GATESOUPE Michel - 1959 s

GATESOUPE (Michel), né le 17 novembre 1937 à Paris, décédé le 14 août 2021 à Nantes (Loire-Atlantique). – Promotion de 1959 s.


Michel Gatesoupe a grandi à Versailles . Son père, Louis Marcel Gatesoupe, était ingénieur . Michel était l’aîné d’une sœur (Mireille) et de deux frères (Jean-Pierre et Joël) . Comme tout bon petit Versaillais, il a commencé ses études primaires dans les petites classes du lycée Hoche de Versailles . À 12 ans et demi, il contracta la poliomyélite en se baignant dans un lac, près de Limoges . La paralysie a atteint les muscles de ses deux jambes et il ne pouvait donc plus marcher . Entouré et stimulé, il a réussi, en partie, à surmonter ce handicap . Il a appris à nager et est devenu un bon nageur . Il pouvait se déplacer lentement en se servant de deux béquilles . Il était en classe de cinquième quand tout cela lui est arrivé . Il a alors poursuivi ses études par correspondance jusqu’au baccalauréat et a été ensuite admis en classe préparatoire aux grandes écoles, au lycée privé Sainte-Geneviève de Versailles . Le choix de cet établissement était naturel, car Michel était catholique . En 1958, il fut reçu à l’École des mines de Paris, tandis qu’admissible à l’ENS il échoua à l’oral . Il choisit alors d’entrer aux Mines, mais au bout d’un an, il décida de se représenter au concours de l’ENS et, cette fois, il fut reçu . Il fut élève externe de la rue d’Ulm entre 1959 et 1962, car à l’époque il était pratiquement impossible à un handicapé moteur de vivre à l’École . Les élèves étaient logés aux étages supérieurs et il n’y avait pas d’ascenseur . Heureusement tout l’enseignement se tenait au rez-de-chaussée .

En 1962, Michel fut reçu à l’agrégation . Il obtint un poste de maître-assistant à Orsay, qui était alors une annexe de l’université de Paris . À cette date, on obtenait cet emploi sans avoir eu besoin de prouver une quelconque aptitude à la recherche . Un assistant ou un maître-assistant enseignait six heures par semaine tout en préparant une thèse . La thèse (appelée doctorat d’État) était l’équivalent de notre habilitation actuelle : c’était une œuvre de longue haleine . Le chercheur bénéficiait d’une grande autonomie pour conduire ce travail majeur . Le directeur de thèse se contentait de lui signaler la littérature existante . Les travaux les plus récents n’étaient connus que par les spécialistes qui se les communiquaient par le courrier traditionnel avant qu’ils ne soient publiés . Internet a, en un sens, démocratisé le travail des jeunes cher- cheurs, qui ont maintenant un accès direct aux preprints . Michel a connu huit ans de bonheur à Orsay . Il me décrivait ainsi son travail : « Dans ma thèse, il y a des petits personnages dont je raconte les aventures . Elles sont imprévues et passionnantes » ou encore « les petits personnages de ma thèse vivent leur vie » . Michel parlait de sa thèse comme d’un roman .

Il aimait les grands romanciers russes . Mireille, la sœur de Michel, et Linette Bélan – qu’il allait épouser – s’étaient rencontrées lors du traditionnel pèlerinage à Chartres des étudiants catholiques . Elles se sont revues et c’est tout naturellement que Linette a fait la connaissance de Michel . Ils se sont mariés à Versailles le 2 juillet 1966 .

