CAUSSE Maurice - 1943 s

CAUSSE (Maurice), né le 24 avril 1924 au Havre (Seine-Inférieure), décédé le 26 février 2020 à Saintes (Charente-Maritime). – Promotion de 1943 s.


Texte pour la cérémonie d’enterrement de Maurice Causse à Saintes, Lormont, le jeudi 5 mars 2020, commenté et complété.

Ceci est un texte sur nos 72 années de vie commune, avec quelques précisions biographiques d’ordre mathéma- tique, dans la mesure de ma mémoire de 96 ans. En effet, nous n’avions plus de lien avec la promotion 1943, sauf une rencontre à Bures-sur-Yvette, à l’invitation de René Thom.

Avant les 58 ans passés auprès d’une Charente paisible, la vie de Maurice Causse n’a pas été un long fleuve tranquille.

Il est admis au concours en 1943. Au cours de l’année 43-44 il participe à une opéra- tion ratée de vol de carte d’identité en banlieue parisienne et part dans le Vercors après avoir réussi le certificat de calcul différentiel. Là encore opération ratée, les maquisards attendaient un parachutage d’armes et ils se sont laissé surprendre par l’arrivée des planeurs allemands. Massacre pour les uns, fuite éperdue pour les autres. Ensuite il traverse la Drôme pour rejoindre un autre groupe de maquisards dans une région qu’il connaît bien et il peut enfin intégrer la division « De Gaulle ». Il est alors envoyé à Cherchell (Algérie) comme élève-officier et profite de la proximité d’Alger pour aller y passer le certificat de « mécanique rationnelle ». Il y rencontrera sur les bancs de l’Uni- versité le « fameux » et malheureux Maurice Audin, victime des paras en 1957.

La France libérée, il revient à Paris l’année scolaire 45-46, passe l’agrégation en 1947 et se marie. Il obtient une bourse CNRS, et présente une thèse sous la présidence de Louis de Broglie, travail où il reprend les travaux de l’astrophysicien britannique Edward Arthur Milne sur « La relativité restreinte », avec Jean-Louis Destouches comme maître de thèse.

En même temps il suit quelques cours à la faculté de Théologie protestante de Paris (hébreu, grec...), car fils, petit-fils, neveu, cousin de pasteurs, la théologie l’intéresse, et dès 1943 il entame avec son père, pasteur à Lyon (et docteur ès lettres), une correspondance hebdomadaire qui durera 20 ans.

Bien que docteur ès sciences, il renonce à une carrière dans la recherche scienti- fique et demande pour nous deux un poste à Madagascar, pays à majorité protestante à l’époque. Son arrivée permettra la création du MPC [Certificat d’études supé- rieures de mathématique, physique, chimie] complétant le PCB [Certificat d’études physiques, chimiques et biologiques] d’une université naissante. Nous donnerons bénévolement quelques heures de cours au collège protestant où nous aurons le plaisir de rencontrer un élève exceptionnel, Albert Zafy, qui sera quelque temps président de Madagascar, élu grâce à sa réputation de médecin intègre, mais sans parti politique organisé pour soutenir son action.

La demande de nomination de notre couple à Madagascar avait suscité une vive inquiétude dans les milieux officiels. Pourquoi un couple de normaliens aussi diplômés demandait-il à enseigner à Madagascar ? Maurice Causse à peine arrivé avait appris très rapidement la langue malgache. Il put donc lire les journaux locaux. Nous fréquentions des missionnaires protestants et des amis malgaches, mais pas du tout la société européenne, mis à part nos collègues enseignants.

Au bout des trois ans de contrat, le gouverneur nous fait savoir que nous ne pour- rons pas revenir après nos congés en métropole. « Ce ne sont pas des communistes, mais des chrétiens progressistes, c’est bien pire », a-t-il été dit à un collègue qui s’était renseigné au ministère.

Nous étions partis à Madagascar avec un enfant, et nous en revenons avec trois, Francine, Philippe et Susanne.

Le soleil, un frère et un beau-frère médecins militaires, l’un à Alger, l’autre dans le Sahara à Adrar, nous amènent à demander Alger. « Il n’y a pas de problème en Algérie », nous avait dit un inspecteur muté d’Alger à Tananarive (...). Nous arrivons en octobre 1953 à Alger. La « rébellion » démarre le 1er novembre 1954. Mais, pour nous, indubitablement, c’est déjà le premier pas vers une guerre d’indépendance. Éclairé en effet par les événements de Madagascar de 1947, Maurice Causse a prédit très tôt « qu’il y en aurait pour des années ».

Après un an pénible au lycée Bugeaud - lycée avec internat où règnent en maîtres des enfants de colons - il peut être nommé au lycée franco-musulman, la Médersa, où viennent les boursiers algériens, souvent très pauvres. Les élèves sont logés, nourris et chauffés et se trouvent alors dans un véritable paradis, comme leurs enseignants. Ils étudient le programme français allégé, mais également l’arabe parlé, l’arabe littéraire, et aussi le droit musulman qui s’applique dans certains domaines. Maurice Causse complète ses cours d’arabe de la faculté avec son collègue et ami Cheikh Aouissi Mécheri, professeur de droit musulman, qui l’initie à la lecture du Coran. Cet ami lui permettra d’augmenter ses connaissances sur les origines arabes de données mathématiques. Par la suite il émaillera toujours ses cours d’éléments d’histoire des sciences.

