d’ORMESSON Jean Bruno Wladimir François-de-Paule Lefèvre - 1944 l


d’ORMESSON (Jean Bruno Wladimir François-de-Paule Lefèvre)
, né le 16 juin 1925 à Paris (VIIe), décédé le 5 décembre 2017 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1944 l.


Aux yeux du grand public, il incarnait, ex-æquo avec Jacqueline de Romilly (1933 l), « l’ancien de Normale Sup » . Tout a déjà été dit sur lui, notamment lors de l’hommage national qui lui fut rendu dans la cour d’honneur des Invalides le 8 décembre 2017 ; toutes les plumes de son écritoire, toutes les flèches de son carquois ont été analysées pour que celui qui avait la coquetterie de se prétendre d’une consternante banalité apparaisse, en fait, comme le meilleur serviteur des Lettres et le plus brillant représentant de la

culture et de l’esprit français . Peut-être avait-il déjà tout dit sur lui-même et les siens, sur sa formation et son caractère, entre autres dans Le vagabond qui passe sous une ombrelle trouée (1975), Le rapport Gabriel (1999) et C’ était bien (2003) . Vouloir expli- quer sa séduction, son prestige, son aura, la saveur de ses propos relève de l’hybris ; il était « Jean d’O », dilettante imprévisible, conteur adulé, éternel séducteur... ces lignes n’ont la prétention que de le constater et de renvoyer à son œuvre .

Il incarnait la continuité d’une illustre lignée1 de serviteurs de l’État, inaugurée par Olivier Lefèvre (1525-1600) qui fut choisi entre cent candidats pour assister l’homme de confiance du Dauphin, le futur Henri II . Déjà la grâce d’un Concours... Cet orphelin de père à 5 ans, qui se fit (disait-il) à la force de son bras droit, connut alors une ascension fulgurante et acquit dès 1554 une terre dans le hameau d’Or- messon, paroisse d’Épinay-sur-Seine, près de Montmorency . Il épousa en 1559 l’arrière-petite-nièce de Saint François de Paule2 et ses descendants détinrent des postes de robe dans les conseils royaux, jusqu’à cet Olivier, troisième du nom, qui fut rapporteur au tribunal devant condamner à mort le surintendant Fouquet ; il refusa d’obtempérer aux volontés de Colbert et de Louis XIV, et Fouquet ne fut condamné qu’à la prison à vie . Olivier d’Ormesson connut alors la disgrâce, et l’ascension de ses descendants ne reprit que sous la Régence3 . Un proverbe de l’Ancien Régime vantait la courtoisie des Guise, l’esprit des Mortemart, la probité des Ormesson. La galerie de leurs portraits, chacun tenant un rapport intitulé Au Roi, orne la bibliothèque du château d’Ormesson, selon l’usage de la Rome antique .

Trois branches sont issues du premier Olivier d’Ormesson, et deux (Eaubonne et Noiseau) s’éteignirent à la Révolution . Olivier II avait lors du partage de 1600 obtenu pour lot d’héritage (entre autres) des terres et la seigneurie du village d’Am- boile, dans la basse vallée de la Marne, rebaptisé Ormesson par Louis XV . Le château d’Ormesson4, que Diderot comparaît à un flacon dans un seau de glace fut pillé lors de l’occupation des troupes saxo-prussiennes l’hiver 1870, le mobilier vendu . C’est Wladimir, l’oncle de Jean5, qui reconstitua petit à petit après 1918 la propriété fami- liale alors morcelée, pour la décrire dans Notre vieille maison (1929) . Le château de Saint-Fargeau en Puisaye, où Jean passa son enfance, et qui servit de cadre à la série télévisée adaptée par Robert Mazoyer de son roman Au plaisir de Dieu venait de la famille Anisson du Perron, la ligne maternelle, semble-t-il plus proche des personnages nommés dans le roman Plessis-Vaudreuil et de leur incarnation, le conservateur Sosthène, que les Ormesson6 .

