GAGNAIRE Didier - 1950 s

GAGNAIRE (Didier), né le 14 juin 1930 aux Montils (Loir-et-Cher), décédé le 9 septembre 2014 à Saint-Martin-le-Vinoux (Isère). – Promotion de 1950 s.


Didier Gagnaire est né le 14 juin 1930 aux Montils, village du Loir-et-Cher proche de Blois . Sa mère travaillait à la poste ; son père qui était professeur d’histoire-géographie au collège de Blois fut muté en 1939 au collège Chaptal – rebaptisé « lycée » plus tard . Didier effectuera ses études secondaires dans cet établissement où nous nous retrou- vâmes condisciples . Après les années de classes préparatoires, nous intégrâmes l’École, continuant notre binôme, et ayant décidé tous deux de devenir chimistes, ce qui n’était pas le choix le plus usuel parmi les physiciens . Sans doute, l’influence de notre professeur de taupe (Annequin) fut-elle déterminante .

Il était donc bien naturel que l’on me demandât d’apporter mon témoignage sur Didier à l’ENS . Naturel ne veut pas dire facile . J’avoue avoir eu des difficultés pour reconstituer après soixante ans un souvenir vivant et précis . Je n’ai retrouvé dans ma tête que la mémoire d’un camarade aimable, toujours facile à vivre, prodigieusement intelligent, travailleur jusqu’à l’excès . Je ne lui ai connu aucune « aventure » ou, plutôt, ses « aventures » étaient de nature académique . Exemple : pendant l’hiver 1953, nous devions nous ennuyer . Nous avons alors décidé de nous inscrire à l’Institut Henri- Poincaré au cours de mécanique céleste de l’archicube Chazal (1924 s), ravi de ce brusque intérêt normalien . C’est ainsi que nous obtînmes un DES (diplôme d’études supérieures) de mathématique dont nous n’avions nul besoin pour nos études de chimie .

La grande « aventure » de Didier à l’École fut la recherche . Après l’agrégation et une année de service militaire (dans l’armée de l’air), nous nous sommes retrouvés fin 1955 dans le laboratoire du professeur Albert Kirrmann (1919 s) qui venait de remplacer Georges Dupont (1904 s) . Il nomma Didier caïman chargé des problèmes internes au laboratoire (bibliothèque et séminaires), en rupture avec la tradition de synthèse organique du laboratoire [Dupont-Dulou : terpènes, G . Ourisson (1946 s) : autres substances naturelles, biochimie] . Il orienta Didier vers les méthodes physiques et leurs applications en chimie organique . Par exemple, la recherche de mécanismes de réaction par analyse physique des vitesses de réaction . Le titre de sa thèse soutenue en 1960 est « Influence des groupes alkoxylés voisins sur les réactions d’hydrolyse ».

C’est pendant la préparation de sa thèse que commença une riche collaboration avec un jeune caïman, André Rassat(1951 s), qui sut lui faire miroiter les potentialités de la Résonance magnétique nucléaire pour l’analyse chimique, une technique alors toute nouvelle . Ce fut là l’origine d’une collaboration fructueuse .

Raymond HAMELIN (1950 s)

Lorsque, en 1961, Didier Gagnaire est nommé maître de conférences à Grenoble, − dans le vocabulaire actuel on dirait professeur de seconde classe −, l’Université n’est pas encore développée au point de pouvoir répondre à la demande d’enseignement supérieur qui a augmenté énormément depuis la fin de la guerre ; en particulier les moyens de recherche n’avaient encore pu rattraper le retard pris depuis longtemps . Le poste qu’il devait occuper était relié à l’École de papeterie, une institution créée au début du siècle en relation avec une industrie locale dont les forêts et les cours d’eau locaux avaient permis l’installation depuis des siècles .

