FERRERO Dominique - 1968 l

FERRERO (Dominique), né le 14 mars 1947 à Nice (Alpes-Maritimes), décédé le 29 mars 2023 à Guéthary (Pyrénées-Atlantiques). – Promotion de 1968 l.


était, et il restera longtemps, une figure emblématique de l’audace et de la réussite . L’histoire retiendra l’image de l’étincelant conquérant, déclamant en grec des strophes de Pindare (ou un chant d’Homère ?) sur le pont du navire de croisière, arrivant en vue des montagnes de la Crète, devant un auditoire de banquiers médusés . Il fut l’homme de beau- coup de vies : difficile de les connaître toutes . Moi qui l’ai croisé et recroisé au cours de ce demi-siècle, saurais-je dire pour autant qui il était vraiment ?

Voisins dans la khâgne de Louis-le-Grand en 1967-1968, où nous n’étions séparés que de quelques bancs, nous nous retrouvions un demi- siècle plus tard, voisins de nouveau, à quelques numéros près, place du Panthéon . Par le même jeu du hasard, sinon du destin, c’est aussi dans cet immeuble tout proche du mien qu’il retrouvait Max Gallo, dont il aurait pu être le frère, ou le double : même modestie des origines, même ascendance italienne, même ville de naissance, Nice, même prodigieuse ascension sociale . Son père était en effet chauffeur routier et sa mère caissière de supermarché (on ne disait pas encore hôtesse de caisse) .

Venu du lycée Masséna après un brillantissime baccalauréat, il nous éblouissait tous, aussi bien en version latine qu’en philosophie ; il fascinait Pierre Gioan (1930 l), il nous émerveillait, nous et l’enseignant si efficace que fut Jean Deprun (1943 l) .

Entre ces deux dates : 1968 – où il intègre l’École – et 1978 – où selon le site biographique du Bulletin quotidien auquel je suis redevable, il entre comme rédac- teur à ce qui était alors la Banque française du commerce extérieur (BFCE) : rien . Sa trace se perd, et je me souviens comme mes camarades de son appartenance aux chapelles trotskystes en ces années post-68, où les cercles maoïstes (qui restent dans l’histoire comme les Mao-spontex) cherchaient désespérément à analyser pourquoi le mouvement du printemps leur avait échappé, où les marxistes orthodoxes tentaient de se remettre dans le vent de l’Histoire ; et lui, avait-il choisi les souterrains de la Taupe rouge (le journal d’Arlette Laguiller), suivait-il Alain Krivine ou était-il dans la troisième mouvance de la Quatrième internationale, celle du mystérieux Boussel- Lambert ? Nul à ma connaissance ne pourrait le dire, ni s’il a joué un rôle dans les évènements de fin mai 1971 à l’École . Les dix années qui séparent ces deux dates semblent en tout cas coïncider avec la fin de l’engagement décennal que nous sous- crivions tous avant de subir le Concours, et dont il s’acquitta vraisemblablement en cumulant des années complémentaires rue d’Ulm, et une sinon deux années dans des lycées ou collèges de banlieue : sa légende s’appuie sur un vague pluriel années d’ensei- gnement précédant son entrée à la BFCE . En tout cas je ne l’ai jamais interrogé sur ces années-là . M’aurait-il répondu ? Un point est acquis : il ne se présenta jamais à aucune agrégation, il n’entama aucun cursus de doctorat et il ne se présenta pas non plus à l’ENA ou à Sciences Po . Il m’est impossible, là encore, de dire quels séminaires d’Ulm l’intéressèrent ; il compléta ses certificats de licence, c’est administrativement sûr .

Trente années plus tard, le voilà au sommet de l’industrie bancaire française, directeur général de la Banque française du commerce extérieur, puis du Crédit lyonnais, et créateur et donc directeur de Natexis, la banque de marché du groupe des Banques populaires, et il est le principal acteur de la fusion de ces Banques popu- laires avec les Caisses d’épargne pour former ce qui est aujourd’hui le grand groupe mutualiste BPCE (reprenant les initiales) . Carrière fulgurante, hors normes, hors de tous les sentiers tracés, hors de toutes les séries . Directeur général, président, de ces groupes, souvent les deux à la fois, il devient, lui le fils du camionneur, l’un des plus hauts dirigeants de la banque française, des plus respectés, des plus redoutés .

