BERNARD Daniel - 1948 s

BERNARD (Daniel), né le 10 mars 1928 à Paris, décédé le 24 janvier 2019 à Strasbourg (Bas-Rhin). – Promotion de 1948 s.


Daniel Bernard est boursier national au lycée Lakanal à Sceaux, puis élève de mathématiques supérieures et spéciales au lycée Saint-Louis où, selon son professeur de physique il faut, avec sa forme d’esprit, qu’il prépare l’École. Tâche accomplie en 1948. L’accueil par le personnel de l’École est bienveillant et chaleureux. Quant au bizutage, cette promotion a vu un de ses conscrits croire bon d’expli- quer son succès par l’usage de l’hélice à calcul Lafay « joint à ses mérites personnels », et en être récompensé par un voyage confiné en pyjama dans un train de nuit pour le Sud-Ouest.

La vie normalienne de Daniel comporte les certificats à passer en Sorbonne, les contacts avec les caïmans, le « Cours aux carrés », une forte dose journalière de piano et le mariage avec Ginette Disgand en juillet 1950.

La préparation à l’agrégation de mathématiques, encadrée par Henri Cartan (1923 s), Gustave Choquet (1934 s) et le futur directeur de thèse André Lichnerowicz (1933 s), est en ce temps une obligation et prise par Daniel comme un investisse- ment. De fait les quatre premiers normaliens reçus se voient attribuer la nouveauté qu’est la quatrième année d’École, début du travail scientifique. Elle est suivie, de novembre 1952 à octobre 1953 par le service militaire dont la première phase est interrompue par la question :« Que foutez-vous ici ? » d’un gradé inspecteur. Suit donc une opportune promotion comme scientifique du contingent au Laboratoire central de l’armement, service des trajectoires des fusées.

Le caporal-chef Daniel Bernard se trouve envoyé « en mission » au Colloque inter- national de géométrie différentielle du CNRS (Strasbourg 26 mai-1er juin 1953), un des derniers dont les actes seront publiés en français, a-t-il pu déplorer plus tard. Il y rencontre le gratin mondial de la discipline et, avec son maître André Lichnerowicz, il y pioche son sujet de thèse Sur la Géométrie Différentielle des G-structures. Plusieurs de ses notes aux Comptes Rendus de l’Académie des sciences sont analysées dans les Mathematical Reviews par Shiing-Shen Chern et Michael Atiyah. La thèse est soutenue à la Sorbonne en mai 1960 avec pour jury Charles Ehresmann (1924 s), président, André Lichnerowicz et Laurent Schwartz (1934 s). Elle est publiée aux Annales de l’Institut Fourier. En octobre 1959, les prémices alsaciennes en furent une délégation de maîtrise de conférences à la faculté des Sciences de Strasbourg avec service au Collège universitaire de Mulhouse. Suivirent la titularisation en octobre 1960 et le professorat à titre personnel à Strasbourg, en 1963. Il participe à la prépa- ration à l’agrégation et assure le cours de service : Techniques mathématiques de la Physique, qu’il diffuse en ouvrage dont les cinq cents pages d’épreuves apprennent à ses assistants à bien relire un texte.

Mai 1968 le met sur la brèche du matin au soir pour maintenir le flambant neuf Institut de mathématiques à l’abri des anarcho-situationistes, discuter avec les étudiants, à la suite de quoi il est élu à la quasi-unanimité directeur de l’Institut par un collectif comprenant tout le corps enseignant et les étudiants assidus, environ 200 votants, vote confirmé par les organes statutaires... et un arrêté du doyen en date du 10 juillet 1968. Il représente donc le département de Mathématiques et Informatique dans les instances réunies par le recteur Maurice Bayen d’où sortent trois universités soit Louis-Pasteur-Strasbourg I (sciences et santé, sciences écono- miques, géographie, psychologie, IUT), Strasbourg II (lettres, sciences humaines, théologies, Éducation physique), Strasbourg III (droit, IUT). Cette structure cédera la place, après regroupement en 2009, à l’université de Strasbourg.