C’est le 9 juin 1970 que Michel soutint sa thèse d’État, préparée sous la direction de Jean-Pierre Kahane (1946 s), et en septembre de la même année il fut nommé profes- seur à l’université de Nantes, où il restera trente ans, jusqu’à sa retraite . J’ai demandé à Didier Robert (1975 s), professeur au département de mathématiques de Nantes, de me parler de Michel . Voici ce qu’il m’a écrit : « Le souvenir que je garde est qu’il était très présent dans le département, participant activement à toutes les discussions concernant l’enseignement et l’élaboration des programmes . Ses exposés au sémi- naire d’analyse étaient toujours très clairs . Il aimait faire partager sa passion pour les questions d’analyse harmonique . Je me souviens également qu’il avait toujours des paroles d’encouragement pour les jeunes chercheurs en train de rédiger leur thèse . Ses travaux de recherche concernaient l’analyse harmonique, domaine dans lequel il a dirigé des thèses de doctorat et publié des travaux dont plusieurs dans le cadre d’une collaboration internationale1 . Il a participé activement à la vie du départe- ment dont il a présidé la commission de spécialistes . Son enseignement exigeant était apprécié des étudiants . Michel Gatesoupe laisse le souvenir d’un collègue disponible et dévoué, malgré les difficultés qu’il devait surmonter pour se déplacer . »

Michel préparait minutieusement ses cours . Il ne pouvait écrire au tableau mais se servait d’un rétroprojecteur et il écrivait au fur et à mesure son cours sur les transparents . En 1969, Linette a accompagné Michel à une école d’été d’analyse harmonique au centre Paul-Langevin . Ce centre est situé aux portes du parc national de la Vanoise . La mathématicienne Aline Bonami (1963 S) évoque cet été-là : « Je me souviens particulièrement de l’école d’été d’Aussois où j’avais fait la bêtise de me faire une entorse au genou, et où j’avais arpenté avec Michel et Linette, dans leur 2 CV, les chemins de montagne . Je me souviens de la générosité avec laquelle ils m’avaient proposé de me joindre à eux . » Voici le témoignage de David Salinger :

In 1995 Michel Gatesoupe invited me to Nantes to work with him and Jan Stegeman. He proposed an investigation on the relationship between the Fourier analyses on two different topological group structures on the Cantor set. Michel would drive us to the university each day and we would work together on the blackboard, with either Jan or me transcribing what Michel said. In the evenings, we would return to Michel and Linette’s house on the Boulevard Allard, where my command of French benefitted from Linette’s helpful suggestions. Our work led to a note in the Comptes Rendus2 . We met again, in Nantes, Utrecht and Leeds, intending to expand the original note into a larger paper, but the partial results we achieved did not, in the end, lead to a published work. Michel struck me as a determined person who would not let his physical disa- bilty prevent him from doing what he wanted to, whether in teaching and research, family life, faith (he was a convinced Catholic), or leisure. Travel to Jan’s house in the Netherlands or mine in England cannot have been easy, but it did not prevent him from going there to continue our joint research, or from enjoying the excursions we made during breaks from work. I particularly remember his appreciation of the mobil- ity scooter (then a comparative rarity) provided at a National Trust property and his pleasure in attending a choral evensong at York Minster.

Michel a aussi participé au congrès international des mathématiciens à Helsinki (1978) . Il a conduit depuis Nantes une Opel Kadett et a embarqué pour la Finlande à Travemunde . Linette et Christophe (son fils aîné qui avait 11 ans) faisaient partie du voyage . Les grands-parents avaient pris en charge les trois autres enfants . Michel adorait voyager . Toujours avec Linette et les enfants il a parcouru plusieurs fois l’Italie et la Grèce . Là encore, il conduisait sa voiture et atteignait ainsi les coins les plus reculés . Linette a toujours soutenu avec enthousiasme les initiatives de Michel et particulièrement ces voyages en Grèce, car elle enseignait le latin et le grec au lycée Gabriel Guist’hau de Nantes . Elle avait eu la chance d’étudier le grec ancien grâce à un cours de « grands débutants » ouvert à la Sorbonne . Elle a ainsi pu ainsi s’inscrire en licence de lettres classiques . Elle a alors bénéficié de l’enseignement de Jacqueline de Romilly (1933 l) dont elle conserve un souvenir ébloui . Linette a passé le Capès de lettres classiques dans le cadre des Ipès (Institut de préparation aux enseignements de second degré) .