Jean d’Ormesson se qualifiait volontiers de porphyrogénète à l’instar de ces souve- rains byzantins, nés lorsque leur père était déjà revêtu de la pourpre impériale . Il savait aussi que les Ormesson étaient destinés à servir et que seules, la maladie ou la mort pouvaient les en dispenser . Son père André (1877-1957 ; il fut ambassadeur de France du Front populaire, à Bucarest et à Rio de Janeiro) le lui répétait, autour de la pièce d’eau de Saint-Fargeau, tout comme son oncle Wladimir à Ormesson . Restait à trouver la voie de ce service . Alors que son frère aîné Henri fut reçu à l’École nationale d’administration (bien qu’auparavant il semblait un cancre notoire), Jean le cadet bifurqua de cette voie toute tracée vers le Conseil d’État et l’Inspection des Finances, et choisit le concours de légende de la rue d’Ulm .

Il raconte (Le rapport Gabriel, p . 85) sa réponse en forme de litote à l’interrogation paternelle « que comptes-tu faire plus tard ? entre » : je ne détesterais pas m’inscrire dans une de ces classes mythiques, pleines à craquer de poètes maudits et de génies en herbe, qui portaient le nom d’hypokhâgne et khâgne, qui préparaient à la rue d’Ulm et dont je ne savais rien. Il se décrit alors (C’était bien, p . 43) comme un brillant imbé- cile... et revendique, en revenant sur ses années d’adolescence durant l’Occupation, d’avoir à la suite de son père toujours été de l’infime minorité qui tout en vomissant Hitler, exécrait Staline (ibidem, p . 50) . Déjà, en 1938, l’atterrissage triomphal au Bourget de Daladier, « sauveur de la paix » à Munich, l’avait révulsé . Il passa la première partie du baccalauréat à Clermont-Ferrand (lycée Blaise-Pascal) en 1941 et la seconde à Nice où le professeur de philosophie du lycée Masséna, monsieur Fouassier, séduit par son style, l’initia à la philosophie militante et souffrante. Il récolta au bac un 2 en cosmologie (matière imposée par Vichy), compensé par un 19 en histoire-géographie .

Puis ce furent les rudes années à Henri IV, avec André Alba (1913 l), Jean Boudout (1920 l) et Jean Hyppolite (1925 l) pour l’aider à recoller au peloton... Il vécut acti- vement la libération de Paris et fut reçu rue d’Ulm, dans cette promotion 1944 dont le concours débuta en fait en janvier 1945 (il narre son oral d’histoire ancienne avec Henri Marrou (1925) dans Le Rapport Gabriel avec la question sur la hauteur des marches du Parthénon, p . 120) . Il eût pu être historien et exploiter les archives fami- liales ; il eût pu suivre son goût pour la littérature ; il constata que nul de ses ancêtres n’avait cédé aux clins d’œil de la philosophie et choisit de la servir . Après le maître de Nice, ce fut Jean Hyppolite, le futur directeur de l’École, qui décida de cette orien- tation à Henri-IV . Le marxisme, voire le trotskysme, dominaient alors la rue d’Ulm . Le 45, avec ses toits trop célèbres et ses murs un peu lépreux, se souvient des joutes homériques qui l’opposaient, au Pot et dans la cour aux Ernest, aux thuriféraires de Staline, qui apercevaient l’aube radieuse se levant sur le bonheur de l’humanité ; et lui d’affirmer que ce bonheur obligé ne lui convenait pas...

Il ne fut donc pas diplomate, mais il devint très vite, après la formalité de l’agré- gation et un rude service militaire, un des piliers de l’Unesco, tout aussi neuve que l’Ena . Dès 1950 il était secrétaire général du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines, créé par Jacques Rueff sous l’égide de cette toute neuve institution internationale . Il parcourut à ce titre les cinq continents et il anima la revue Diogène . Le titre même semblait choisi pour lui : ce philosophe disciple de Socrate mais cultivant l’originalité et parlant sans détour à Alexandre (au point qu’un apophtegme du Conquérant lui fait dire si je n’avais été Alexandre j’aurais voulu être Diogène) était adulé des Athéniens malgré son franc-parler à leur égard, ou plutôt à cause de celui-ci... Nul mieux que lui n’a senti, à plusieurs siècles d’écart, la présence des grandes figures de l’histoire universelle dans les lieux emblématiques . Mais ses innombrables séjours en Italie, dans toute la péninsule et particulièrement à Venise et à Florence, ne furent pas que professionnels : attrait irrésistible de la neige et des bains de mer...

