CUENAT Jean - 1950 s

CUENAT (Jean), né à Belfort (Territoire-de-Belfort) le 9 juillet 1929, décédé à Dourdan (Essonne) le 31 janvier 2017. – Promotion de 1950 s.


Jean Cuenat est l’aîné d’une famille de trois enfants (un garçon, une fille, un garçon) . Son père est professeur de mathématiques ; il deviendra proviseur de lycée technique . Sa mère est professeur de sciences (il y a du reste de nombreux membres de l’enseignement parmi les cousins et les oncles de Jean) . La famille habitera succes- sivement à Strasbourg, à Nice, à Cannes, à Nîmes et à Puteaux . Jean, toujours très bon élève, terminera ses études secondaires au lycée du Parc à Lyon . En 3/2, il sera reçu à l’École polytechnique, mais pour des raisons familiales, il choisira de refaire une année de mathématiques spéciales et entrera à l’École normale de la rue d’Ulm en 1950 . Il épouse le 3 août 1954 à Puteaux Gabrielle Cottin, professeur agrégée en physique-chimie (1950 S) . Leur fille Christelle, née le 20 juin 1967, qui a épousé Didier Tardivat, né le 7 mars 1967, leur donnera des petites-filles jumelles, Sophie et Caroline, nées le 28 septembre 1991 à Draguignan .

Jean et Gabrielle (Gaby) exerceront à Alger et à Metz, avant de venir s’instal- ler dans la région parisienne où ils termineront leur carrière, lui comme professeur de mathématiques spéciales au lycée Hoche à Versailles, elle comme professeur de sciences au lycée La Bruyère également à Versailles .

Jean Cuenat a publié un Cours de statistique élémentaire chez Magnard, collec- tion Dedron, et dirigé la traduction française de l’Atlas des mathématiques de Fritz et Heinrich Soeder à la Pochothèque .

À côté de sa profession, Jean Cuenat avait de nombreux pôles d’intérêts . Il aimait collectionner . Les petites voitures, les timbres, les livres etc . Mais sa grande passion, c’était les trains, les grands et les petits . Il a toujours suivi de près les progrès de la SNCF, l’électrification des réseaux, les TGV . . . Sa priorité, c’était son immense collection de wagons, de voitures de voyageurs, de locomotives (entre 500 et 600 éléments), jouets de marque Hornby, Märklin, Jep, Bing etc . à l’écartement 0 . Et il était à même de réparer à la perfection les éléments achetés en état imparfait .

Jean Cuenat est décédé le 31 janvier 2017 . Ses dernières années ont été difficiles pour lui .

Pierre CUENAT, son frère

Scolarité et profession

J’ai connu Jean Cuenat dès notre entrée à l’École, puis, ayant tous deux choisi l’orien- tation « Mathématiques », nous avons suivi les mêmes cours de licence et de préparation à l’agrégation ; il accordait toujours un soin extrême à l’étude de ces cours et même, fait plus rare dans un groupe de mathématiciens, aux travaux pratiques qui accompagnaient le certificat de hysique générale . Nos parcours ont commencé à diverger après l’agré- gation : j’ai choisi la carrière dénommée aujourd’hui « enseignant-chercheur », tandis qu’il optait pour une autre, qu’il a extraordinairement menée à bien : celle de profes- seur dans l’enseignement secondaire, puis de classe préparatoire ; il n’est que de lire l’hommage que lui a rendu, parmi tant d’autres, l’un de ses anciens élèves :

« Cher Monsieur Cuenat,

j’ai eu le privilège d’être votre élève il y a vingt-cinq ans. Je me souviens, comme si c’était hier, de la première impression que j’ai eue de vous : vous étiez déjà âgé – vous avez pris votre retraite deux ans plus tard – mais votre regard éclipsait tout le reste : vos yeux bleus pétillaient d’intelligence, d’esprit et d’amusement devant les questions mathématiques qui vous passionnaient. Vous étiez un enseignant exigeant, et cette année passée dans votre classe à préparer les concours les plus sélectifs n’a pas exactement été une sinécure... Vous avez pourtant su en atténuer la difficulté par votre intérêt et votre attention particuliers pour chacun de vos élèves, même les plus médiocres – parmi lesquels je me compte – même ceux dont les résul- tats ne laissaient guère augurer une réussite brillante au concours : chacun avait sa place dans votre classe, et vous mettiez un point d’honneur à accompagner chacun dans son parcours. »

Il était heureux de dire qu’il avait totalisé dans sa carrière 365 élèves reçus à l’École polytechnique . Je voudrais aussi souligner l’extrême soin qu’il a apporté à l’édition française de l’Atlas des mathématiques, pour laquelle il m’avait demandé d’ajouter quelques entrées . J’ai été témoin de la peine avec laquelle il a vécu sa mise à la retraite après tant d’années d’une activité aimée et fructueuse .

Ferrovimanie

Nous nous étions rapidement découvert une passion commune pour les chemins de fer, un goût qui semble bien désuet de nos jours ! Peu après notre sortie de l’École, j’ai pu admirer l’habileté avec laquelle il savait construire lui-même des locomotives et des wagons dans l’appartement de ses parents à Puteaux . Nos activités profession- nelles nous ont séparés pendant plusieurs années et ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert l’extraordinaire réseau ferroviaire qu’il avait installé dans sa maison de La Celle-Saint-Cloud .

Et c’est encore quand nous parlions chemins de fer dans sa chambre d’hôpital que quelques souvenirs remontaient à la surface de sa mémoire dévastée par la terrible maladie qui a fini par l’emporter .