En 1961, on admettait des européens en terminale S dans ce lycée très particulier ; l’un d’eux est rentré chez lui en disant à son père, professeur de philosophie : « On a encore eu un cours de philosophie des sciences... » Il était visiblement très intéressé. Un de ses anciens élèves algériens deviendra spécialiste des documents scientifiques de Tombouctou et professeur émérite de la faculté de Lille.

Après avoir hébergé en 1957 une jeune femme algérienne, à la demande d’amis qui savaient que « les Causse ne font pas de politique », Maurice Causse est arrêté par les parachutistes, et conduit à la « villa des tortures » (villa Sésini). Il reçoit, dans ses bras, dans la cellule de la cave, un communiste d’origine juive qui avait été torturé : il le console en lui chantant des psaumes. Lui-même sera respecté, impressionnant l’officier parachutiste qui l’interroge par son attitude digne et respectueuse. Il y a abandon de l’accusation qui le visait au procès dit des « ultras chrétiens » de juillet 1957. Mais, à partir de ce moment-là, Maurice Causse reçoit des informations venues de ses amis arabes et européens sur les actes terribles commis sur une population opprimée ; en particulier des informations venant de l’archevêché ou du président des Églises protestantes françaises en Algérie.

Vers 1958, à l’occasion d’une période de formation militaire pour les officiers de réserve à Chréa, il propose d’améliorer la table de tir d’artillerie en l’adaptant au relief local, à la grande surprise des instructeurs qui surveillaient cet officier profes- seur qui s’était fait remarquer à Alger en 1957. Il a la confirmation de la méfiance à son égard quand, envoyant à sa famille à Saintes un télégramme en latin, il entend dire que la Poste a envoyé un message codé !

Ce passage par la Médersa se termine en février 1962 après l’assassinat par l’OAS des maîtres d’internat algériens alors qu’ils se rendent à leurs cours à l’Université. Le recteur ferme le lycée après la manifestation des élèves indignés ; l’émeute est calmée par Maurice Causse et son ami Mécheri à la demande du proviseur, frappé d’une crise cardiaque. On craint alors aussi pour lui, et le rectorat l’autorise à rentrer en France légalement, ce sera le 18 février 1962, laissant en un premier temps femme et enfants. Ce départ est d’autant plus urgent que son frère magistrat, vice-président du tribunal de grande instance d’Alger, vient d’être assassiné par l’OAS le 6 janvier 1962. Toute la famille rentrera en France fin juin comme de « faux pieds-noirs » juste avant l’indépendance.

Ces années de 1953 à 1962 nous auront laissé de grands souvenirs. Nous sommes retournés en 2001 à Tananarive où mon mari a donné des cours à la faculté de Théologie. En 2012, nous avons été invités à Alger par quatre anciens élèves de la Médersa, à l’occasion de l’Assemblée générale annuelle de l’Association des Médersiens, pour un hommage vibrant à celui qui fut leur professeur... 50 ans plus tôt !

Désormais avec sa femme et six enfants (les trois premiers, plus Bernard, Éveline et David – né à Alger en avril 1962 !), Maurice Causse rejoint ses parents à Saintes. La première année est rude - en particulier pour la mère de famille enseignante que j’étais, dans une maison très agréable en été, mais pas du tout en hiver... Je pris par la suite un an de congé sans solde qui se transforma en retraite. Et nous avons eu un septième enfant, Olivier.

Avant même notre arrivée à Saintes, le directeur de l’École d’agriculture avait proposé à Maurice Causse pour la rentrée un poste dans une classe nouvelle, la troi- sième du genre en France, ayant pour but d’amener les élèves à un niveau qui leur permette d’entrer sans le bachot dans la préparation à l’Agro. Dans le cycle agricole, les élèves non bacheliers ne pouvaient en effet passer que le concours de l’ENITA (École nationale d’ingénieurs en techniques agricoles), mais ils étaient payés dès la première année.

Maurice Causse décide de commencer son enseignement par la philo pour leur donner des bases utiles de raisonnement et de réflexion, puis de leur donner les outils mathématiques leur permettant de terminer très rapidement par la physique. Il va assumer cette tâche de la rentrée 1962 à 1969. Mais, à l’occasion d’un remplacement, précisément dans la classe de préparation à l’ENITA, il y découvre des élèves bien meilleurs et plus motivés que ceux de sa classe « spéciale » (ce choix étant souvent dû à un besoin financier). Comme il a été question de fermer une des trois classes, il propose de supprimer la dernière créée, celle de Saintes. Et il prend alors un poste au lycée classique de 1970 à 1983.

