DÉTRAZ Claude - 1958 s

DÉTRAZ (Claude), né le 20 mars 1938 à Albi (Tarn), décédé le 20 juin 2020 à Challex (Ain). – Promotion de 1958 s.


Docteur en sciences physiques, Claude Détraz est entré au CNRS en 1962 pour entamer une carrière de chercheur dans l’étude des noyaux atomiques . Claude Détraz a été un grand scientifique et un visionnaire pour la physique nucléaire française et européenne .

Il rejoint en 1962 l’Institut de physique nucléaire d’Orsay, laboratoire crée par Irène et Frédéric Joliot-Curie, aujourd’hui réuni avec les laboratoires voisins d’Orsay au sein du Laboratoire de physique des 2 infinis « Irène Joliot- Curie » (IJCLab) .

De ses premières années dans la recherche, on peut souligner ses travaux en struc- ture nucléaire, que ce soit au sein de l’équipe du professeur Joseph Cerny à Berkeley (USA), en Allemagne (Max-Planck Institut de Heidelberg), de nouveau aux États- Unis à Boulder, à l’Université du Colorado, et au Tandem d’Orsay . C’est là qu’il commencera les expériences sur les mesures de masse par transfert de nucléons . Par la suite c’est au Cern sur le PS (Synchrotron à protons) en collaboration avec l’équipe de Robert Klapisch que viendront les premières mises en évidence de déformation dans les noyaux exotiques proches des fermetures de couches comme précisément N=20 . Fort de ces résultats, il se convainc que des faisceaux du Ganil (Grand accélé- rateur national d’ions lourds) à Caen pourraient aussi devenir un outil unique dans ce domaine .

Brillant, excellent chercheur, sachant communiquer de manière convaincante à tous les publics sa passion pour la recherche aux frontières de la connaissance, il va très rapidement occuper des postes de haute responsabilité scientifique en France et en Europe . Après avoir été président de la section de Physique nucléaire du Comité national du CNRS, Claude Détraz va diriger le Ganil de 1982 à 1990, avec en particulier la mise en place d’équipes de recherches et l’impulsion donnée à l’émer- gence de la physique des noyaux « dits exotiques », noyaux éphémères qui naissent et meurent dans les étoiles .

Dans la même période 1980-1990, il a joué un rôle essentiel dans la mise en œuvre du Comité européen NuPECC (Nuclear Physics Collaboration Committee au sein de l’European Science Foundation), prolongeant les efforts d’Hélène Langevin et Paul Kienle (Munich) : NuPECC voit le jour en 1988 et Claude Détraz en sera le premier président élu de 1989 à 1992 . Ce comité reste jusqu’à aujourd’hui un élément incontournable de la cohérence de la physique nucléaire européenne .

Toujours proche du terrain et des innovations, Claude aide à la création d’entreprises R&D en région basse normande et devient président du conseil d’administration de l’entreprise Pantechnik à Bayeux, créée en 1991 .

En 1991, il est conseiller technique au cabinet du ministre de la Recherche, Hubert Curien (1945 s), qui a ensuite présidé le Conseil du Cern lors de l’approba- tion du projet LHC (Large Hadron Collider) en 1994 . Par ses interventions à tous les niveaux des instances décisionnelles en France, Claude Détraz a efficacement contribué à faire approuver le projet LHC . Il a par exemple œuvré pour qu’Hu- bert Curien prenne la direction du Conseil du Cern, lui qui a exercé une influence majeure au cours de la phase finale de décision .

Directeur de l’IN2P3 (Institut national de physique nucléaire et des particules du CNRS) de 1992 à 1998, il a lancé la France, en liaison étroite avec Robert Aymar d’abord, puis avec Catherine Césarsky du CEA, dans l’aventure du LHC . Son enga- gement a été capital pour que la France et ses instituts prennent une place de tout premier plan dans ce projet . Il précisera les orientations qu’il veut donner à l’institut en déclarant : « désormais, nous inscrivons nos recherches dans quatre domaines : matière nucléaire (dans tous ses états), quarks et leptons, quarks et hadrons dans la matière, noyaux et particules dans l’univers... » .

