BILDSTEIN Antoinette (épouse SEC) 1944 S


BILDSTEIN
(Antoinette, épouse SEC)
, née le 6 juillet 1924 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), décédée le 27 août 2012 à Quintal (Haute-Savoie). – Promotion de 1944 S.


Aînée de deux sœurs, Antoinette Bildstein voit le jour à Nancy le 6 juillet 1924 dans une famille d’origine lorraine du côté maternel et alsacienne du côté paternel. Son père est issu de l’Institut électrotechnique de Nancy (actuelle ENSEM) et, fait remarquable pour l’époque, sa mère y a également fait ses études. Ses parents lui transmettent des convictions et des valeurs auxquelles elle est restée atta- chée toute sa vie : un athéisme strict, le refus de toute superstition, la foi en la rationalité scientifique, le sens de l’autorité et du devoir, la confiance en un État qui récompense les mérites de ceux qui travaillent pour lui. En outre, elle hérite du côté maternel, où les instituteurs sont nombreux, un goût et un incontestable talent pour l’enseignement.

Élève au lycée Poincaré à Nancy, à sa grande surprise, en 1943, elle est admis- sible à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres. Ayant échoué aux oraux, elle refait une année de taupe, cependant que le directeur de l’École supé- rieure des Industries chimiques de Nancy lui promet une place en cas de nouvel échec. En 1944, elle est à nouveau admissible, mais les épreuves d’admission ont lieu en décembre. À cause de l’interruption des communications entre Nancy et Paris, son père a l’idée saugrenue de la confier à un groupe de soldats alliés fai- sant le trajet de Nancy à Paris. La voilà donc, élégante jeune fille de vingt ans, avec ses livres de mathématiques, en camion militaire ! De fait, les soldats la déposent comme prévu à la gare d’Austerlitz. Là, non sans témérité, elle monte dans une voiture en compagnie de trois jeunes gens dont elle ignorait tout. Le pari s’est avéré payant : passé minuit, elle arrive effectivement chez un oncle auquel elle annonce qu’elle est tout simplement venue passer les oraux de Sèvres !

Reçue première, elle s’installe boulevard Raspail en janvier 1945 : sa condisci- ple et cothurne se souvient du bal pour l’armistice du 8 Mai en compagnie de cette jolie mathématicienne qui s’était promis de ne plus porter de ruban aux cheveux le jour où elle se marierait. Les études se faisaient alors en Sorbonne, outre quelques cours à la rue d’Ulm et d’autres boulevard Raspail. Dans le même temps, elle connaît les joies de la vie estudiantine parisienne, fréquentant assidû- ment les bals : c’est au cours de l’un d’eux qu’elle rencontre celui qui est devenu son époux en 1947, Michel Sec, centralien et ingénieur EDF.

Reçue première à l’agrégation de mathématiques, elle est nommée à la rentrée 1947 au lycée de Charleville. C’est là qu’en 1948, elle donne naissance à son pre- mier enfant, aînée de deux autres qui ont suivi en 1950 et en 1953. En 1949, elle est mutée au lycée de jeunes filles de Mulhouse, où elle enseigne pendant quinze ans et devient en quelque sorte titulaire de la classe de mathématiques élémen- taires : elle impressionnait ses élèves et les inspecteurs par la clarté de ses expli- cations et par sa douceur non dépourvue de fermeté. À partir de 1964, elle entame une recherche en mathématiques qui aboutit à la soutenance d’une thèse de doctorat à l’université de Strasbourg le 30 juin 1971, suivie de la carrière uni- versitaire à l’université de Metz décrite dans la deuxième partie.

Après sa retraite en 1984, sa curiosité naturelle, qui n’avait jamais été exclusi- vement réservée aux objets mathématiques, s’est déployée d’une façon éton- nante. Citons tout d’abord les nombreux voyages qu’elle a entrepris avec son mari sur les cinq continents, y compris vers une destination aussi inattendue que la Mongolie intérieure. Devenue veuve en 1999, elle ne met nullement fin à son activité intellectuelle, bien au contraire : outre son souci de se tenir au courant des découvertes scientifiques (notamment en physique), elle fréquente l’univer- sité de la Culture permanente à Nancy, se passionne pour l’astronomie, pour l’in- formatique, pour la géographie, pour la civilisation égyptienne (allant jusqu’à apprendre l’égyptien hiéroglyphique), pour l’histoire de la Lorraine et pour la généalogie familiale à laquelle elle a apporté sa rigueur mathématicienne. Tout son entourage se rappelle combien elle avait à cœur de partager avec les autres le contenu de ses lectures, des cours et des conférences auxquels elle avait assisté.