Comme son frère aîné, il tâta des cabinets ministériels (Georges Bidault, qui avait été son professeur d’histoire à Louis-le-Grand, en classe de 3e, aux Affaires étrangères de la IVe, puis Maurice Herzog à la Jeunesse et aux Sports sous la Ve) ; mais il préféra vite suivre les méandres de la vie publique depuis le rond-point des Champs-Élysées : entré dès 1952 au conseil de gérance du Figaro, que dirigeait son oncle Wladimir, il en devint le directeur en 1974, puis présida la société qui gérait ce grand quotidien d’audience nationale, que les archicubes lisaient certes moins que son concurrent Le Monde, et l’adapta aux nécessités de la presse moderne, avec ses suppléments, littéraires ou économiques, voire féminins... Après l’arrivée de Robert Hersant, il quitta la Direction (1977) tout en restant membre du Comité de rédaction . En fait, gérer le Figaro (lui) paraissait la seule occupation supportable. Cette présence au cœur de la vie parisienne : politique, intellectuelle, économique, en fit très vite un habitué des plateaux de la télévision ; son charme s’exerçait par caméras interposées et la couleur magnifiait le bleu de ses yeux, amplifiant son pouvoir de séduction et faisant de lui l’invité permanent des Apostrophes et autres émissions littéraires, qui atteignaient des pics d’audience dès que sa présence était annoncée7 . Il ne déce- vait jamais, attendu qu’il était pour son esprit et ses réparties qui en d’autres temps eussent été l’objet d’annuels Ormessoniana. En somme, héritier de Raymond Aron (1924 l, philosophe et aussi éditorialiste au Figaro), il savait, en homme de synthèse, dépasser les clivages et les oppositions primaires . C’est aussi par la gestion du Figaro qu’il connut Ferdinand Béghin, dont il épousa la fille Françoise en 1962 .

Amateur de voyages, de ski, de bains de mer, de femmes et de voitures décapotables, il ne pouvait manquer, tel Paul Morand, d’écrire . Il appréciait particulièrement, avec François Mauriac, cet alexandrin de Jean de La Ville de Mirmont8 :

Car j’ai de grands départs inassouvis en moi...

Ses premiers ouvrages, qu’il lui arrivait de décrier, étaient déjà autobiographiques (Au revoir et merci, 1966), voire narcissiques (Du côté de chez Jean) . René Julliard l’en- couragea à poursuivre et c’est en 1971 La Gloire de l’Empire qui le révéla (Gallimard) et lui ouvrit un large public et les portes du quai Conti . Cette immense fresque historique, épique, artistique... narrait la saga d’un Empire imaginaire dont Alexis, le fondateur, était à la fois Alexandre le Grand, Gengis Khan et Octave-Auguste et dans lequel le romancier-pasticheur faisait intervenir, auprès de cet Alexis, de Sophocle à Michel-Ange, de Virgile à Dante, de Victor Hugo à Mao Zédong, etc . les phares (réels) de l’humanité . À un moment (p . 51) la princesse Héloïse doit, contre ses sentiments, se séparer du général Arsaphe, car ils ne sont pas de la même ethnie, et l’auteur présente alors leurs ultimes répliques, qui (dit-il) s’échangent pour l’éter- nité, en fait, il recopie la tirade de l’acte I scène 3 de Suréna qu’il rebaptise Arsaphe et Héloïse :

Je vous ai fait prier de ne me plus revoir,
Seigneur : votre présence étonne mon devoir
Et ce qui de mon cœur fait toutes les délices
Ne saurait plus m’offrir que de nouveaux supplices....

On chuchote dans les couloirs de l’Inspection que l’inscription au programme d’agrégation des Lettres de l’ultime pièce, le chef-d’œuvre de Pierre Corneille, l’année suivante, est due à ce passage...

C’est également dans La Gloire de l’Empire que l’auteur définit l’Histoire : science sans contrainte et sans conclusions, conseiller sans opinion et institutrice sans leçon, l’his- toire est le prophète d’un passé qu’elle a d’abord la charge d’inventer. Elle dit ce qu’on lui fait dire, et elle ne sert à rien. Le paradoxe et le miracle de l’histoire, c’est que cette inutilité si peu sûre murmure pourtant à l’homme quelque chose de lui-même (p . 479) .

