BARADUC Jeanne (en littérature Jeanne GALZY) - 1907 L


BARADUC (Jeanne, en littérature Jeanne GALZY), née le 30 septembre 1883 à Montpellier (Hérault), décédée le 6 mai 1977 à Montpellier (Hérault). – Promotion de 1907 L.
 


« La Grand’Rue dormait à son habitude avec ses boutiques closes et ses fenêtres fermées. (...) Là, les maisons pauvres s’éti- raient en deux files obscures, dont la courbe irrégulière cachait le prolongement de la rue qui s’évasait devant la Bourse, en formant avec la montée de l’Argenterie une petite place trian- gulaire, puis se raidissait et alignait sévèrement ses vieux hôtels, construits à l’ époque de Louis XIV, où Montpellier avait connu tant de splendeur ».

C’est ainsi que débute le roman de Jeanne Galzy, La Grand’Rue, paru en 1925 . La romancière, déjà fort célèbre, a obtenu plusieurs prix littéraires et chacune de ses productions est désormais attendue et admirée . C’est aussi dans cette Grand’Rue de Montpellier qu’elle est née, au numéro 27 . Son père, Léon Baraduc, commerçant de mercerie en gros, y tenait une boutique et son grand-père, opticien, celle de « La Lunette Marine » . La famille avance bientôt vers le haut plus bourgeois de la rue, au numéro 15, où Jeanne Baraduc va passer l’essentiel de son enfance et adolescence . Certains de ses voisins marqueront son souvenir : la famille Fabrège, qui venait de faire restaurer la cathédrale de Maguelone, lieu emblématique du passé régional, dont elle fera de superbes évocations dans son premier roman (signé Jeanne Galzy) L’ensevelie (1912) ; la famille Bazille surtout, et le célèbre tableau Réunion de famille (conservé au Musée d’Orsay) de Frédéric, décédé à la guerre de 1870, sera à l’origine, consciemment ou pas, de la saga La surprise de vivre, publiée de 1969 à 1976 . En 1896 la famille Baraduc quitte le centre-ville pour une belle villa des faubourgs, où Jeanne demeurera jusqu’à la fin de sa longue vie, en 1977 .

Le premier lycée de jeunes filles de France avait été créé à Montpellier en 1881, notamment sous l’influence de la bourgeoisie protestante alors aux affaires de la ville, et inauguré par le Président Sadi Carnot . Jeanne y entre tout enfant pour une scolarité qui la mènera jusqu’à seize ans : bien que plutôt nonchalante de son propre aveu, elle y obtient de très bons résultats, comme en témoigne un prix d’excellence en 1900 . Cinq années plus tard, elle obtient une dérogation pour suivre des cours à la Faculté des Lettres puis part à Paris au lycée Fénelon préparer le concours de l’École normale supérieure de Jeunes filles, où elle entre en 1907, sixième sur une promotion de seize élèves . Admise en 1910 au Certificat d’aptitude pédagogique pour l’enseignement des Lettres, elle est reçue l’année suivante à l’agrégation (1911) .

C’est avec Sèvres que tout commence pour Jeanne . Jusque-là il s’agissait de la lente maturation d’une jeune fille de province que son milieu ne destinait pas aux études supérieures ni à une haute activité culturelle . Cette évolution apparemment indolente depuis la fin du lycée jusqu’au départ à Paris a sans doute inspiré le personnage de Clarisse dans Les démons de la solitude (1931) . Les études à Paris et à Sèvres s’accom- pagnent du début de la production littéraire . Jeanne prend alors le pseudonyme de Galzy, inspiré d’une arrière-grand-mère maternelle . Elle écrit des poèmes, que publie Le Mercure de France, puis un premier roman L’ensevelie, couronné aussitôt d’un prix, un conte, publié dans Le Matin, une pièce de théâtre La revanche de Boileau, représentée à l’Odéon en 1911 . Des tragédies à thème antique : Hécube, Cassandre, seront, elles, représentées plus tard . Jusqu’en 1914 Jeanne vit au cœur de la vie cultu- relle parisienne, amie de poètes, d’artistes, d’acteurs et d’actrices, dont madame Segond-Weber, qui sera le grand amour de sa vie . La mort de son père en 1914 et la faillite du commerce familial l’obligent à revenir à Montpellier et à prendre un poste dans l’enseignement . Elle sera une première « femme chez les garçons », nommée qu’elle fut au lycée de garçons dont les professeurs, pour certains, avaient été envoyés au front . Expérience singulière, difficile à double titre : débutante et anomalie fémi- nine dans un milieu masculin . Ses qualités de sérieux, de compréhension, de souci de faire apprendre, jointes à une analyse fine des besoins des élèves et des lacunes de la formation des enseignants, transparaissent dans le roman qu’elle tirera de ces deux années . Car son activité professionnelle doit hélas être interrompue courant 1917 par de graves problèmes de santé : atteinte du mal de Pott (la tuberculose osseuse) Jeanne Galzy est d’abord soignée à Palavas, puis à Berck, où elle restera immobilisée près de deux ans dans un corset . Nouvelle expérience, déchirante celle-là : celle de la souf- france, de l’immobilité, de la lente agonie de certains autres malades, des alternances d’espoir et de désespérance . Peut-être l’écriture fut-elle un des moyens pour la jeune femme de rester accrochée à la vie . Elle écrit à nouveau des poèmes, et termine le roman La femme chez les garçons, publié en 1919 . À la sortie du sanatorium, Jeanne Galzy devient professeur au lycée de jeunes filles d’Amiens . Malgré une santé fragile, des rechutes, et un corset qu’elle devra porter toute sa vie, elle va souvent à Paris, à Montpellier (où sa Cassandre est représentée en 1921, événement culturel majeur de la ville à cette époque) . Elle continue d’écrire : elle publiera en 1923 Les allongés, qui lui vaut le prix Femina la même année, contre des concurrents célèbres, Joseph Kessel et Henry de Montherlant . L’ouvrage, fortement inspiré de son hospitalisation à Berck, connaît un grand succès et projette Jeanne dans la lumière . À partir de ce moment, Jeanne Galzy est considérée comme un écrivain majeur, ses productions ultérieures font l’objet de critiques élogieuses dans les journaux et magazines, et cela durera jusqu’à sa mort en 1977 .

