CAGNAC Bernard - 1950 s

CAGNAC (Bernard), né le 6 février 1931 à Paris, décédé le 3 juillet 2019 à Olivet (Loiret). – Promotion de 1950 s.


Tout a commencé un jour d’octobre 1950, lors d’une réunion précédant la rentrée de l’École qui avait lieu, à cette époque, après les congés de la Toussaint ; j’interpelle, au hasard, un futur condisciple : « Je crois que le fils du K intègre cette année... » (nos professeurs de taupe étaient souvent désignés par leurs initiales : « le K » pour Cagnac, « le P » pour Perrichet, « le Mar » pour Martenot...) . Réponse « C’est moi » . Nous avons aussitôt décidé de « cothurner », en nous adjoignant Michel Chaurand (1950 s) dont j’avais fait la connaissance en classe de cinquième (à cette époque

les nouveaux bâtiments de la rue Rataud étaient encore en construction, nous dormions en dortoirs et cothurnions à 3 ou 4 dans la journée) . Nous avons donc vécu deux ans dans les hauteurs du « palais », au 3e étage, côté rue Rataud ; notre collaboration proprement scolaire se bornait à effectuer en commun, pendant un an, des travaux pratiques de physique où l’aide de mes deux cothurnes physiciens fut bien précieuse au mathématicien que j’étais en train de devenir (à cette époque, la licence de mathématiques comportait un certificat de physique géné, bien utile pour améliorer la culture scientifique des matheux) . Bernard a d’ailleurs évoqué très fidèlement notre cohabitation dans la notice que nous avions écrite sur Michel Chaurand, en commun avec Raymond Hamelin (1950 s) et Jean Delloue (1947 s) (L’Archicube, n° 17 bis, février 2015) .

Bien que nos destins, à Bernard et à moi, aient quelque peu divergé à la sortie de l’École, ce fut le début d’une connaissance, plus purement amicale, et qui n’a jamais cessé . Il a toujours été très proche de moi et des miens dans les événements, heureux aussi bien que malheureux, de nos vies . Nous avons longuement discuté de sujets aussi « profonds » que ceux que voici :

« Au cours de l’ évolution qui conduit de l’ homo erectus à l’ homo sapiens, à quel stade doit-on situer l’apparition d’une “âme” chez ces êtres ? » .

« Difficulté, mais nécessité, de bien distinguer les natures profondes des régimes nazi et soviétique. » (La fin de la guerre mondiale n’était pas encore si lointaine ; j’avais tenté de connaître de l’intérieur la patrie du communisme) .

Mais Bernard avait aussi l’art d’expliquer avec passion des phénomènes physiques mystérieux, comme le rayon vert ou l’amplitude des marées au fond de la baie du Mont Saint-Michel .

Nos épouses, Jeannine et Janine ( !), sont très vite devenues, et restées, des amies aussi proches l’une de l’autre que l’étaient leurs maris ; nous avons pu découvrir tous ensemble les beautés du Limousin autour de Treignac, fief de la famille Cagnac, et de la Bretagne aux environs de Trébeurden, maison familiale de Janine . Nous avons souvent apprécié aussi les charmes plus secrets du 39 rue des Vignes, à Paris, toujours autour d’une table généreusement ouverte à bien des convives .

Aujourd’hui s’achève une amitié plus que soixantenaire .
Alain Guichardet (1950 s)

Bernard Cagnac a eu une carrière scientifique exemplaire dans le domaine de la physique atomique, en développant des méthodes spectroscopiques qui ont ouvert un domaine entier de recherche autour des mesures optiques de précision métrologique . Après sa thèse au cours de laquelle il a réalisé les premières expériences de pompage optique sous la direction conjointe d’Alfred Kastler (1921) et Jean Brossel (1938 s), Bernard Cagnac est nommé maître de conférences puis professeur à Orsay, avant de revenir en 1967 au laboratoire à l’École normale . Il y arrive au moment où s’ouvre le nouveau site de la faculté des Sciences de Paris, à la place de l’ancienne Halle aux vins à Jussieu . Il s’installe ainsi dans de nouveaux locaux, devenant l’un des « pères fondateurs » du laboratoire Kastler-Brossel sur ce site, qui représente aujourd’hui la moitié du laboratoire .

L’avènement des lasers à colorants va lui permettre de développer des idées très générales et de lancer une nouvelle ligne de recherche basée sur les transitions atomiques multiphotoniques . La méthode de spectroscopie à deux photons sans élargissement Doppler, qu’il a proposée et mise en œuvre pour la première fois sur l’atome de sodium, a ensuite été utilisée pour étudier l’hydrogène atomique et pour réaliser des mesures parmi les plus précises de certaines constantes fondamentales comme la constante de Rydberg . Il a fondé l’équipe « Métrologie des systèmes simples et tests fondamentaux » et en a été le responsable pendant de nombreuses années . Ses travaux ont initié de nombreux progrès expérimentaux et théoriques dans le domaine des mesures optiques métrologiques, encore renouvelés récemment par les mesures sur le rayon de charge du proton .

Bernard Cagnac était également un pédagogue hors pair . Très apprécié du fait de son dynamisme et de son enthousiasme, il a formé des générations d’étudiants à la physique atomique . Il savait rendre très concrètes des notions difficiles, en réalisant des montages expérimentaux qu’il utilisait pendant ses cours ou lors des visites qu’il organisait autour des expériences laser du laboratoire . Il était précis et rigoureux dans ses formulations comme en témoignent les deux ouvrages de physique qu’il a coécrits sur la physique atomique et les lasers . Plus récemment, il a rassemblé des souvenirs et écrit deux ouvrages qui nous sont aujourd’hui très précieux, l’un sur Alfred Kastler, prix Nobel de physique 1966, l’autre sur les trois physiciens – Henri Abraham (1886 s), Eugène Bloch (1897 s) et Georges Bruhat (1906 s) – fondateurs du laboratoire de physique de l’ENS .

Son engagement pour la communauté et notamment pour l’université, était exemplaire . Très concerné par l’enseignement de la physique expérimentale, il est à l’origine du centre d’instrumentation laser à Jussieu, projet qu’il a défendu pendant des années avant qu’il ne soit réalisé . Précurseur, il s’est impliqué dans l’insertion professionnelle des étudiants en créant ce qui s’appellerait aujourd’hui un Master pro . Généreux, il savait prendre la défense des étudiants, par exemple lorsqu’il a été directeur du CIES de Jussieu (Centre d’initiation à l’enseignement supérieur) . Bernard Cagnac a également été président de la Société Française de Physique en 1980-1981, membre du premier Comité national d’évaluation des universités sous la présidence de Laurent Schwartz (1934 s) en 1985-1989, président de l’Institut d’optique de 1990 à 2000, président de l’Egas (Groupe européen de spectroscopie atomique) de 1980 à 1982 . Il a œuvré aux côtés d’EDP Science pour mener à bien la fusion de trois revues scientifiques européennes en une seule, The European Physical Journal, créant ainsi une plateforme unifiée de diffusion de la physique au plus haut niveau international .

Tous ceux qui ont bien connu Bernard Cagnac – jusqu’à ces dernières années il venait encore souvent au laboratoire – gardent de lui le souvenir d’un homme passionné, curieux de science, curieux de tout, un ami au caractère jovial et dont la passion et la joie de vivre étaient très communicatives .

Antoine HEIDMANN (1980 s)
Directeur du laboratoire Kastler-Brossel