Michel est resté toute sa vie un chercheur passionné, fidèle au programme de recherche qui, dans les années 1960, enthousiasmait une équipe fervente réunie autour de Jean-Pierre Kahane .

Que reste-t-il aujourd’hui de ce courant d’idées en analyse harmonique ? Les cher- cheurs qui travaillaient à Orsay autour de Kahane ont entre-temps abordé d’autres rivages . Les travaux de Michel ont-ils perdu tout lien avec l’actualité scientifique ? Si j’en avais eu l’occasion, je lui aurais suggéré de rejoindre l’un des courants domi- nants, l’un des thèmes à la mode, comme le deep learning . Mais Michel n’était pas un opportuniste et il aurait sans doute refusé . Or, de façon accidentelle, il y a un mois, en analysant un beau travail sur l’analyse fractale3, j’ai été stupéfait de voir que les auteurs utilisaient un de ses résultats importants4 .

Il n’a donc absolument pas travaillé en vain . Mon impression sur ses recherches était fausse . Son obstination, sa ténacité et son courage lui ont permis d’obtenir des résultats décisifs, tout en ignorant les modes . Ce qu’il a découvert appartient à l’histoire des mathématiques, comme en témoignent les références que l’on trouvera ci-dessous .

Linette et Michel ont élevé quatre enfants qui ont tous bien réussi leur vie . Michel était un père affectueux, mais exigeant . Il a mené une lutte calme et délibérée contre les barrières que son handicap dressait sur sa route . Il refusait les déambulateurs et les chaises roulantes et acceptait de prendre des risques . Il ne supportait pas que les autres décident à sa place ce qu’il était capable de faire . Il fallait qu’il essaye et qu’il juge . Il tombait souvent et a souffert de nombreuses fractures . En 2000, il a eu besoin d’un appareil respiratoire pour ne pas étouffer pendant la nuit, mais cela ne l’angois- sait pas . Il était, au contraire, content de l’aide que son appareil lui apportait . Linette m’a raconté un souvenir . En 1964, à 27 ans, Michel avait accepté de participer avec trois camarades à une mission au Mali, dans le cadre de la coopération . Il s’agissait de former des enseignants . À leur arrivée, les quatre jeunes gens reçurent chacun une 2 CV pour sillonner le pays . La 2 CV destinée à Michel n’était évidemment pas adaptée à son handicap et ses amis voulaient qu’il la rende aux organisateurs . Il a répondu : « Je ne peux pas actionner les pédales avec mes pieds, mais avec mes béquilles je me débrouillerai très bien pour conduire cette voiture . On verra bien ! »

On tremble en y pensant ! Michel voulait toujours essayer de faire ce qu’on croyait qu’il ne pourrait jamais faire . Calme, opiniâtre, souriant, il forçait le destin .

Yves MEYER (1957 s)

Notes

  1. 1 .  Kyle Hambrook, « Explicit Salem sets and applications to metrical Diophantine approxi- mation », Trans. Amer. Math. Soc ., 371 (2019) 4353-4376 .

  2. 2 .  Michel Gatesoupe, David L . Salinger, Jean D . Stegeman, « Deux analyses de Fourier sur l’ensemble de Cantor », C.R. Acad. Sci. Paris, 326, (1988) 1311-1316 .

  3. 3 .  Robert Fraser and Kyle Hambrook, « Explicit Salem sets in R n » (preprint).

  4. 4 .  Michel Gatesoupe, « Sur un théorème de R .Salem », Bull. Sci. Math, (2) 91, (1967) 125-127 .

  5. 5 .  Michel Gatesoupe, « Sur les sous-algèbres fermées d’algèbres de groupes abéliens compacts

    qui sont des algèbres de Beurling . L’analyse harmonique dans le domaine complexe », Lecture Notes in Mathematics, (1972) 28-39 .