Très rapidement il va s’adapter aux nouveaux langages et méthodes mathéma- tiques, et participera à des séminaires de l’IREM de Poitiers, qui lui prêtera en 1974 un ordinateur HP, sans écran vidéo, mais avec matrice LEDs et table traçante, pour imprimer courbes et programmes. Avec cet outil il formera son fils de 11 ans à programmer des fonctions affines par morceaux pour dessiner cheval, maison,... Cette expérience lui permet quelque temps après d’enseigner à ses élèves de termi- nale S les principes de la programmation et les premiers algorithmes – se référant à Al-Khwârizmî (ixe siècle) – avec l’exemple de l’algorithme d’extraction des racines carrées. Par la suite il présentera une étude sur le boulier chinois. Étude qui sera publiée à son insu, ...et sans le nommer !

À l’époque, Maurice Causse pense qu’il était plus important de former les jeunes des niveaux clés : 4e, 2nde, terminale ; de fait il aura le plaisir, une année, d’obtenir qu’un tiers de sa classe de terminale S soit admis au lycée Montaigne de Bordeaux, en hypotaupe.

Par ailleurs, la directrice du lycée, de formation littéraire, lui ayant confié son désarroi devant la terminologie des « maths modernes », il fera des cours à ses collè- gues littéraires : élèves volontaires et appliqués.

Il prend sa retraite en janvier 1984 et ne fera plus de maths qu’avec ses nombreux neveux qui viennent l’été à Saintes pour des cours « privés », entrecoupés de parties de ping-pong ou de jeu de boules avec « l’oncle ». Son dernier succès sera de faire comprendre à sa petite-fille, professeur de design, les formules mathématiques de « l’hyperboloïde de révolution », forme utilisée par les architectes, notamment pour la construction des châteaux d’eau, lorsqu’après 1948 on installa l’eau potable partout en France. Cette petite-fille proposera aux inspecteurs généraux de mathématiques et de design un travail interdisciplinaire sur ce sujet, travail qui recevra un accueil enthousiaste et donnera lieu à une publication EDUSCOL : Surfaces gauches, déve- loppement en design.

C’est à Saintes que Maurice Causse, chercheur infatigable, a travaillé et publié sur le passé protestant de la Saintonge, puis de façon inattendue, a repris le travail du pasteur Paul Sabatier sur la vie de saint François d’Assise. Ce travail aboutit en 1993 à une nouvelle thèse, en théologie, sur « la question franciscaine ».

Puis, la question de l’islam – déjà travaillée en Algérie avec son grand ami, char- tiste, François Hauchecorne – reprend une place importante dans sa vie et le conduit à faire des synopses sur 120 hadiths – établissant des comparaisons entre des textes anciens et le Coran, pour en établir la chronologie – afin de mieux comprendre les origines, en partie chrétiennes, de l’islam.

Maurice Causse a eu la satisfaction de constater – deux mois avant sa mort – que ses travaux étaient en correspondance avec les derniers travaux de chercheurs actuels de plusieurs nationalités.

Ceux qui l’ont côtoyé évoquent les qualités profondes du père, du grand-père, de l’arrière-grand-père, de l’oncle et du grand-oncle, de l’ami, de l’enseignant « exigeant mais juste », du bénévole à la « halte d’urgence » et du service « banque alimentaire ».

Ils parlent aussi de son amour de la musique, de sa belle voix grave bien appré- ciée dans les chœurs auxquels nous avons participé, depuis la chorale de l’Oratoire du Louvre lorsque nous étions jeunes fiancés, jusqu’au chœur symphonique Polifonia – dirigé par sa belle-fille – finissant sa carrière de choriste avec le Paulus de Mendelssohn dans sa 90e année, en passant par les chorales de Saintes et le CoRéAM de Poitou-Charentes dirigé par Jean-Yves Gaudin. En 1951, il avait conduit l’Alleluia de Haendel en langue malgache pour l’accueil à Tananarive du président de l’Église réformée de France, Marc Boegner.

Sa mémoire stupéfiante lui permettait à tout moment – à table en particulier – de chanter une très vieille chanson ou de réciter une fable de La Fontaine, ou encore de faire un cours sur l’histoire des découvertes en astronomie.

L’an dernier et après la reconnaissance par le Président de la République de l’assas- sinat de Maurice Audin, Maurice Causse put lui apporter son témoignage sur cette « affaire », et en fut remercié.

Fatigué de toute part, considérant qu’il n’avait plus à chercher, affaibli par un cancer, il a attendu la fin avec sérénité.

Sa famille et ses amis lui ont dit adieu le 5 mars avec le chœur final de la Passion selon saint Jean de J.-S. Bach. Le chœur et l’orchestre étaient composés par ses enfants, ses petits-enfants, tous leurs conjoints, ses neveux et quelques amis très proches.

Il est maintenant à Mornac-sur-Seudre, pour sa dernière demeure. Pourquoi Mornac ? Parce qu’il n’y avait plus de place au cimetière de la famille Des Mesnards de Saintes, protestants depuis la Réforme, et que ce charmant village où il y a une demeure familiale depuis 1764 est celui de mes ancêtres maritimes.

Yvonne CAUSSE-BOITEUX (1944 S)