BICHAT (épouse MOREL) Dominique - 1964 S

BICHAT (Dominique, épouse MOREL), née le 19 janvier 1945 à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), décédée le 7 septembre 2014 à Joué-lès-Tours (Indre- et-Loire). – Promotion de 1964 S.


Dominique est née dans une famille lorraine de Lunéville, la famille Bichat ; elle fut le cinquième enfant d’une fratrie de huit . Son arrière-grand-père Ernest Bichat fut un physi- cien renommé, normalien (1866 s), ami et condisciple de Pasteur, doyen de la faculté des sciences de Nancy .

Dominique fut bachelière à 16 ans, suivit les classes préparatoires au lycée Poincaré de Nancy puis au lycée Fénelon à Paris . Reçue en 1964 à l’ENS de Sèvres, elle fut agrégée de mathématiques en 1967 à 22 ans .

Elle enseigna d’abord comme assistante au département de mathématiques de l’université de Strasbourg (année 1967-1968), y prit beaucoup de plaisir et y apprit beaucoup au contact des professeurs Jean Frenkel (1942 s) et Glaeser . Mariée début 1968 à Yves Morel, ingénieur des Mines de Paris, elle le suivit à Nancy . Elle enseigna quatre ans comme assistante au département de mathématiques de l’université de Nancy (années 1968 à 1972) où elle travailla notamment avec Jean-Louis Ovaert (1953 s) . Maman rapidement de trois enfants, elle suivit à nouveau son mari dans son changement professionnel à Tours en septembre 1972 .

Elle prit alors une pause dans sa carrière professionnelle, principalement pour mieux se consacrer à l’éducation de ses enfants . Durant cette période, elle réfléchit également à son avenir professionnel et estima qu’elle n’avait ni le goût ni les talents pour la recherche en mathématiques . Elle n’envisagea donc pas de préparer une thèse de mathématiques et de poursuivre une carrière universitaire . Elle demanda et obtint en 1974 un poste dans le secondaire au lycée Grandmont de Tours, où elle effectua à mi-temps les deux années scolaires 1974-1975 et 1975-1976 . En février 1976, elle mit au monde son quatrième enfant et se mit en disponibilité jusqu’à ce que cet enfant soit scolarisé en primaire . Elle obtint pour la rentrée scolaire 1984 un poste au lycée Paul-Louis-Courier à Tours . Elle y exerça jusqu’à sa retraite prise le 3 septembre 2002 . Bien que ce lycée ne soit pas le plus scientifique et le plus prestigieux de Tours, elle s’y plut beaucoup, à cause de l’excellent esprit d’équipe existant entre les profes- seurs de mathématiques et aussi à cause de la situation de ce lycée dans le vieux Tours, à côté de la cathédrale . Elle disait par exemple qu’elle pouvait contempler depuis sa salle de classe les flèches de la cathédrale et ainsi mieux enseigner la géométrie dans l’espace ! Elle fut très active dans l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP) de Touraine .

Yves MOREL

Un des parents de Dominique Bichat Morel, a tenu à exprimer son souvenir sous la forme – inhabituelle, mais pourquoi pas ? – d’un poème (note de la lectrice des notices).

Ma belle-sœur Dominique est morte .
Elle est enterrée .
Ce n’est pas normal .
Elle était en pleine possession de ses moyens . Elle avait encore beaucoup à faire .

Elle était forte, elle était tonique,
Elle riait, elle chantait .
Certes, elle n’était pas du genre expansif, Elle ne cherchait pas à en imposer .

Elle était toute simplicité
Et respirait en toute discrétion humour
Et joie de vivre .
Elle avait supporté jusqu’ici
Beaucoup de mauvais coups du sort, Accidents, maladies,
Elle s’en était toujours sortie,
Si bien que cette fois-ci encore
J’espérais qu’elle résisterait longtemps .
Mais Dominique est morte,
Ce n’est pas possible mais c’est la réalité .
Il y a comme un bug,
Une erreur bénigne qui a tourné au tragique . Dominique fut une bonne élève,
Une élève brillante même,
Pas du genre à étaler son savoir et ses diplômes . Elle n’a pas reçu l’éducation traditionnelle
Des jeunes filles de bonne famille
Qui se limitait, pour ma mère et mes tantes,
À un enseignement secondaire court,
Et de l’enseignement ménager et de la couture Et des leçons de chant .
Ceci permettait à mon père
D’ironiser sur cette belle-fille
Qui servait trop souvent des nouilles à table ! Mais il ne parlait guère des concours
Qu’il avait loupés,
Alors que sa bru, elle, avait réussi
Et l’ENSIC et Normale sup .
À évoquer l’intelligence de Dominique,

J’éprouve un malin plaisir à citer
Notre aumônier du collège Bichat de Lunéville :
« Que la pensée rationnelle,
L’élaboration abstraite,
Sont le propre de l’homme,
Alors que l’intelligence de la femme
Est limitée au domaine des sentiments . »
Il ne faisait que traduire en termes adoucis
Ce qu’écrivait saint Paul :
« Je ne permets pas à la femme d’enseigner
Ni de faire la loi à l’homme [ . . .]
Ce n’est pas Adam qui se laissa séduire,
Mais la femme qui, séduite,
Se rendit coupable de transgression . » (Tm 2, 12) Dominique, professeur de mathématiques,
A été en parfaite contradiction
Avec les préceptes du saint apôtre .
Elle a enseigné à la faculté des sciences
À Strasbourg et à Nancy .
Elle avait la carrure intellectuelle
Pour être une grande mathématicienne,
Elle a travaillé à Nancy avec Jean-Louis Ovaert .
Elle passionnait les étudiants
En rendant simple ce qui paraît compliqué,
Lumineux ce qui est obscur .
Pourtant, elle a choisi de se dévouer à ses enfants,
Elle leur a fait faire de bonnes études,
Elle leur a fait pratiquer un instrument de musique .
Elle excellait elle-même dans le chant .
La musique était pour elle essentielle pour bien vivre .
Elle montrait qu’il n’y a pas contradiction
Entre mathématiques et musique .
Bien au contraire, la recherche de la beauté
Est un des fils conducteurs en mathématiques .
Dominique était une très grande dame .
Puisse-t-elle reposer dans la beauté des choses .
Que notre mère Ève,
Qui osa goûter le fruit défendu de l’arbre de la connaissance, L’accueille
Et que cette terre ne soit plus une vallée de larmes
Mais un simple et beau jardin .

Jacques MOREL