Amplement fourni d’un index et de notes renvoyant à des travaux scientifiques imaginaires ou détournés, c’était un maître-livre en même temps qu’un immense canular, dans la plus pure tradition de la rue d’Ulm, écrit dans une langue super- bement épique, dans la grande tradition d’Augustin Thierry et de Jules Michelet . L’Académie lui décerna immédiatement son Grand Prix du Roman, et ouvrit deux ans plus tard ses portes à son auteur, qui choisit de s’asseoir – évidemment au fauteuil de l’auteur des Copains, Jules Romains (Louis Farigoule, 1906 l) .

Dès lors, chaque année voyait paraître, chez Gallimard principalement, mais aussi chez Jean-Claude Lattès, un nouvel opus du médiatique Immortel, avant que sa fille Héloïse ne prenne la tête d’une maison d’éditions née sous les meilleurs auspices, et que l’œuvre romanesque ne connaisse, de son vivant, la consécration suprême de la Pléïade . Toujours assortis de gros tirages (pour faire mentir Jean Giraudoux [1903 l] qui voulait que les normaliens publient le plus grand nombre d’ouvrages au plus petit tirage), romans, essais, récits de voyages dans l’espace ou le temps, ces livres s’alignaient jusqu’à l’ultime année 2017, pour le plus grand plaisir du lecteur, et au feint étonnement de l’auteur, qui n’en finissait pas de tirer sa révérence à ce monde qu’il aimait (et qui le lui rendait bien) en constatant que je m’en irai sans avoir tout dit . Comment les citer tous ici ?

Garçon ! de quoi écrire est une série d’entretiens avec François Sureau, parue en 1989, qui inaugure cette dernière série de ses ouvrages, entre l’essai dans la ligne de Montaigne, le roman historique, le récit de voyage, annexe des Guides bleus, et l’auto- biographie9 sous l’influence des Confessions de Rousseau ou d’Augustin d’Hippone, qu’il comprenait par l’intermédiaire d’un tableau de Carpaccio dans la scuola de Saint-Georges des Esclavons, à Venise évidemment . Venise, Florence : deux pôles où sa présence est prégnante .

Le bonheur à San Miniato incite désormais à Florence les voyageurs à monter sur cette colline dominant l’Arno, plus encore qu’à Fiesole ; ce roman achève la trilogie Le vent du soir – Tous les hommes en sont fous (1985-1987) dont le tirage total frôla les deux millions d’exemplaires . La douane de mer (1993) fait mourir le narrateur dès la première page, en face de la piazzetta de San Marco et du campanile de Saint- Georges, pour que son âme survole Venise une dernière fois, comme si le dernier rêve10 était pour la cité des Doges . Son attirance pour la Sérénissime transparaît quasiment à chaque page de son œuvre : Le Juif errant passe par le Grand Canal avant de rejoindre Christophe Colomb à Palos de Moguer...

Nageur entre les deux rives du passé et de l’avenir, le populaire et médiatique « Jean d’O » ne doit pas cacher le grand écrivain, qui savait avec Stendhal qu’il n’y a que l’avenir pour donner son sens au présent. Comme le Vigny de l’Esprit pur, il était en avance sur son temps, et comptait sur la jeune postérité d’un vivant qui (vous) aime. Homme de culture, dont la coquetterie lui permettait l’auto-persiflage par des formules comme brillant imbécile ou ignorance encyclopédique, il sut la mettre au service de toutes les audaces, anachronismes et rapprochements en apparence saugre- nus, mais tellement révélateurs . Enfant d’une époque noire entre toutes, témoin des plus atroces vilenies dont l’Histoire conserve la trace, il aimait plus que tout, et plus que beaucoup d’autres, la vie, qu’il ne cessait d’admirer . Légèreté et goût du plaisir étaient les qualités maîtresses de sa jeunesse : il sut les conserver et les faire partager . En écho au verset de Saint-John Perse (Anabase IV), C’est là le train du monde et je n’ai que du bien à en dire, il ne cessait de bénir l’univers et de (se) réjouir d’être né (C’était bien, p . 200) . Il savait l’étendue de son mensonge quand il écrivait après La Bruyère et son Tout est dit et l’on vient trop tard (ibidem p . 242) : Je suis le dernier à écrire comme j’écris. Je suis un laissé-pour-compte, je suis une fin de série. J’écris comme au siècle dernier, comme aux siècles d’avant... oui, je sais, j’écris en moins bien. Et d’énumérer les maîtres et prédécesseurs admirés, adulés : La Bruyère, Fontenelle, Vauvenargues, Mérimée, Jules Romains et Paul Morand11 . C’est le d’Ormesson-écri- vant-au-crayon, ce crayon que le Président, clôturant l’adieu national, a déposé sur le

