FOUCART Bruno - 1959 l


FOUCART (Bruno)
, né le 4 août 1938 à Cambrai (Nord), décédé à Paris le 4 janvier 2018. – Promotion de 1959 l.


Il était entré à l’École normale supérieure en 1959 . Après avoir servi en Algérie, il avait obtenu l’agrégation de lettres, mais, ayant suivi les séminaires qu’André Chastel (1933 l) donnait alors à l’ENS, il se tourna vers l’histoire de l’art, plus précisément l’histoire de l’art du xixe siècle qu’il contribua de façon majeure à réhabiliter, mais aussi vers les expressions marginales, mal aimées, du xxe siècle . Il avait en effet ce tour d’esprit, chargé d’humour, de prendre le contrepied des idées reçues, convaincu qu’il y a toujours une « intention artistique » derrière toutes les formes de la création, même surprenantes, voire « laides » aux yeux qui ne savent pas voir comme lui .

Dans un long entretien qu’il donna en 2011 pour la collection audiovisuelle, « Inventeurs de patrimoines », du ministère de la Culture et de la communication1, il rappelait ce qui dans l’histoire familiale favorisa la naissance d’une « appétence aux choses », comme il dit : il s’éduqua le regard en observant le paysage architectural des villes de province où la profession de son père, magistrat, fixait successivement sa famille : Dijon, où il allait au collège en regardant les belles façades du centre histo- rique, Amiens, où son père était actif dans la « société des antiquaires de Picardie », Douai, où sa grand-mère était meublée en style « Renaissance flamande », dont le mauvais goût, explique-t-il en riant, lui permit de ne pas mépriser les formes éclectiques du xixe, considérées alors comme des pastiches ridicules . Il tira aussi, explique-t-il, le meilleur profit de l’usage familial de se rendre au musée le dimanche matin, dans le petit et charmant musée Magnien de Dijon, mais aussi au musée des beaux-arts, où se noua une familiarité essentielle à la diversité des œuvres d’art : aimer, regarder, comprendre . « Tout a une âme », se plaît-il à dire avec la distance de l’humour .

André Chastel, qui avait fait lui-même à l’École normale le choix un peu scanda- leux de l’histoire de l’art à une époque où cette discipline n’existait pas vraiment2, détourna Bruno de la carrière attendue pour un jeune agrégé : enseigner les lettres dans un lycée, puis, éventuellement, thèse soutenue, entrer à l’Université .

Le 4 mars 1964, en effet, le ministre de la Culture André Malraux avait créé « l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France » sur la suggestion de Chastel . Ce dernier, pour mettre en place les outils méthodologiques et conduire les premières expériences, se tourna vers ses meilleurs étudiants dispo- nibles Jean-Marie Pérouse de Montclos, Dominique Bozo, Dominique Hervier, Nicole de Reyniès, et... Bruno Foucart – qu’il fit entrer en 1965 au CNRS, auquel était rattaché à ses débuts l’Inventaire général .

Passer au crible tout le patrimoine d’un territoire donné convenait parfaitement aux goûts et aux intuitions profondes de Bruno Foucart : tout est intéressant si l’on veut bien s’y intéresser . Outre une exploration expérimentale de quelques cantons tests, – pour Bruno ce fut Le Faouët dans le Morbihan et Peyrehorade au sud des Landes –, cette première équipe avait été chargée d’élaborer les outils de méthode . Tandis que Pérouse de Montclos commençait à travailler à son Vocabulaire de l’ar- chitecture, Bruno Foucart se vit confier le dictionnaire de l’iconographie . Il ne put guère avancer dans cette tâche, ce qu’il a toujours regretté, car il se réorienta vers l’enseignement supérieur . Il fut sollicité en effet pour occuper un poste d’assistant d’histoire de l’art à l’université de Dijon, la ville de son adolescence, où il se trouvait en terrain bien connu . Il commença à y pratiquer un enseignement ouvert, inspiré des méthodes d’André Chastel : apprendre à voir, plutôt qu’exposer minutieusement des faits, une méthode qui convenait à cet objet singulier que sont les œuvres d’art, qui s’imposent encore dans notre présent, à la différence des faits historiques qui appartiennent sans retour au passé, une méthode apte aussi à susciter des vocations, et nombreuses furent celles que Bruno Foucart suscita . En dépit de ce tournant décisif, du CNRS à l’Université, Foucart continua d’accompagner de près les réorientations institutionnelles et méthodologiques de l’Inventaire et de suivre ses travaux, jusqu’à devenir vice-président de son Conseil d’administration . Cette première expérience le marqua durablement . Nombre de ses articles portent sur le patrimoine, et la nécessité de le connaître pour le préserver . Citons, Des monuments historiques au Patrimoine. Du xviiie à nos jours, ou les égarements du cœur et de l’esprit, Flammarion, 2000 . Devenu professeur émérite en 2006, il se vit confier des responsabilités parallèles, étant nommé en 2008, président du « Comité du patrimoine cultuel au ministère de la Culture » .