Elle était dans le même temps très attachée à sa famille, notamment à ses trois enfants, ses neuf petits-enfants et ses trois arrière-petits-enfants, se souciant d’eux, de leur devenir professionnel et matrimonial et aimant les avoir près d’elle aussi souvent que possible. En août 2010, un accident vasculaire lui a fait perdre une bonne partie de son autonomie, et fut la cause de son entrée dans une mai- son de retraite à Quintal, près d’Annecy. Quoiqu’elle regrettât Nancy et sa Lorraine natale, elle appréciait la proximité et les visites fréquentes de sa fille aînée établie à Grenoble. C’est là qu’elle s’est brutalement éteinte le 27 août 2012.

Philippe SAUDRAIX (2001 l), son petit-fils,
avec Annick S
EC-SAUDRAIX (1969 L), sa fille 

En 1964, Mme Antoinette Sec est nommée assistante au Collège scientifique universitaire (CSU) de Mulhouse, qui dépendait de la faculté des sciences de Strasbourg, puis devient maître-assistante au CSU de Metz qui, à l’époque, dépendait aussi de Strasbourg. Tout au long de sa carrière universitaire, Mme Sec a montré un profond intérêt pour la recherche. Son travail, initié à l’Institut de recherche en mathématiques appliquées de Strasbourg, sous l’égide des profes- seurs Georges Reeb et Raymond Gérard, l’a amenée à s’intéresser aux liens entre équations différentielles et feuilletages dans le champ complexe.

Dès 1967, elle avait fait une étude originale des espaces de trajectoires des sys- tèmes différentiels et elle avait été encouragée dans ses recherches par René Deheuvels et par Harold Rosenberg. Inscrite en doctorat d’État sous la direction de Georges Reeb, elle publie régulièrement des articles dans ce domaine, notam- ment aux Comptes rendus de l’Académie des sciences. Elle crée, conjointement avec Raymond Gérard, ainsi que Bernard Klarès et Charles Sadler, le séminaire d’équations différentielles Metz-Strasbourg.

Elle s’intéresse notamment avec Raymond Gérard aux feuilletages de Painlevé, puis à certaines équations de Pfaff, qu’elle baptise pseudopolynomes. Ces travaux avaient été suggérés par Georges Reeb qui espérait expliquer l’étude des équations à points critiques fixes à l’aide des feuilletages. Painlevé avait en effet posé, dès 1895, les fondations des notions de feuilletages et d’holonomie dans ses « leçons de Stockholm » sur la théorie analytique des équations différen- tielles. Ceci fut réussi avec brio par Mme Sec et Raymond Gérard.

C’est dans ce cadre qu’elle soutint en 1971 sa thèse intitulée « Sur les feuille- tages définis par certaines équations de Pfaff dans Cn x P1(C) ». En 1972, elle est nommée maître de conférences et la même année, elle organise avec Raymond Gérard un colloque, les « Journées complexes de Metz », qui suscite un vif intérêt dans la communauté mathématique.

Dès 1971, Georges Reeb, Raymond Gérard et Antoinette Sec avaient été char- gés par le Comité national français des mathématiciens d’éditer les Œuvres complètes de Painlevé. Il s’agissait là d’un travail considérable et de longue haleine qui a captivé Mme Sec. En 1971, paraît le tome 1, Leçons sur la théorie analytique des équations différentielles (professées à Stockholm). Suit en 1974 le tome 2, Analyse et équations différentielles du premier ordre. Enfin en 1975, paraît le tome 3, Équations dif- férentielles du second ordre. Mécanique.

Elle poursuit ses travaux sur ce thème jusqu’en 1975, date à laquelle elle devient critique scientifique pour la Zentralblatt für Mathematik et pour la Mathematical Reviews.

En 1976, sous l’influence de son enseignement en théorie de la commande, elle commence à s’intéresser aux rapports de la mécanique analytique (notam- ment hamiltonienne) et du contrôle optimal. Elle simplifie la formulation et la conception globale des problèmes de contrôle optimal en y introduisant la forme de Liouville. À Metz, elle anime le séminaire «équations différentielles et contrôle » qui a élargi ses centres d’intérêt.

À partir de 1979, elle participe en tant qu’animatrice à la RCP 567 (Recherche coopérative sur programme) « Outils et modèles mathématiques pour l’analyse des systèmes » en collaboration avec l’université de Grenoble.

Enfin, jusqu’à son départ en retraite en 1984, elle dirige de nombreux mémoi- res de DEA et plusieurs thèses de 3e cycle en théorie du contrôle.

