FOURÈS Léonce - 1943 s

FOURÈS (Léonce), né le 1er avril 1924 à Albi, décédé le 5 mars 2015 à Marseille – Promotion 1943 s.


Lorsqu’on parle de Claude, on ne sait pas toujours de quel, ou quelle Claude il s’agit, mais lorsqu’on parlait de Léonce, il était inutile de préciser : il s’agissait de Fourès . Léonce pour les uns, Fourès pour les autres, rarement Léonce Fourès .

Notre premier contact date de juin 1953, lors de l’oral de math . géné . Élèves de prépa, nous venions passer cet examen, à la faculté, sans jamais avoir suivi le cours . Il avait eu la bonne idée de me classer premier . Les années suivantes, comme il s’était fâché avec le professeur de math sup ., plus aucun hypotaupin n’a pu réussir ce certificat, avec lui .

Par la suite, nous sommes devenus collègues à la faculté des sciences de Marseille, lorsque j’y suis arrivé comme chef de travaux de mathématiques à la rentrée de 1958 et l’ai assisté en math 1 pendant trois ans, avant de partir au bonvoust . À mon retour, je n’ai plus travaillé directement avec lui mais nous avions plaisir à nous rencontrer épisodiquement .

Évoquons sa carrière professionnelle .

Il est né un premier avril . Ce n’est pas une blague mais vraisemblablement prémo- nitoire . Sa mère, fille de petits cultivateurs de l’Ariège, était professeur de sciences naturelles au lycée d’Albi . Plus citadin, fils d’instituteur, son père était professeur de musique dans le même lycée . C’est lui qui a transmis à son fils le goût de la musique ; il jouait du violon . Par atavisme, Léonce adorait cet instrument .

Le petit Fourès a fait ses études primaires et secondaires à Albi puis est parti à Toulouse en classes préparatoires, pour intégrer l’École en 1943 et, dans sa tête, y rester sa vie durant . Parmi les vivants (peu nombreux) de sa promotion, Louis Duvert l’a bien connu et en garde un excellent souvenir, comme camarade . Ils allaient souvent au concert ensemble et restaient parfois à bavarder avec les musiciens .

Il a passé l’agrégation de mathématiques en 1946 .

Ensuite il fut attaché de recherches au CNRS . Il a passé sa thèse intitulée Propriétés des surfaces de Riemann, sous la direction de Georges Valiron, dont le livre mythique Théorie des fonctions a été notre bible en analyse .

Avec Yvonne Bruhat, qu’il avait courtisée et épousée, ils ont tous deux été membres de l’Institut for Avanced Study à Princeton, en 1951-52 .

Ils ont été nommés ensemble maîtres de conférences (on dirait professeur de deuxième classe, aujourd’hui), à Marseille, où ils sont arrivés en janvier 1953, à la faculté des sciences .

Ils firent un nouveau séjour à Princeton en 1955 et Léonce y fut encore invité en 1957 à un congrès pour ses travaux sur les surfaces de Riemann, qui ont été très appréciés des spécialistes .

À Marseille, Léonce a d’abord enseigné en math . géné . (devenu DEUG ensuite) puis : en licence, en math 1 et en troisième cycle .

Il avait la réputation d’être très exigeant et même trop . À tel point que certains étudiants n’osaient pas s’inscrire à ses certificats .

Je peux témoigner qu’il préparait ses cours de manière très rigoureuse . Il les rédi- geait à l’encre bleue, sans rature, d’une écriture très personnelle bien agréable à lire .

Au dire de ses meilleurs élèves : « Il y avait quelque chose de fascinant à suivre ses cours : il arrivait, ponctuel, sans note, le spectacle pouvait commencer et se déroulait invariablement comme en suivant une partition de musique, apprise par cœur, précise, claire, belle, avec son point d’orgue à l’heure précise. Léonce couvrait à la craie les grands tableaux d’ardoise de sa fine écriture régulière et appliquée. Les théorèmes s’enchaînaient, les démonstrations étaient élégantes et nous semblaient limpides, sauf qu’il fallait retra- vailler ses cours de longues heures, les réécrire pour en mesurer l’excellence. L’amphi était silencieux, attentif, appliqué. »

A contrario, c’était un peu la mode bourbakiste à l’époque de rester dans l’abstrac- tion et de ne pas donner les images concrètes, bien utiles pour comprendre de quoi il était question . Ceci explique que certains étudiants n’arrivaient pas à suivre .

Parallèlement à ses charges d’enseignement, il animait un séminaire que fréquen- taient une bonne dizaine d’élèves . Tous gardent un excellent souvenir de ces moments de travail convivial .

Léonce était un tantinet provocateur . Et encore, c’est peu dire !

Une année (en 60 ou 61, peu importe) l’écrit de l’examen tombait un 18 juin . Fourès, qui préparait toujours très soigneusement les sujets, avait écrit en tête de page « En ce jour anniversaire de la bataille de Waterloo et de la réponse de Cambronne aux Anglais, considérons un espace ... » Quelqu’un m’a fait remarquer que le 18 juin est aussi le jour de la Saint-Léonce mais notre Léonce n’était pas un saint : il vous l’aurait dit lui-même .