cercueil dans la cour des Invalides .
C’est là son héritage, son
service rendu à force de se montrer sans fard, de se

dire heureux d’être et d’écrire, heureux de célébrer la beauté sous toutes ses formes, heureux aussi quand ses lecteurs lui apprenaient que ses ouvrages avaient aidé un de leurs proches, malade, à franchir le pont12, heureux de vivre, de le dire et de le répé- ter dans les ouvrages de la nonantaine, approchée puis surmontée . Oui, vraiment, Monsieur d’Ormesson, votre choix était bon et votre père peut être fier de vous . C’était bien. Au revoir et merci .

Patrice CAUDERLIER (1965 l)

Notes

  1. 1 .  Le chartrier des Ormesson, l’un des plus beaux que possèdent les Archives nationales, leur a été légué par Wladimir d’Ormesson (l’oncle de Jean), et son inventaire a été publié en 1960 par Yvonne Lanhers et Michel Antoine . Complété par des documents conservés à Rouen et publiés par Adolphe Chéruel, il a fait l’objet de la thèse de Jean-François Solnon, publiée en 1991 sous le titre Les Ormesson : au plaisir de l’État (534 pages, Paris 1991) référence explicite à l’œuvre de Jean, Au plaisir de Dieu.

  2. 2 .  Elle s’appelait Anne d’Alesso .
    Ceci explique la présence du prénom François de Paule (ou Françoise) à toutes les géné- rations, jusqu’à la Troisième République (voir les tableaux généalogiques de Jean-François Solnon, pages 484/5) .

  3. 3 .  C’est en 1758 que Louis XV changea en Ormesson le nom du village d’Amboile, près de Chennevières-sur-Marne, attesté depuis huit siècles . Voir les trois tomes d’Amboile- Ormesson rédigés à compte d’auteur par l’abbé Philippe Varaigne, curé du lieu, entre 1961 et 1989 et préfacés successivement par Wladimir (pour l’histoire du village), Jean (pour le château et l’église) et Olivier (pour les Ormessonnais de l’an 2000), le fils de Wladimir, alors maire depuis 41 ans, et enraciné dans la vie politique locale .

    La mère du signataire de ces lignes lui rapportait que, vers 1925, lorsque la torpédo de Wladimir apparaissait sur la route nationale 4 dans la ville, déjà rouge, de Champigny- sur-Marne, les institutrices arrêtaient la récréation et toute l’école saluait le passage de Monsieur d’Ormesson, ces dames ôtant leur chapeau, accessoire à l’époque indispensable dans une cour d’école primaire .

  1. 4 .  Ce château avait été construit au xvIe siècle par l’architecte Androuët du Cerceau . Ses

    dépendances s’étendaient sur 975 hectares en 1789, et 1422 hectares en 1792 : broutille, comparée aux 5700 ha des Berthier de Sauvigny vers Étampes, (dont Thaïs, la dernière fille d’Henri François-de-Paule d’Ormesson, épousa l’héritier à la veille de la Révolution et mourut à 16 ans d’un remède mal dosé contre le psoriasis) ou encore, toujours en Beauce, aux 19 470 ha du fermier général Legendre...

  2. 5 .  Élu à l’Académie Française au fauteuil précédemment occupé par Paul Claudel, Wladimir d’Ormesson (1888-1973) fut longtemps, à des titres divers, la grande plume et le grand administrateur du Figaro . Il partagea ses activités entre la diplomatie, la littérature et ses nombreux enfants . Il fit entrer son neveu au conseil d’administration du journal dès 1952 . Il faut retenir de lui Les vraies confidences (1962) et De Saint-Pétersbourg à Rome (1969) . Dans la préface du tome II d’Amboile-Ormesson (cf . note 3), Jean entend encore (son) oncle Wladimir raconter le soir les aventures du Vert Galant, le triomphe et la chute de Fouquet, les visites de Diderot....