Élu à la section permanente du conseil d’administration de l’université Louis- Pasteur il en assiste le président dans une période d’adaptation riche en conflits. Il soutient entre autres le développement des méthodes quantitatives en sciences économiques et gestion.

Il a dirigé les thèses de Jean Setondji et de Farba Faye et organisé en complicité avec Robert Lutz et Théodor Hangan les trois Colloques de géométrie du Schnepfenried soutenus par la Société mathématique de France et affichant un succès international. Il est en contact avec Shiing-Shen Chern à Berkeley et avec Donald Spencer à Princeton.

En juin 1986, il est l’initiateur et la cheville ouvrière du Colloque de géométrie et physique patronné par le CNRS, en l’honneur d’André Lichnerowicz, avec le soutien de plusieurs universités, du Collège de France, du CEA et de la Société mathéma- tique de France. Ce Colloque réunit 250 participants dans les anciens locaux de l’École polytechnique où il a été de 1963 à 1971 examinateur d’admission et de 1971 à 1983 maître de conférences chargé de petites classes ou d’épreuves d’examen. Il prit soin de demander à la direction des Études de lui éviter toute interaction avec son élève de fils durant ses trois années d’École.

Trois autres enfants exerceront comme médecin, avocate, et metteur en scène lyrique.

Son implication locale, de 1987 à 1992, est à la vice-présidence de l’université Louis-Pasteur. Dans une première phase il est chargé de la recherche et des person- nels, ensuite de la documentation et comme premier vice-président, de l’intérim du président Gilbert Laustriat. Il est en particulier acteur dans l’élaboration des fédéra- tions de recherche.

Il crée le Service commun de documentation rendant à l’université la maîtrise de sa documentation hors tutelle de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Apprécié comme vice-président Personnels attentif et vice-président Recherche rigoureux, il tient à écouter chacun avant de décider. Par délégation perma- nente du président il dirige le Conseil scientifique et par exemple signe pour l’ULP, à côté du préfet et du ministre de l’environnement de l’État de Bade-Wurtemberg, la convention créant l’Institut franco-allemand de recherche sur l’environnement (IFARE). Il participe de 1990 à 2000 au conseil de perfectionnement de la forma- tion d’actuaires de Strasbourg présidé par Hans Bühlmann, ancien président du Polytechnikum de Zürich et de l’Association suisse des actuaires.

Les contacts nombreux acquis à la vice-présidence et à l’IFARE le conduisent à un nouvel engagement : le Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (S3PI) de l’agglomération de Strasbourg. Celui-ci réunit, sur la base du volontariat, plus de 400 personnes : les associations représentant les populations, les industriels, les scientifiques, les médecins, l’État et ses services, les collectivités territoriales. C’est un melting pot adapté à la réflexion commune pour la recherche de solutions proposées aux décideurs.

À la différence des autres S3PI (sauf Toulouse) le président n’en est pas le préfet mais Daniel Bernard, choisi pour sa connaissance des milieux scientifiques, son abord ouvert, son autorité naturelle, son souci d’éviter la « réunionite » et d’obtenir des résultats concrets. Lors de la remise de la légion d’honneur au titre du ministère de l’Environnement par son ami Guy Ourisson (1946 s) président de l’Académie des sciences, il souligna que les atteintes à l’environnement étaient souvent des consé- quences néfastes de progrès technologiques suivant l’avancement de la science mais que par ailleurs les scientifiques possèdent bien souvent les clés permettant d’y porter remède, d’où résulte une double responsabilité.

S’agissant de conclure à propos de la vie de Daniel Bernard, le mot harmonie vient à l’esprit, celle-ci résultant d’équilibres entre enseignement et recherche, vie scientifique et vie familiale, responsabilités dans l’université et dans la cité.

Philippe ARTZNER (1957 s)