Il aimait la conduite sportive et ses itinéraires étaient souvent très originaux quand il revenait de son sud-ouest natal . Il évitait le plus possible les autoroutes et défiait les limitations de vitesse avec acharnement . Mieux valait ne pas suivre ses conseils !

Par-dessus tout, Fourès était passionné de montagne à l’extrême . Lorsqu’il rentrait d’une de ses expéditions, il déboulait dans le bureau du département pressé de racon- ter ses exploits ou sa dernière chute et faire partager son enthousiasme à tous les présents .

Pour ma part, je n’ai fait que de toutes petites promenades avec lui . Je préfère lais- ser à Marc Bergman, un de nos élèves devenu collègue, le soin d’en dire plus .

Pierre JULLIEN (1954 s)

Le texte qui suit est une partie de l’hommage que Marc Bergman a prononcé lors des obsèques de Léonce Fourès.

...Léonce disait souvent qu’il avait eu la chance d’avoir deux vies : l’Université et la Montagne . C’était, en fidèle disciple de Platon qu’il était, à la recherche du beau et du bien . D’ailleurs pour lui il fallait prendre la naissance du philosophe comme origine du calendrier . Il lui arrivait souvent de dater ses courriers selon ce principe et pour respecter sa pensée, en 2015 nous sommes en 2462 .

La Montagne, il l’avait connue en dernière année à l’ENS, lors d’un stage à l’ENSA (École nationale de ski et d’alpinisme), récemment installée à Chamonix . Il disait plaisamment qu’il avait était très bien accueilli parce qu’ils l’avaient trouvé gentil .

La Montagne, il en avait fait son terrain de jeu du risque dans l’extrême .

À partir de cette époque il a côtoyé les plus grands alpinistes des Trente Glorieuses, français et étrangers, fait avec eux les grandes courses mythiques et ouvert de nouvelles voies . Il parlait toujours de la Montagne en esthète .

Dans les années 1960, il participait à de nombreuses commissions pour le ski . Jean Franco, à l’époque directeur de l’ENSA, lui avait demandé d’écrire le dernier chapitre du livre Ski de France . Léonce devait faire la théorie de la position du skieur . À la deuxième édition, le chapitre a été supprimé, Franco disant que seul Léonce pouvait comprendre ce qu’il avait écrit .

Une fois, en été, nous sommes partis au début d’un après-midi maussade pour aller prendre un chocolat au refuge de la Charpoua (on y va pour faire la Verte ou les Drus) ; c’est un refuge confidentiel auquel on accède après une très belle marche d’approche en contournant l’arête des Ecclésiastiques . Léonce était connu comme le loup blanc dans toute la vallée ; le gardien en arrivant lui a dit : tu viens faire une hivernale ?

Depuis plus de cinquante ans, avec mon épouse, nous avons eu le privilège de retrouver Léonce à Chamonix au chalet des Praz, les Charmoz, chez Simone Defaix . C’était un lieu de rencontre étonnant, où se croisaient des gens de qualité et souvent des personnalités marquantes . Jeune assistant, j’avais été très impressionné d’avoir eu l’occasion, au cours d’une modeste course en montagne, de discuter avec Georges de Rahm, mathématicien suisse de grand renom et montagnard de surcroît . Une autre fois j’ai eu une conversation pour le moins animée avec Roland Sublon, méde- cin, psychologue et prêtre, professeur à l’université de théologie de Strasbourg : nous avions longuement discuté de l’infaillibilité papale que je contestais vigoureusement . Léonce, taquin, appelait familièrement Sublon : Monseigneur, l’Evêque et quelquefois l’Archevêque .

Pour être reçu aux Charmoz, il fallait être montagnard et/ou mathématicien, au moins avoir fait de solides études en mathématiques, les normaliens étaient invités de droit, avec de rares exceptions pour quelques X ou médecins triés sur le volet .

Nous étions toujours très chaleureusement accueillis pour des apéritifs au champagne et des dîners aux bons vins de l’Aude, soigneusement sélectionnés . Les conversations étaient toujours actives, passionnées, vivantes et quelquefois homériques lorsqu’il s’agissait de religion ou de politique locale : Maurice Herzog, longtemps maire de Chamonix, était la bête noire de Léonce et réciproquement . Dans les conversations au chalet, il était souvent question de montagne et si on parlait de Gaston, Louis, Lionel, il fallait bien sûr comprendre Rebuffat, Lachenal, Terray .

Faire du ski avec Léonce avait des règles : il n’était pas question d’être devant, il fallait rester dans sa trace .

Cependant, il était respectueux de celui qui savait : au cours d’une descente au Brévent en arrivant au sommet du mur (impressionnant dénivelé de quatre cents mètres), notre chef de file Contamines, avant de nous élancer a enlevé son anorak, l’a noué par devant et nous a seulement dit : faites comme moi . Il faisait un froid à pierre fendre, sans doute moins quinze ou moins vingt . Léonce s’est exécuté comme toute la petite équipe qui, dans la rigueur brute des mots montagnards, avait bien compris que nous n’avions pas droit à la glissade sur le dos qui, devenant une chute, nous aurait broyés .

En montagne si les cordes s’emmêlaient, le mécontentement était visible, mais il y avait toujours l’explication rationnelle : ce n’était qu’un nœud simple (au sens mathématique de la théorie des nœuds), la réalité était malencontreusement tout autre...

Marc BERGMAN