  3. 6 .  La vente du château fut une tragédie familiale narrée dans le Vagabond . Selon Jean-François Solnon, op .cit . p . 505, Saint-Simon eût exalté les Plessis-Vaudreuil ; il ignore les Ormesson. Il reprend ainsi un constat du Vagabond qui passe sous une ombrelle trouée (page 30) : ma famille appartenait à cette race de parlementaires exécrés par le duc et écrasés avec mépris par son génie furieux. Les Plessis-Vaudreuil et leur patriarche Sosthène sont dans le roman et la série télévisée présentés comme des nostalgiques de la féodalité, des conservateurs atta- chés à la chasse à courre et autres plaisirs d’Ancien Régime, le contraire des Ormesson, dont leur descendant écrit nous qui servions le Roi, nous étions souvent contre lui. Dans Le vagabond... transparaît la consternation des Anisson du Perron lorsque leur fille Marie annonça son intention d’épouser André d’Ormesson : mais c’est un républicain ! C’était en 1920...

    Jean d’Ormesson avait voulu souligner l’abstention de ses ancêtres sous l’Empire ; il chan- gea d’avis en constatant que l’un d’eux avait accepté de devenir maire d’Ormesson sous le Consulat – alors qu’un autre Ormesson avait refusé de succéder à Sylvain Bailly à la mairie de Paris sous la Convention ....

  4. 7 .  Il est piquant de constater que l’animateur de ces soirées télévisées du vendredi, le spirituel et avenant Bernard Pivot, avait été remercié du Figaro...
    Jean d’Ormesson confesse plusieurs fois qu’un des grands regrets de sa longue existence est de n’avoir connu Jacqueline de Romilly que sur le tard, grâce aux plateaux de la télévision ; il fit campagne pour son entrée à l’Académie française alors qu’elle était déjà membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, comme il avait fait ouvrir les portes du quai Conti à Marguerite Yourcenar et à bien d’autres : c’était sa manière de défendre et d’illustrer la langue française . Les Discours de réception (Marguerite Yourcenar, Michel Mohrt...) ont fait l’objet de parutions séparées .

  5. 8 .  Ce poète, mort comme tant d’autres à la guerre de 1914-18, était le fils de l’archicube Henri de La Ville de Mirmont (1877 l), professeur de latin à Bordeaux et qui survit par ses éditions des premiers Discours de Cicéron, au tout début de la Collection des Universités de France, dont la confection lui fut un dérivatif au deuil de son fils .

  1. 9 .  Il a voulu brouiller les pistes en faisant parler à la première personne un personnage nommé Casimir, comme le roi de Pologne (de Jarry ?) qui peut être vu comme la marionnette du ventriloque (Casimir mène la grande vie, 1997) et qui contient des allusions transparentes à son parcours, comme des détails imaginaires, ou rêvés . Page 27, l’irascible aïeul de Casimir lui assène cette phrase prémonitoire (sa jeunesse étant à situer aux beaux jours du surréa- lisme) : ces imbéciles d’auteurs, ils écrivent comme ça (l’acte surréaliste le plus simple : descendre dans la rue avec une mitraillette et tirer au hasard sur les passants) mais ils ne font jamais rien de ce qu’ils recommandent ; et ils finissent comme tout le monde, avec des obsèques nationales, la Légion d’honneur autour du cou et les sous du Nobel sur leur compte en banque bien garni. L’obsession du Nobel semble le hanter cette année-là .

  2. 10 .  Sous le titre Mon dernier rêve sera pour vous, Jean d’Ormesson a écrit une définitive biogra- phie sentimentale de Chateaubriand (Lattès, 1982) en le suivant pas à pas avec toutes ses conquêtes, sur les lieux de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem et ailleurs... Présenté comme le portrait d’un séducteur par un écrivain, c’est aussi l’inverse, le jeu de miroir se prolongeant à l’infini avec le reflet de la mer, le miroitement des yeux... et les feux du génie, qui trans- mue en or le moindre plomb – surtout quand le journal de son domestique Julien sert de contrepoint ! – et qui, suprême paradoxe, jette sur Venise les anathèmes dépourvus d’appel que l’on sait...

  3. 11 .  Cette énumération n’était sans doute pas exhaustive et il semble convenable d’y joindre deux autres maîtres, revendiqués hautement par Jean d’Ormesson : Paul Valéry pour la pensée, Jules Renard pour le style .

  4. 12 .  La grande histoire retiendra que Jean d’Ormesson aida aussi François Mitterrand à franchir l’ultime pont, fin décembre 1995 .