Dans la restructuration qui suivit le bouleversement de Mai 1968, les opportu- nités s’ouvraient de tous côtés . C’est ainsi que Bruno Foucart quitta Dijon en 1970 pour l’université de Nanterre . Dans les petites salles de classe de la jeune université, il poursuivit sa méthode de libres commentaires des œuvres, où il se tenait, rappelait-t- il, debout, comme s’il était dans une salle de musée avec des amis : qu’est-ce qui peut intéresser ici ?

Parallèlement à cet enseignement, il avait engagé une thèse de doctorat d’État, d’abord sous la direction de René Jullian (1923 l), qui avait été nommé en 1963 à la nouvelle chaire d’histoire de l’art contemporain de l’Institut d’art et d’archéo- logie de l’université de Paris, puis, après la retraite de ce dernier en 1973, sous celle d’Yves Bottineau, professeur d’histoire de l’art à Nanterre : la Peinture religieuse en France (1800-1860), thèse soutenue en 1980 et publiée aux éditions Arthéna en 1987 . Il démontre l’intérêt d’œuvres que l’on considérait alors comme l’horreur du « style sulpicien » . Se manifeste là un trait de caractère qui caractérise tout son parcours : une capacité à considérer comme « intéressant » tout objet de la production humaine . Par-delà les préjugés et les clichés, il a l’intuition que cette peinture exprime dans toutes ses dimensions la spiritualité chrétienne du siècle, qui vaut bien celle du xviie .

Si cette synthèse qui se penchait sur un grand pan de la peinture du xixe siècle, mal aimé, et du coup méconnu, est le foyer brûlant des activités de Bruno, on ne peut ignorer le second volet de sa contribution à la réhabilitation du xixe, l’architec- ture, centrée autour de la figure de Viollet-le-Duc .

Dans ces années de la cinquième République, l’ENA ne couvrait pas encore tout l’horizon des ambitions et des carrières : celles-ci restaient ancrées dans la Résistance et supposaient encore une culture humaniste . Le Premier ministre Georges Pompidou (1931 l) était un ancien normalien, et tout naturellement les ministres cherchaient leur plume parmi les jeunes gens formés rue d’Ulm . Bruno n’était en rien militant, mais il avait de la curiosité pour les hommes qui entouraient le général de Gaulle, curiosité soutenue par son amitié d’adolescence dijonnaise, avec Jean-Philippe Lecat, qui s’était engagé dans la voie de Sciences-Po et de l’ENA . De juillet 1972 à mars 1973, Bruno Foucart fit ainsi partie du cabinet de Xavier Deniau, secrétaire d’État auprès du Premier ministre Pierre Messmer, chargé des départements et des territoires d’outre-mer. Dans ces fonctions, il eut l’occasion de découvrir notamment l’Océanie et la Martinique, ce qui le rendit plus tard sensible au patrimoine des anciennes colo- nies, comme son service en Algérie vint nourrir son goût pour l’orientalisme qui était né devant les collections du musée Magnien .

En février 1974, sans quitter ses fonctions d’universitaire, Bruno Foucart entra au cabinet d’Alain Peyrefitte (1945 l), ministre des Affaires culturelles et de l’Environ- nement, jusqu’à la mort de Georges Pompidou . C’est Peyrefitte qui le présenta à son successeur Michel Guy, secrétaire d’état à la Culture de Valéry Giscard d’Estaing du 10 juin 1974 au 27 août 19763 . Entre le dilettante cultivé et le jeune universitaire curieux de tout, des hommes comme des choses, s’établit une grande confiance . Bruno Foucart fut mêlé au classement de la gare d’Orsay, qui fut favorisé par le remords d’avoir laissé détruire les Halles de Baltard, comme à l’installation des collections de la dation Picasso dans l’hôtel Salé . Il joua aussi un rôle essentiel dans l’établissement d’une liste de 200 monuments du xixe siècle à protéger au titre des Monuments historiques . Tous les départements devaient fournir des propositions, certains manquaient d’idées, Bruno suppléait, et naturellement Boulogne-Billancourt, où il résidait en tant que responsable de la bibliothèque Marmottan, fut quelque peu favorisée, soulignait-t-il avec amusement . La publication de cette liste fut saluée par la presse, signe du changement des temps, que ces classements accélérèrent .

