BÉRARD BERGERY Lionel - 1965 s

BÉRARD BERGERY (Lionel), né le 9 novembre 1945 à Sainte-Colombe (Rhône), décédé le 8 novembre 2019 à Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle). – Promotion de 1965 s.


Sa passion de jeunesse pour les mathématiques l’avait amené à entrer à l’École normale supérieure, rue d’Ulm, en 1965. Après avoir réussi l’agrégation, il reste à l’ENS quelques années comme agrégé préparateur, un rôle très important dans l’institution comme vous le savez. Il rejoint le séminaire de géométrie animé par Marcel Berger (1948 s) et prépare une thèse sous sa direction, qu’il soutient en 1975. Il est ensuite nommé maître de conférences, puis professeur à l’université Nancy 1. Il y fait toute sa carrière, et prend sa retraite lorsqu’il atteint 65 ans en novembre 2010.

Sa spécialité était la géométrie différentielle, et plus particulièrement la géométrie riemannienne, comme celle de son maître. Marcel Berger était célèbre pour ses résul- tats sur les espaces qui admettent des géométries à courbure positive (voir dans cet Archicube, page 130). La question de départ était de savoir si une surface, donc un espace à deux dimensions, dont la courbure est positive comme la sphère ordinaire pouvait se refermer autrement que pour donner une sphère déformée. La réponse est négative. Grâce à des constructions algébriques, Marcel Berger et Lionel Bérard Bergery ont envisagé le problème à plus de dimensions. Marcel Berger avait trouvé d’autres solutions que des sphères, à 7 et à 13 dimensions ! À sa suite, Lionel Bérard Bergery a établi la liste de toutes les géométries à courbure positive possédant beau- coup de symétries. Son article, paru en 1976, et aussi le travail préparatoire paru en 1975, restent des pierres angulaires du domaine, cités continuellement pendant les quatre décennies suivantes, et encore très récemment.

Sa connaissance en profondeur de beaucoup d’aspects de la géométrie diffé- rentielle lui a permis d’avoir des contributions dans de nombreux domaines de la discipline. Comme mentionné précédemment, les résultats obtenus dans sa thèse et ses travaux qui en ont découlé restent des références non dépassées. C’est pourquoi son avis scientifique a continué d’être recherché pendant toute sa période d’activité par des collègues du monde entier. En 1982, il a découvert de nouvelles solutions aux équations d’Einstein de la relativité générale. L’article qui en est issu, bien que paru dans la discrète revue de l’institut de mathématiques de l’université de Nancy, l’Institut Élie Cartan, a connu une postérité remarquable.

Au début des années 1980, il prend une part très active dans le collectif de chercheurs en géométrie riemannienne autour de Marcel Berger qui, sous le nom d’Arthur Besse, publie plusieurs ouvrages comprenant en proportion variable des mises au point de résultats connus mais souvent d’accès difficile et des travaux originaux. Cet émule de Nicolas Bourbaki doit son nom à la commune de Besse-en- Chandesse, où son congrès constitutif s’est tenu... tout comme celui de son illustre prédécesseur. La réputation des ouvrages d’Arthur Besse, rapidement traduits en anglais, ne se fait pas attendre, et ils sont aujourd’hui encore utilisés par les doctorants et les spécialistes de ces sujets un peu partout dans le monde.

À l’université, il fut le chef du département de mathématiques à plusieurs reprises, et au total sur plus d’une dizaine d’années. Il contribua à une évolution des programmes de formation en mathématiques, tant en licence qu’en master, et insistait toujours sur le respect des étudiants, conscient qu’il était des difficultés inhérentes à l’apprentissage des mathématiques. Il convainquit ses collègues de s’in- vestir dans les formations en mathématiques dans des secteurs où elles jouent un rôle de discipline d’appoint (sciences de la vie et de la terre, pharmacie, médecine, certaines formations d’ingénieurs). Il contribua notamment à promouvoir l’utilisa- tion de logiciels de dessin pour l’enseignement de la géométrie du plan et de l’espace à destination de l’enseignement secondaire. Il a aussi donné un contenu concret au projet de collaboration entre l’université Henri Poincaré de Nancy et celle du Centre universitaire du Luxembourg, qui est maintenant devenu une université de plein exercice (et en plein essor), en développant des relations fortes avec un certain nombre d’enseignants de ce centre au niveau de la recherche. Il a aussi été un des acteurs majeurs dans la construction et l’aménagement du nouveau bâtiment dans lequel l’Institut Élie Cartan a déménagé en 1995. Il a en particulier pris très à cœur l’aménagement des locaux d’enseignement, les bureaux des chercheurs et la nouvelle bibliothèque de mathématiques. Ce fut une belle réussite.