Elle poursuit à la fois une carrière d’écrivain et d’enseignante (après Amiens, à Saint-Germain en Laye puis au lycée Lamartine à Paris), du moins jusqu’en 1943 où elle est mise à la retraite et revient s’installer définitivement à Montpellier, auprès de sa sœur, dans la maison familiale . Elle n’y mène pas une vie de recluse : active dans le milieu littéraire, elle écrit notamment des pièces de théâtre pour le Centre d’essai radiophonique de Montpellier, créé en 1948, et dirigé par Frédéric-Jacques Temple à partir de 1954 . Celui-ci se souvient d’elle comme d’une figure imposante, celle de la grande écrivaine régionale : heureusement, sa nomination comme membre du jury Femina dès 1945 lui permettait de préserver contacts et voyages dans la capitale .

Son œuvre d’écrivain est considérable, par sa productivité d’abord : vingt- deux romans, sept biographies, des pièces de théâtre pour la scène ou la radio, nombre de poèmes... Par sa qualité ensuite, reconnue par plusieurs prix littéraires : le plus prestigieux étant le Femina en 1923, mais son premier roman L’ensevelie (1912), lui avait valu le prix Monthyon de l’Académie française en 1913, prix qui lui sera accordé à nouveau en 1919 pour Une femme chez les garçons. L’Académie couronnera de son Prix la magnifique biographie Sainte Thérèse d’Avila en 1928 . En 1930 le prix Brentano’s récompensera L’initiatrice aux mains vides, roman centré sur la relation équivoque mais chaste entre une femme professeur et son élève, faite de complicité intellectuelle, de sympathie, de protection quasi maternelle, et inspirée peut-être de l’adoration qu’elle-même avait eue pour une de ses enseignantes dans son enfance, mademoiselle Normand .

De cette œuvre à l’incroyable richesse et diversité, je souhaiterais ici souligner trois aspects. L’un d’eux a déjà été évoqué : c’est l’appropriation de l’expérience personnelle par l’écriture . Nombreux sont les éléments issus de la vie personnelle de Jeanne Galzy, depuis les études à Montpellier, puis à Sèvres (base de jeunes filles en serre chaude, 1934), les classes de garçons du lycée, celles des jeunes filles à Amiens ou à Paris, jusqu’à sa vie intime, son homosexualité et ses passions, qui irriguent une partie de ses romans, notamment la série des quatre derniers, réunis sous le titre La surprise de vivre. Une deuxième dimension importante de cette œuvre réside dans la force et la beauté des évocations régionales . Elle a su magnifier, à travers des descrip- tions comme on n’en fait plus, Montpellier et ses environs, le littoral, la Camargue, les montagnes proches, cadres de la moitié de ses romans et y faire vivre une société diverse : bourgeoisie urbaine protestante, commerçants et artisans, aussi bien que manadiers de Camargue ou paysans lozériens . Non qu’il faille ranger Jeanne Galzy sur l’étagère des écrivains régionalistes, terme légèrement teinté de condescendance . Certains critiques ont pu comparer Jeanne Galzy à Proust, Colette ou Mauriac . Aurait-on l’idée de qualifier François Mauriac d’écrivain régionaliste du Bordelais ?

La valeur de l’œuvre de Jeanne Galzy, comme celle de tout grand écrivain sans doute, réside dans son humanité, portée par une écriture toute en finesse et en subtili- tés . La souffrance, la mort, l’amour (« Toutes les amours » titrait le bandeau-annonce de La surprise de vivre), la guerre et l’engagement (dans le beau roman La jeunesse déchirée), la foi (catholique ou protestante), les hésitations de l’adolescence, les efforts de femmes prisonnières des mesquineries de leur milieu et leurs efforts pour s’en dégager, tout cela place Jeanne Galzy parmi les grands écrivains du xxe siècle .

Cette grande dame de la littérature, admise en 1970 à l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, reste aujourd’hui trop méconnue, malgré la remarquable biographie1 que lui a consacrée Raymond Huard en 2009 . De récentes rééditions de cinq romans2 en 2017 peuvent aider à sa redécouverte et susciter l’envie de lui consacrer de futures thèses . Le poème d’elle, lu sur sa tombe au cimetière protestant de Montpellier, ne disait-il pas : J’écris pour dire que je fus ?

Michèle VERDELHAN-BOURGADE  Professeur émérite de l’université Paul-Valéry (Montpellier)

Notes

  1. Raymond Huard, Jeanne Galzy, romancière, ou la surprise de vivre, Uzès, Inclinaison, 2009 .
  2. Les allongés, Pays perdu, Jeunes filles en serre chaude, Les sources vives (La surprise de vivre, tome II), nrf, Gallimard, 1971 ; La cavalière (La surprise de vivre, tome III), nrf, Gallimard, 1974 .