Évitons les raccourcis hagiographiques . Bruno Foucart a bien joué un rôle majeur dans la réhabilitation de l’art du xixe siècle, aidé par les cohortes d’étudiants qu’il avait formés, mais le temps était venu de réhabiliter les peintres pompiers et les archi- tectes éclectiques . François Mathey organisait l’exposition Équivoques au Musée des arts décoratifs, et Jacques Thuillier (1951 l) qui redécouvrait la pureté lumineuse de La Hyre, célébrait aussi en privé Bonnat .

S’il est difficile de rendre compte en détail du rôle de Bruno Foucart dans le renversement des esprits, on peut pointer le premier numéro de la revue Monuments historiques de 1974 : tous se souviennent de l’article, « Comment peut-on aimer une église du xixe siècle ? Ou de la réhabilitation du pastiche », qui fit date, comme ont fait date ses recherches sur les prisons panoptiques, sur Louis-Auguste Boileau, le thuriféraire de l’architecture métallique, et le créateur de ce chef-d’œuvre, alors méconnu, qu’est l’église Saint-Eugène, et naturellement sur Viollet-le-Duc .

En 1980, la soutenance de sa thèse de doctorat permit à Bruno Foucart de se porter candidat à la chaire d’histoire de l’art contemporain de l’université de Paris-IV . La même année 1980, il devint professeur à l’École des beaux-arts, succédant à Gaëtan Picon et à Michel Faré .

Dans le bel institut d’art de briques rouges dessiné par Paul Bigot4, il trouvait un cadre d’enseignement plus digne qu’à Nanterre, mais, dans les amphis et les grandes salles de la rue Michelet, il conservait le ton libre de ses premiers enseignements . Ses auditeurs se souviennent avec émotion de ses cours . Comme sa position et ses quali- tés l’avaient conduit à accepter de multiples responsabilités, il commençait souvent en retard, et devait parfois partir avant l’heure, mais ses commentaires brillants, suggestifs, entraînants, marquaient davantage ses étudiants que bien des cours plus réglés .

Bruno Foucart devint directeur de notre UFR . Il le resta 15 ans, jouant un rôle décisif pour notre Institut et plus largement pour notre discipline, dont il déve- loppa considérablement le département des arts décoratifs, offrant ainsi de nouveaux débouchés à nos étudiants . Il succéda à son aîné Antoine Schnapper à la direction du CRHAAM, le laboratoire du CNRS lié à l’université qu’André Chastel avait créé, qui s’illustra, après le livre, le Quartier des Halles (1977), par ses publications sur l’architecture moderne et sur le vitrail . Il eut l’intuition et le courage de déménager les livres de la bibliothèque Doucet à la BN de la rue de Richelieu pour mettre le pied dans la porte des locaux, qui étaient promis à l’Institut national d’histoire de l’art rêvé par André Chastel, mais dont la réalisation était menacée à chaque chan- gement gouvernemental . Quand le fonds de la bibliothèque Doucet gagna la BN, les livres des bibliothèques de séminaires furent descendus au premier étage, libérant les rayonnages vitrés de nos salles de cours . Les travaux des étudiants, mémoires de maîtrise et de DEA, y furent rangés . La masse des travaux dirigés par lui, particuliè- rement impressionnante, témoignait de son rayonnement exceptionnel .

Ce qui distingue encore Bruno Foucart, comme chercheur et comme professeur, c’est sa curiosité ouverte . Il ne s’enferma pas dans sa spécialité de dix-neuviémiste . Dès 1973, il organisa à la bibliothèque Marmottan une première exposition, Vingt ans d’architecture, 1920-1940, à Boulogne-Billancourt, dans laquelle il redonne leur place à un certain nombre d’artistes qui travaillèrent en marge du courant dominant de l’art contemporain . L’activité polyvalente d’André Chastel fut certainement un modèle pour lui, au-delà des différences de caractère . Comme lui, Bruno Foucart n’hésita pas à s’impliquer dans la défense de notre discipline dans toutes les direc- tions . Il savait qu’une discipline ne peut vivre, sans bibliothèques, sans revues d’érudition, comme de réflexion, et sans relève par une jeunesse passionnée . Quand la Revue de l’art que Chastel avait créée et qui s’était imposée comme une revue internationale, était menacée par les aléas administratifs du CNRS, il la soutint avec efficacité . Sachant par son père l’importance des sociétés savantes, il joua un rôle majeur dans la Société de l’histoire de l’art français avec son frère Jacques et sa belle-sœur Élisabeth . Comme Chastel tint la stimulante chronique que l’on sait dans les colonnes du Monde, Bruno Foucart donna une cinquantaine de papiers de 1981 à 1985 dans Le Quotidien, avant de se tourner plus régulièrement vers Beaux-Arts Magazine, Connaissance des arts, puis Le Figaro littéraire .