Mme Sec a enseigné tout au long de sa vie professionnelle et c’est d’abord à ce titre que je l’ai connue puisqu’elle a été mon professeur à plusieurs reprises. Ses cours étaient précis, rigoureux, complets, mais surtout elle faisait en sorte de se faire comprendre en les émaillant de commentaires intuitifs et d’exemples très choisis. Il en ressortait l’impression que ce qu’elle enseignait était simple, jusqu’à nous faire déchanter à l’examen par excès de confiance... Les étudiants appré- ciaient au plus haut point cet effort de pédagogie, naturel chez elle, mais pas très répandu chez nos professeurs. Cette petite femme souriante derrière l’énorme bureau de son amphithéâtre s’imposait sans avoir nul besoin de discipline.

En 1972, elle est élue directeur du département de mathématiques à la faculté des sciences de Metz et à ce poste, elle eut à défendre, parfois âprement, les inté- rêts des matheux au sein de la faculté et de l’université. En 1973, elle met en place une formation de 3e cycle appelée « Équations différentielles et théorie du contrôle optimal ». C’est par ce DEA que sont passés tous les jeunes chercheurs en mathématiques formés à Metz jusqu’à la fin des années 1980. Lorsque j’ai retrouvé Mme Sec en DEA, nous étions une petite promotion de quatre étu- diants : même si elle nous intimidait toujours, nous entretenions avec elle des rapports sympathiques et cordiaux.

Ce DEA était « son œuvre ». Tout avait été mûrement réfléchi ; d’abord des prérequis, comme la géométrie différentielle, l’analyse numérique et une initia- tion à la théorie du contrôle linéaire, avaient été intégrés aux enseignements de maîtrise (mathématiques et applications fondamentales). Le DEA lui-même, outre les cours de base (en particulier le cours de contrôle assuré par Mme Sec) incluait un cours d’informatique théorique. Cette orientation résolue vers les applications permettait de réels débouchés vers la recherche industrielle, ce qui faisait l’originalité de cette formation.

La finalité de cette filière était double : c’était bien sûr une initiation à la recherche, mais sur des problèmes relevant de l’automatique et susceptibles de trouver des applications dans l’industrie comme la contrôlabilité, la stabilisation et l’optimisation de processus. Un stage de deux mois dans un laboratoire de recherche industriel faisait partie du DEA : c’était une excellente expérience. Pour toutes ces raisons, ce DEA, qui était le seul en mathématiques appliquées dans le quart nord-est de la France, a connu un réel succès ; cependant, il fut sup- primé en 1980 ; soutenue par ses étudiants, Mme Sec s’est alors beaucoup battue et a obtenu pour un an une association avec l’université de Nancy qui nous a per- mis d’obtenir un diplôme d’Université. Le DEA a finalement été rétabli l’année suivante.

Mme Sec était l’un des très rares professeurs que j’aie connus à se préoccuper du devenir professionnel de ses anciens étudiants. Ses anciens thésards ont tous trouvé du travail soit dans l’industrie, soit dans l’enseignement supérieur.

Le prolongement naturel du DEA était une thèse de 3e cycle ; pour ce qui me concerne, le choix fut rapide : la théorie du contrôle m’intéressait beaucoup, la façon dont Mme Sec l’enseignait me plaisait et nous avions un bon contact humain. Ainsi, j’ai eu la chance d’être son dernier thésard en 1984. Nous avions pris l’habitude de nous rencontrer une fois par semaine pour faire le point sur l’avancement (parfois chaotique) de mon travail : elle me guidait, me donnait des pistes, mettait mes idées à l’épreuve, se lançait dans un calcul – toujours avec beaucoup d’aisance – ou parfois me houspillait gentiment lorsque je n’avais « pas fait grand-chose ». Tout ceci avait toujours lieu dans la bonne humeur.

Elle a créé des mathématiques pendant vingt ans et selon ses propres dires « s’est bien amusée à faire de la recherche ». Elle avait une conception de la recherche fondée sur la compréhension profonde du sujet, très loin donc du pro- ductivisme actuel. Elle a transmis son savoir par un enseignement unanimement reconnu et apprécié, tant dans ses cours que dans ses encadrements de thèses. Elle a su établir des interactions entre sa recherche et son enseignement. Enfin, elle a accepté des responsabilités administratives au sein de l’université de Metz, notamment au travers de ce DEA qu’elle a tant porté. Sa période à la tête du département a sûrement été une période faste, ne serait-ce que par l’ambiance qui y régnait.

Mais elle est aussi de ces professeurs qui marquent en tant qu’être humain.

Si nos rapports se limitaient ces dernières années à un échange de cartes de vœux, je terminais invariablement la mienne par : « Veuillez agréer, cher Patron, l’expression de mes sentiments respectueux et néanmoins amicaux ». Je veux rester sur cette note.

Philippe ADDA (université de Lorraine)
en collaboration avec Annick S
EC-SAUDRAIX (1969 L), sa fille.