continents : Philippe Antoine savait que pour bien protéger il faut d’abord connaître . Là est le sens principal et l’importance des travaux de systématique taxinomique auxquels il a consacré une grande partie de sa vie .

Thierry DEUVE
Maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle