DUFONT Suzanne (épouse DIXMIER) - 1942 S

DUFONT (Suzanne), épouse DIXMIER, née le 12 avril 1923 à Paris, décédée le 20 février 2019 à Paris. – Promotion de 1942 S.


Les parents de Suzanne étaient instituteurs, et ont terminé leur carrière comme directeurs d’écoles primaires. Suzanne a fait l’essentiel de sa scolarité secondaire au lycée Fénelon à Paris.

Reçue à Sèvres dès sa première tentative à l’été 1942, elle a passé quatre années à l’École comme mathématicienne. Les conditions matérielles, souvent décrites, étaient assez pénibles. Bien entendu, l’occupation allemande, jusqu’à l’été 1944, créait une atmosphère déprimante, aggravée

dans le cas de Suzanne par un drame familial : un de ses cousins germains, Marcel Legendre, qu’elle aimait beaucoup, et qui avait rejoint un maquis corrézien, a été arrêté, torturé et fusillé par la milice de Vichy en 1943.

On ne s’étonnera pas qu’elle ait rejoint alors une organisation de résistance. Bien plus tard, elle a adhéré au parti communiste et lui est restée fidèle jusqu’à la fin.

Revenons en 1942. Les deux promotions scientifiques de Sèvres et Ulm, peu nombreuses, suivaient à peu près les mêmes cours. Nous avons vite fait connaissance et une solide camaraderie nous a beaucoup aidés dans nos vies et nos études. En juillet 1945, Suzanne a été reçue première à l’agrégation féminine de mathématiques.

Nous nous sommes mariés en août 1945. Nous avons eu trois enfants : un fils, ingénieur ; une fille, médecin gynécologue ; une autre fille, professeur de mathéma- tiques dans les lycées. Cinq petits-enfants, trois arrière-petits-enfants ont joué un grand rôle dans la vie de Suzanne. Suzanne a généralement joui d’une bonne santé. C’est une maladie assez brève qui l’a terrassée à 95 ans passés.

Après sa sortie de l’École en 1946, Suzanne a été professeur dans les lycées de Bourges, de Chartres, de Dijon, et au lycée Victor-Hugo à Paris. De 1948 à 1952, elle a été attachée de recherches au CNRS ; son directeur de recherches était Albert Châtelet (1905 s), alors doyen de la faculté des sciences de Paris). En 1959, détachée de l’enseignement secondaire, elle a été nommée chef de travaux puis maître-assistant à l’université de Lille. En 1965, elle a rejoint l’université d’Amiens, récemment créée, où elle a été rapidement promue maître de conférences puis profes- seur. C’est là qu’elle a pris sa retraite en 1989.

Suzanne a soutenu, en 1969, une thèse d’État sur la théorie des p-groupes. Le jury était composé de Pierre Samuel (1940 s), Michel Lazard et Paul Malliavin. Le directeur scientifique était Michel Lazard. Cette thèse est parue sous la forme d’un mémoire de la Société mathématique de France. Elle avait été résumée dans une note aux Comptes Rendus de l’Académie des sciences en 1964. Par ailleurs, Georges Poitou (1945 s), qui a dirigé la rédaction d’un ouvrage collectif important sur la cohomologie des groupes, a confié l’écriture d’un des chapitres à Suzanne. Suzanne a aussi écrit, en collaboration avec François Zara, une note sur « certains graphes liés aux groupes classiques » (1976). Presque jusqu’à la fin, Suzanne a travaillé sur les groupes, notamment sur les groupes simples et les géométries combinatoires qui leur sont liées.

Suzanne s’est intéressée toute sa vie aux littératures française et étrangères, clas- siques et contemporaines. Au cinéma. À la musique. Elle fréquentait assidûment les musées parisiens, notamment le musée Cernuschi. Elle avait un attachement parti- culier pour la peinture qu’elle pratiquait chez elle dans un petit atelier. Pièce intime et pleine de secrets, presque un sanctuaire. Entourée des auteurs et des références picturales qu’elle aimait, tels Proust et Bonnard, elle y peignait des natures mortes et des portraits, au pastel ou à l’huile. Suzanne a transmis cet amour des arts à sa famille et certains de ses petits-enfants y ont trouvé leur vocation. Leur vie aurait certainement pris un tout autre chemin sans elle.

Nous avons voyagé ensemble au Canada, aux États-Unis, au Mexique, en Inde, en Tunisie, et dans la plupart des pays européens.

Nous avions gardé le contact avec plusieurs camarades de promotion. Aujourd’hui, presque plus personne n’est là pour partager avec moi ces souvenirs normaliens.

Jacques DIXMIER (1942 s)