La formation à la recherche des jeunes a été une préoccupation constante de Lionel Bérard Bergery qui a dirigé plusieurs thèses de mathématiques dès son arrivée à Nancy. Son cours doctoral sur les espaces symétriques montrait aussi sa façon de travailler : novateur et très personnel dans son approche. Il parvenait à révéler des aspects nouveaux au sein de sujets classiques, lesquels n’avaient pas encore été étudiés à fond. Il aimait parler « aux jeunes », et il trouvait les moyens pour y parvenir, comme venir s’asseoir à une table de doctorants pendant une conférence : après une discussion animée sur les ingrédients à ne pas mettre dans le gratin dauphinois... il les avait mis en confiance et il devenait possible de parler de mathématiques. Il avait une passion pour la géométrie : il aimait particulièrement tout ce qui avait un rapport avec les géométries spéciales caractérisées par leur invariance sous l’action d’un groupe de symétries, et il pouvait y puiser une multitude d’exemples pour illustrer ses explications, qui duraient aussi longtemps qu’il était nécessaire. Il savait simplement prendre le temps pour se faire comprendre et partager sa passion par le biais d’anec- dotes historiques parfois amusantes. L’histoire des mathématiques était un sujet qu’il affectionnait particulièrement et auquel il consacrait une partie de son temps en collaboration avec un de ses anciens élèves [Philippe Nabonnand] aujourd’hui directeur des Archives Poincaré, un autre bijou rappelant qu’Henri Poincaré est né dans cette ville.

Son rayonnement est en partie dû à des exposés oraux dans lesquels il propo- sait généreusement des programmes de travail et qu’il développait souvent avec de plus jeunes chercheurs. Il était intéressé par les évolutions en physique théorique, en particulier dans les développements de la relativité générale en lien avec certains travaux d’Élie Cartan (1888 s) en géométrie différentielle, faisant ainsi honneur à l’héritage de celui qui a donné son nom à l’Institut de mathématiques de Nancy, même si beaucoup d’autres noms auraient pu être choisis vu le rôle remarquable de cette ville dans l’histoire des mathématiques françaises et notamment celui de Bourbaki avec la présence de Jean Delsarte (1922 s), Jean Dieudonné (1924 s) et Laurent Schwartz (1934 s) et Les « Publications de Nancago » font référence à cela au moment où André Weil (1932 s) était professeur à Chicago.

Mais la plus importante de ses qualités était peut-être sa grande générosité et son humanité : il partageait son savoir et donnait ses idées sans retenue. Il croyait en ses étudiants et osait donner une chance à des jeunes dont certains, en dépit de leur motivation réelle, avaient connu, en amont, certains déboires. C’était un pari peut- être risqué pour lui mais il n’hésitait pas à prendre la direction de tels projets. Ses 14 élèves de thèse qu’il a engagés dans des thématiques bien différentes évoluant au cours du temps incarnent l’héritage scientifique qu’il laisse.

Marié, père de quatre enfants (et ensuite grand-père de deux petits-enfants), il s’est engagé dans le scoutisme. Il devint avec son épouse Micheline responsable départe- mental des Scouts de France pour la Meurthe-et-Moselle. Plus tard, il s’est investi dans l’aide aux personnes souffrant d’un handicap psychique, devenant trésorier de l’association Espoir 54.

Ce serait bien mal le connaître que de résumer ainsi l’homme. Il était très fier d’avoir été avant-centre et capitaine de l’équipe de football de l’ENS-Ulm, et la rumeur veut qu’il ait possédé un shoot d’enfer, que tous les gardiens de but redou- taient. Grand marcheur, il adorait parcourir en compagnie de sa famille les sommets du Dauphiné où il passait régulièrement une partie de ses vacances. Il avait une passion pour la musique classique, particulièrement pour la musique de chambre et l’opéra. Il était bon connaisseur de la science-fiction, amateur éclairé de la culture japonaise, notamment des mangas. Micheline, géologue de formation, l’avait inté- ressé à la géologie et particulièrement aux volcans qu’ils n’hésitaient pas à aller voir de près, y compris jusqu’à Hawaï.

Il croyait à des idées fortes, la foi catholique étant indéniablement sa référence centrale. Quelque peu réservé, il n’évoquait pas ses états d’âme, mais pouvait être très direct. Il croyait par-dessus tout à l’engagement dans la sphère publique, qu’elle fût professionnelle (c’est ainsi qu’il a été trésorier de la Société mathématique de France) ou associative comme évoqué plus haut, et il s’y est tenu sa vie durant. Ces dernières années il a passé beaucoup de temps à s’occuper de ses petits-enfants Anaïs et Oswald, appréciant beaucoup son rôle de grand-père.

Lionel Bérard Bergery est décédé le vendredi 8 novembre 2019, la veille de son 74e anniversaire.

Jean-Pierre BOURGUIGNON,
professeur honoraire à l’IHÉS

Avec la participation de :
Daniel BARLET (1966 s),
Pierre BÉRARD (1970 s)
, Gérard BESSON, Jean-Louis CLERC (1964 s),
Tom KRANT, Marie-Amélie LAWN, Pierre PANSU (1977 s)