En 1999, Luciano Maiani, directeur général du Cern, le nomme directeur de la recherche, en tandem avec Roger Cashmore, jusqu’en 2003 . C’est une époque riche en évènements pour le Cern avec l’arrêt du LEP, l’excavation des cavernes du LHC et le démarrage du projet de faisceau de neutrinos du Cern en direction du laboratoire souterrain du Gran Sasso, auquel Claude a grandement contribué .

Tout au long de sa carrière, Claude Détraz a promu et favorisé les échanges entre disciplines scientifiques . Issu de la physique nucléaire, il a établi des passerelles avec la physique des particules . Il a également été l’un des artisans de l’émergence de l’astroparticule, discipline reliant les deux infinis .

Il a été membre du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie et de nombreux comités internationaux tout au long de sa carrière .

Ses mérites pour ses travaux scientifiques et plus largement pour la recherche en général ont été honorés en France et à l’étranger par de nombreuses distinctions : Prix Joliot-Curie de la SFP, médaille d’argent du CNRS, prix Gay-Lussac-Humboldt de la fondation Humboldt, Commandeur de l’ordre de la légion d’honneur, Docteur honoris causa du laboratoire JINR Dubna (Russie) .

Claude Détraz a été un physicien engagé, défenseur infatigable d’une recherche de pointe intégrée à la société . La recherche, disait-il, « c’est l’acte par lequel une société avancée exprime sa foi en un avenir ouvert . C’est une immense ambition d’explorer aussi loin que possible la nature, la vie, l’humain . » Cette idée que la recherche doit faire corps avec le monde qui nous entoure a été un guide puissant qui l’a accom- pagné durant toute sa vie . Elle explique en partie l’engagement politique qui a été le sien et sa participation à la vie de la Cité (conseiller municipal d’Orsay, maire de Maison-Maugis dans l’Orne) .

J’ai connu Claude Détraz en 1976 à l’IPN Orsay où je terminais mon DEA de physique nucléaire par un stage dans son équipe . Impressionnée à la fois par sa vaste culture et par son dynamisme et son humanisme, c’est tout naturellement que j’ai continué, à ses côtés, mes recherches en structure nucléaire sur les noyaux exotiques et y ai soutenu mes deux thèses en 1978 (thèse de 3e cycle) et en 1982 (thèse d’État) . J’ai beaucoup appris auprès de lui mais, au-delà de cela, il a été un merveilleux collègue de travail tout au long de ses années d’activité . Je me souviens du jour où il m’a demandé de le suivre à Caen pour le démarrage du Ganil et donc de quitter la région parisienne . Il a été tellement enthousiaste et convaincant que je n’ai pas hésité bien longtemps . Ces années ont été merveilleuses et je lui dois énormément . Bien sûr des résultats scientifiques très intéressants et très innovants, mais aussi une façon de travailler très enrichissante . Il savait à la fois être présent, impatient et exigeant et vous laisser prendre nombre d’initiatives et disposer d’une autonomie complète . C’est vraiment grâce à lui que j’ai pu mener rapidement une carrière de physicienne à part entière . Il avait une qualité exceptionnelle, celle de valoriser ses collaborateurs et de toujours les pousser sur le devant de la scène, notamment en les envoyant présenter les résultats des recherches de l’équipe dans des conférences internationales là où d’autres l’auraient fait eux-mêmes .

Plus tard, lorsqu’il était directeur de l’IN2P3, nous avons continué notre colla- boration, à un autre niveau évidemment mais avec toujours autant d’écoute et de bonheur . Et de même lorsqu’il était au Cern . Bref, que de très bons souvenirs !

Au-delà de la physique, il a toujours été un ami constant et chaleureux, très humain et très proche et j’ai partagé avec lui de nombreux évènements heureux . Même si la vie nous a un peu éloignés depuis notre dernière rencontre à Caen fin 2016, je garde de Claude l’image d’un scientifique brillant, d’un leader incontesté et d’un ami présent et toujours à l’écoute .

Notre communauté scientifique a salué l’homme « des Lumières » par son enga- gement, son efficacité, sa clairvoyance et son humanisme . D’une vaste culture et d’une très grande finesse, s’exprimant de manière fleurie, convaincante et touchante, son impact et son rôle dans nos disciplines resteront pour longtemps . Mais pour moi, c’est tout simplement la perte d’un ami très proche .

Dominique GUILLEMAUD MUELLER
Directrice de recherche émérite au CNRS