Alain GUICHARDET (1950 s)

Compagnonnage

Notre long compagnonnage a commencé à notre entrée à l’École en 1950 . Trois ans durant, nous fûmes cothurnes, avec d’autres d’abord, puis seulement nous deux la dernière année . Notre thurne était très spacieuse, située au « petit palais », au niveau du toit, de sorte qu’il arrivait que des promeneurs audacieux viennent cogner à notre fenêtre ! Dès notre arrivée, Jean avait tenu à refaire la peinture des murs ; il veillait constamment à ce que tout soit propre et parfaitement rangé . Pour moi, c’était un bien agréable gardien de l’ordre .

Il participa toujours spontanément à la vie de notre « promo 50 s », à l’organisation de manifestations diverses, kermesses, bals, garden-parties . . . Il donnait généreuse- ment de son temps, contribuant ainsi à l’ambiance amicale de cette promo 50 s qui se prolongea dans nos retrouvailles quinquennales, plus fréquentes une fois la retraite venue . En 2000, c’est son épouse Gaby (également de la promo 50 S) et lui qui orga- nisèrent une magnifique rencontre dans leur maison de La Celle-Saint-Cloud .

Jean était un étudiant assidu . Je le vois encore à un cours à l’IHP (Institut Henri- Poincaré), quelque part dans l’amphithéâtre, plongé dans de longues conversations avec une sévrienne de la « promo 50 S » : il ignorait encore que cette jeune femme allait devenir sa compagne pour la vie .

Nous sommes restés en contact étroit, tant professionnel qu’amical, tout au long de notre carrière, et particulièrement lorsque nous nous sommes retrouvés tous deux en poste au lycée Hoche . Nommé dans cet établissement en 1968, il y restera jusqu’à son départ en retraite . Pendant six ans nous avons travaillé côte à côte, lui en Spéciales M’ et moi en Spéciales M .

Je l’ai vu donner sa pleine mesure dans son enseignement . Très aimé de ses élèves qu’il savait amener à donner le meilleur d’eux-mêmes, il a fait intégrer à l’X l’équivalent d’une promotion au complet . Le livret de témoignages de ses élèves à leur « Maître » est très éloquent à ce sujet . Ce sont eux d’ailleurs qui organisèrent pour son départ à la retraite une manifestation mémorable au Palais des Congrès à Versailles .

Une fois à la retraite, il a réuni dix anciens élèves germanistes pour traduire en français un Atlas des mathématiques paru en allemand . Lui-même était un très bon germaniste . Il avait par ailleurs tenu à compléter la version française par quelques articles d’universitaires . Cette étroite collaboration dans laquelle il a su les entraîner montre combien il restait attaché à ses élèves .

Jean a beaucoup donné à l’Éducation nationale . Il a participé à de nombreux jurys de concours de recrutement de professeurs de mathématiques, plusieurs fois à l’agrégation, plusieurs fois au CAPES, dans des contextes parfois difficiles (en 1968 par exemple) . Il mérite, ô combien, sa nomination aux grades de commandeur des Palmes académiques et de chevalier de l’Ordre national du Mérite . Appelé à l’Inspec- tion générale, il préféra rester avec sa classe, par amour de l’enseignement, peut-être aussi pour ne pas trop s’éloigner de sa famille .

Il a assuré pendant quelque temps, et en même temps qu’en Spéciale, d’autres enseignements, à l’école HECJF, au CNAM, à l’École nationale des PTT . Il est d’ail- leurs l’auteur d’un Cours de statistique élémentaire inspiré par le concours d’entrée à l’HECJF .

Par son rayonnement moral et intellectuel comme par la diversité et la qualité de ses talents, Jean était un être exceptionnel .

Mathématicien de valeur, toujours passionné, il nous communiquait régulière- ment le détail de ses recherches sur les groupes projectifs d’invariance des cubiques et quartiques, rédigé de sa fine écriture . Peu intéressé par les ressources de l’informa- tique, il continua jusqu’à la fin de sa vie à tout écrire au crayon et à la gomme .

Lui et son épouse étaient tous les deux extrêmement doués pour le travail manuel . Gaby faisait des merveilles dans le domaine de la décoration . Jean avait installé un tour dans son sous-sol afin de réaliser des pièces pour son « bricolage » de haut niveau, en particulier pour ses modèles réduits de trains dont il avait une collection exceptionnelle . C’est une pièce entière qui avait été aménagée au sous-sol de leur maison pour pouvoir rassembler l’ensemble et y installer un circuit complet qui fonctionnait à la perfection . Évidemment, c’était un vieil et fidèle abonné de la Vie du Rail .

Je pense aussi à son intérêt pour les livres rares, à ses recherches pour acquérir par exemple un exemplaire de l’édition originale du dictionnaire Larousse . Il avait l’âme d’un collectionneur, à tel point que la vente de sa très riche collection de timbres a pu l’aider à acheter un appartement à Chaville .

En tout domaine il visait la perfection, jusqu’à parfois se demander peut-être trop à lui-même . Mais il n’avait rien d’un « savant austère » . C’était un bon cama- rade, vrai, direct et fidèle . Et il aimait les chats, il les collectionnait presque autour de sa maison .

Ses deux dernières années ont été très douloureuses . Son épouse étant hospitalisée en longue durée à Dourdan, il a vendu leur maison pour se rapprocher d’elle . C’est là qu’il s’est éteint entouré par sa famille .

Gaby a dit un jour, avec l’humour qui était le sien : « Jean, c’est ma conscience » . Oui, il était un peu notre conscience, une conscience éclairante, ouverte, bienveillante .

Jacques DABLANC (1950 s)