Je le croisai ainsi, lui au cabinet d’Édith Cresson, ministre du Commerce exté- rieur, et moi au Quai d’Orsay, lorsque nous négociions les conditions de vente à  la  Chine de ses premières centrales nucléaires françaises . C’est par elle, l’ancienne maire de Châtellerault, devenue ministre de Laurent Fabius (1966 l) à l’Industrie et au Commerce extérieur, puis brièvement locataire de l’Hôtel Matignon, qu’il accéda aux plus hautes sphères de la Banque chargée du commerce extérieur, où il était entré comme attaché de rédaction trois ans avant la présidentielle de 1981 qui avait renou- velé le personnel politique . Par quel biais, il ne s’en est jamais ouvert : mais il a vu fonctionner la haute banque, en a compris les mécanismes mieux que par des cours de Sciences Po ou de l’ENA, et il a su s’imposer lors des années difficiles du Crédit lyon- nais dont le directeur général Jean Peyrelevade lui doit le sauvetage (en 1999) . Celui-ci l’introduisit dans le cercle du Siècle où il restait souvent seul au fond de la salle, à observer . Pour lui, disait un témoin, « Le Siècle cela doit être La Comédie humaine » .

Comme sur les bancs de Masséna où pullulaient les fils de bourgeois, il a soif de reconnaissance, mais il refuse le jeu social . Dans notre Annuaire, le vide suit son nom, jusqu’à 1992 où apparaît la mention de la Banque du commerce extérieur ; puis son adresse allée Georges-Rouault (dans le 20e arrondissement), jusqu’en 2008 où le voici mon voisin), avec la simple mention Natexis avec ou sans l’adresse du siège . Comme s’il refusait le jeu social, jusqu’à l’avoir maîtrisé .

Narrer ses ascensions vers les sommets de la hiérarchie, notamment du Crédit agricole en 2003, les mises à l’écart de tous ceux qui pouvaient lui causer la moindre ombre, dépasserait le cadre de cette Notice . Pour cet amateur d’opéra, il faut constam- ment du grandiose, du hors-norme et de l’inattendu . Cette rétrospective rappelle ce que plusieurs grandes figures ont dû à l’école de la République : un parcours imprévisible à chacun d’entre nous, un parcours rétrospectivement improbable, sauf à considérer que la banque était en 1970 une de ces rares activités où l’on pouvait commencer comme saute-ruisseau – mais normalien ! – et finir président . Je me hasarde à un constat qui explique peut-être sa réussite en ce milieu : son absence de diplôme n’a pas entravé sa réussite professionnelle, peut-être même l’aura-t-elle favo- risé . Ce paradoxe surprendra notre communauté normalienne, dont les membres sont tous épris de savoirs académiques, couverts de diplômes, érudits par vocation et souvent savants par profession . Ferrero n’a aucun diplôme, or c’est peut-être parce qu’il n’en a aucun, mais qu’il jouit d’une intelligence supérieure, d’un entregent hors du commun, qu’il est plus libre d’avancer, de découvrir, et sans avoir tout appris au préalable, de se former en progressant .

Enfin, sa trajectoire illustre et incarne la méritocratie républicaine, celle qui procède de l’élévation par le travail, par le mérite, par l’exercice constamment renouvelé de l’intelligence des situations et des hommes .

Bernard GOTLIEB (1968 l)

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Comment parler, sans être basque, de sa dernière tentative, la conquête de la mairie de Guéthary ? Il se présenta aux élections municipales de mars 2020 ; il décla- rait avoir découvert, quasiment fortuitement, en 2005, cet agréable village côtier à mi-chemin entre Biarritz et la Bidassoa, y avoir acquis une résidence secondaire (la maison Patrakenia, puisqu’en pays basque le nom de la maison traverse les généra- tions et sert à en désigner les habitants, jusque dans leur dernière demeure) . Il se flattait qu’une collectivité multiséculaire l’attendait pour relever son niveau, profitait du décès inopiné de l’ancien maire, figure locale, pour terrasser sa première adjointe qui venait de lui succéder ; hélas, les propriétaires de résidences secondaires (ne parlant pas, de plus, l’euskara) n’étaient pas les bienvenus parmi les Getariar de souche, et les électeurs restèrent fidèles à Marie-Pierre Burre-Cassou, la sortante, dans un scrutin qui eut moins de retentissement au niveau national que les luttes pour la mairie de Biarritz . Ainsi, 494 voix allèrent à Guéthary au cœur, 339 à la liste Ensemble avec Dominique Ferrero . Les Getariar lui refusèrent d’achever sa trajec- toire en « épuisant le champ des possibles » selon le début de la troisième épode de la troisième Pythique : la gloire que distribuait Pindare aux athlètes, il l’aurait distribuée aux banquiers, appelés trapézites, si parmi les Pasion s’étaient trouvés des personnages de la trempe de Dominique Ferrero... (P . C .)