Mais Louis Néel (1924 s), physicien arrivé à Grenoble en 1940, nommé profes- seur de cette université « à titre provisoire » − en pratique définitif −, dominait le paysage scientifique local ; il avait obtenu la création du Centre d’études nucléaires de Grenoble, dans le cadre d’une politique de décentralisation du CEA ; cela avait permis d’avoir sur place un, puis deux réacteurs, et d’effectuer les travaux de diffrac- tion neutronique liés aux recherches sur les produits magnétiques que menaient lui-même et ses collaborateurs . Ce CENG, qu’en plus de ses tâches académiques Louis Néel dirigeait, disposant de moyens financiers d’un autre ordre de grandeur que ceux de l’Université, était devenu un vecteur de développement de recherches très variées . C’est dans ce cadre que fut créé un laboratoire de chimie organique physique (COP), à côté d’un service de résonance magnétique . Ce laboratoire COP fut codirigé par Didier Gagnaire et André Rassat, nommé en même temps, mais dans un poste de chimie organique qui n’était marqué par aucune spécialité .

C’était le moment où la résonance magnétique nucléaire devenait un outil très efficace dans l’analyse de molécules organiques complexes . Une répartition des tâches entre Rassat et lui se dessina rapidement ; la RMN servait à l’analyse de molécules végétales, recherches liées à la vocation papetière du poste d’enseignement . De son côté, André Rassat utilisait surtout la résonance paramagnétique électronique, l’outil indispensable à ses travaux sur les « radicaux libres », travaux commencés dans le but d’applications, biologiques, géophysiques et militaires entre autres . Mais quand on allait visiter ce laboratoire, on se trouvait entre Didier Gagnaire, André Rassat, Pierre Servoz-Gavin responsable CEA d’un groupe de résonance magnétique dont la vocation chimique n’était pas prévue initialement et Gaston Berthier, un chimiste théoricien d’Orsay visitant ces laboratoires presque en permanence, en collaboration de tous les instants .

Cela n’empêchait pas Gagnaire de poursuivre une autre activité, liée à la vocation initiale de son poste d’enseignement . Quelques années après son arrivée à Grenoble, un vaste campus universitaire fut construit à Saint-Martin-d’Hères, une banlieue de Grenoble, et il devint possible de construire un nouveau laboratoire, le Centre d’études et de recherches sur les macromolécules végétales, le CERMAV . Notre collègue sut mener de front ces deux activités, dirigeant le CERMAV et, dans ce cadre, un des trois sous-ensembles, celui de chimie organique pure, à côté d’une équipe de chimie physique et d’une de biologie, végétale naturellement .

Cette double activité avait en fait commencé dès l’arrivée de Didier à Grenoble, le projet d’un institut de la cellulose et de la lignine étant déjà dans les cartons du direc- teur de l’École de papeterie, dont il a fallu le sortir pour en faire une réalisation, qui fut le CERMAV . Et quand on interroge l’un ou l’autre des anciens du CERMAV ou du COP, on découvre qu’ils avaient l’impression d’avoir un directeur à plein temps, tout en sachant qu’il avait une deuxième fonction, en soupçonnant peut-être quelque effet d’ubiquité . Mais en 1968, il avait épousé Geneviève, une chimiste de l’équipe Rassat, et elle savait l’appeler au téléphone lorsqu’il travaillait encore à l’heure bien passée du dîner, avec tel ou tel de ses collaborateurs qui n’osaient pas trop regarder leur montre .

Sa grande capacité de travail lui servira encore, quand autour de 1980, André Rassat quittera le CENG pour prendre la direction des laboratoires de chimie orga- nique de l’université, et que la direction de l’ensemble du COP lui reviendra alors . Heureusement, il aura alors fini son mandat de directeur du CERMAV, laboratoire CNRS soumis à des règles strictes . Il continuera à plein temps à être le pionnier des utilisateurs de RMN en chimie organique, utilisant des fréquences d’un ordre de grandeur plus élevé que celles de son début dans cette technique et des méthodes « multinoyaux » de plus en plus compliquées .

Vers la fin des années 1990, il arrive à l’âge de la retraite . Malheureusement atteint par la maladie, il n’aura pas vraiment le temps d’en profiter . Geneviève saura le garder et le soigner à la maison, et il faut rendre hommage à son courage ; mais rien n’est réversible, et il mettra de longues années à finir par s’éteindre paisiblement, dans son sommeil .

Pierre AVERBUCH (1951 s)