En 2006, Bruno Foucart prenait sa retraite après plus de quarante ans d’activité et devenait « professeur émérite à l’université de Paris-Sorbonne » . Officier de l’ordre du Mérite, commandeur des Arts et Lettres, ainsi que des Palmes académiques, il reçut en 2012 de Frédéric Mitterrand les insignes d’officier de la Légion d’honneur . Au cours de sa carrière, il a publié près de 400 textes, 393 articles exactement selon la liste qui figure dans Deux siècles précurseurs, liminaire au volume de Mélanges en l’honneur de Bruno Foucart, publié aux éditions Norma en 2008 . Dans ces travaux, on ne peut manquer de remarquer l’asymétrie entre le nombre de ses articles et de ses contributions à des ouvrages collectifs et à des catalogues d’exposition, et celui de ses livres, pour l’essentiel le volume issu de sa thèse, Le renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860), éd . Norma, 1987, son essai, Des monuments historiques au Patrimoine. Flammarion, 2000, ainsi qu’un petit livre sur Courbet. Son esprit était ainsi tourné : découvrir, pointer, inciter, plutôt qu’écrire des sommes .

À son œuvre personnelle, il convient d’ajouter l’impulsion initiale qu’il sut donner à tant de recherches, et au premier chef aux 150 thèses de doctorat, soutenues sous sa direction entre 1985 et 2015, pour ne pas parler des maîtrises, DEA et autres Masters .

S’il était un universitaire distingué, s’il avait fait naître tant de vocations d’histo- riens de l’art et de conservateurs de musée, s’il avait reçu tous les honneurs, Bruno Foucart souriait d’être pointé comme un universitaire de droite, alors que seul le mérite l’intéressait : il était mû sur son terrain, celui de l’histoire de l’art, par une morale, qu’on pourrait qualifier de libertaire, indifférente aux pesanteurs politiques ou sociales . Il aurait voulu que « les musées montrent ce dont on pense ne pas avoir besoin, ce dont on n’a pas l’idée . Qu’ils soient les avocats des abandonnés et non des procureurs parlant pour le bon juste goût de l’instant . » Il se plaisait à souligner ce qu’il devait aux salles de vente de province, voire aux déballages de trottoir, car « il n’est d’art que concret, de réflexion que face à l’objet, d’auscultation que dans le corps à corps » . Bruno aimait chiner, mais il ne cherchait pas les pièces de premier ordre, il avait de l’affection pour les tableaux mal aimés . Parce qu’il se penchait sur les perdus de l’histoire, les abandonnés des musées, parce qu’il avait de la compassion pour un tableau saccagé, fendu, comme la bouche de « l’homme qui rit », Foucart avait quelque chose de l’humanisme hugolien, mais un humanisme esthétique . Un jour, Marc Fumaroli l’a qualifié d’« aquoiboniste » . Je ne vois pas Bruno Foucart ainsi . Il est plutôt le contraire ; son mot est plutôt « pourquoi pas ? » : il y a du bon en tout . Dans le texte, Une histoire d’amour, qui ouvre le volume de ses textes rassemblés sous le titre Deux siècles précurseurs, Bruno Foucart explique sa ligne de vie avec la discrétion distanciée qui lui était propre : « Notre histoire de l’art s’est faite de rencontres, de vécus, d’appropriations . Cela faisait partie des bonheurs permis par ce siècle bienheureux . »

Claude MIGNOT  (1965 l)

Notes

  1. 1 .  Ministère de la Culture, Collection « Les inventeurs de Patrimoines », directeur Pascal Liévaux, coffret de 2 DVD multizone, réalisation Gilles Le Mao, producteur La Huit production, vol . 2, Bruno Foucart, interrogé par Pascal Liévaux, 2011, 1 h 28 et 1 h 23 .

  2. 2 .  Sabine Frommel, Michel Hochmann et Philippe Sénéchal (éd .), André Chastel, méthodes et combats d’un historien de l’art, Picard, 2015 .

  3. 3 .  Michèle Dardy-Cretin, Michel Guy, secrétaire d’État à la Culture 1974-1976. Un innovateur méconnu, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 320 pages . Comité d’histoire du ministère de la Culture, Archives orales, campagne 2002-2006, « Les politiques culturelles de Michel Guy », entretien de Bruno Foucart, mené par Michèle Dardy, 13 décembre 2002, 1 h 37 . et 29 novembre 2004, 1 h 54 .

  4. 4 .  Comme directeur, Bruno Foucart promut une belle monographie dirigée par son jeune collègue Simon Texier, L’institut d’art et d’archéologie, Paris 1932, éd . Picard, 2005 .