Homami, Élahé, 1987 l

HOMAMI (Élahé), née le 10 juillet 1967 à Bakou (URSS), décédée le 29 octobre 2014 à Paris. – Promotion de 1987 l.


Notre camarade Élahé Homami s’en est allée le 29 octobre 2014, à l’âge de quarante-sept ans, des suites d’une longue maladie, comme il est coutume de le dire . Cette longue maladie occupa en effet dix ans d’une vie trop courte, une vie écourtée en plein élan créatif : Élahé Homami venait d’écrire son dixième conte et tenait là une vocation, révélée, comme elle nous le confia, par l’expérience du cancer, mais venue de plus loin, d’autres exils .

Née le 10 juillet 1967 à Bakou, au bord de la mer Caspienne, Élahé Homami a passé toute son enfance et le début de son adolescence dans ce qui était alors une province méridionale de l’Union des républiques socialistes soviétiques, l’Azerbaïdjan . De père iranien réfugié politique en URSS et de mère russo-allemande, elle connut bientôt l’exil à son tour, ce qu’elle vécut comme tel à l’adolescence, d’abord en Algérie, en 1980, puis en France, un an plus tard . Scolarisée aux collège et lycée Claude-Monet, dans le XIIIe arrondissement de Paris, elle s’y distingua aussitôt par sa fibre littéraire, en russe bien sûr mais aussi en français . Elle n’avait appris ce dernier qu’à partir de 1980, comme langue étrangère, mais en acquit très vite une telle maîtrise qu’elle put effectuer ses classes préparatoires littéraires au lycée Fénelon et intégrer l’École de la rue d’Ulm dans la promotion Lettres de 1987 . C’est en cours de scolarité à l’ENS qu’elle obtint la nationalité française et put dès lors bénéficier des pleins avantages consentis aux fonctionnaires-stagiaires .

Passionnée de langue et littérature russes, elle effectue sa licence de russe à la Sorbonne (université de Paris-IV) en 1988 puis rejoint l’université de Paris-VIII pour une maîtrise de littérature et traduction, en 1989 . C’est le début d’une recherche entreprise sous la direction de Claude Frioux (1952 l) qui, avec son épouse, Irène Sokologorsky, suit le parcours de cette jeune doctorante restée nostalgique de Bakou et se sentant toujours, en dépit de ses succès académiques, peu rompue aux us et conventions françaises . Il est vrai que pour tous ceux qui l’ont connue, Élahé Homami s’exprimait avec une telle aisance – avec une pointe d’accent, affirmait-elle sans fausse modestie, mais seules quelques rares expressions pouvaient le trahir – qu’on oubliait trop vite ce qu’avait représenté pour elle l’effort d’intégration, quand bien même celle de l’ENS semblait lui avoir été aisée . L’année 1990 voit son succès, en toute première place, à l’agrégation de russe .

Comme sujet de sa thèse, elle choisit un romancier de sa langue maternelle, un représentant du courant dit du « réalisme romantique », l’écrivain révolutionnaire Alexandre Grine (1880-1932)1 ; elle étudia en particulier sa manière de traiter le temps et l’espace dans plusieurs romans inspirés par la mer Noire et la Crimée, lieux d’élection de cet auteur qui y mourut, lui aussi prématurément, et du même mal . En 1993, Élahé fit le voyage d’Odessa et de Stavropol, sur les traces de son auteur . Elle ne retourna jamais à Bakou en revanche, sauf à travers les récits confiés à un documenta- riste berlinois, pour la radio allemande en 2007, et à l’écoute des sons captés dans la cour d’immeuble de son enfance2 .

D’abord effectuée dans le cadre d’une allocation de thèse (Élahé Homami est allo- cataire-monitrice-normalienne de 1993 à 1995, puis Ater l’année suivante, au sein de Paris-VIII), cette recherche doctorale se poursuit en disponibilité (1996-1997) puis en parallèle d’un service de l’enseignement secondaire dans l’académie de Lille (1997-1999) .

Pour des raisons de santé et parce qu’elle se consacrait avec ardeur à ses élèves du lycée, Élahé Homami ne put mener à son terme cette thèse pour laquelle tant de sources, plusieurs explications de textes et de nombreuses analyses furent pour- tant rassemblées ou réalisées . Peut-être un étudiant d’aujourd’hui pourrait-il en faire usage ?

Un appel est ici lancé, auquel la famille répondra volontiers, par l’intermédiaire de l’Association .

De 1999 jusqu’à sa dernière rentrée, celle de 2014, Élahé Homami a enseigné successivement dans les lycées Thiers à Marseille, Marcelin-Berthelot à Saint-Maur- des Fossés, Jules-Ferry à Paris et enfin pour le Cned, sur un poste tardivement aménagé . La plupart de ses services cumulaient l’enseignement secondaire classique et les classes préparatoires aux Grandes Écoles . C’est peu dire qu’elle s’est battue contre la maladie mais aussi pour conserver un niveau de vie décent dans les condi- tions qui sont faites, hélas, aux malades atteints du cancer de manière prolongée et « hors statistiques », selon l’expression qu’on lui redit souvent à l’Institut Curie tout en saluant son courage . La solidarité de sa famille proche, de ses collègues du lycée et de quelques anciens camarades à l’initiative de son amie Brigitte Bercoff (1989 l), permit à Élahé Homami, célibataire et sans enfant, de vivre ses derniers mois sans renoncer à tout mais il est certain qu’elle témoignerait, si elle le pouvait, des lourdeurs administratives et des difficultés matérielles, sans compter le souci permanent du lendemain, qui grèvent encore davantage une vie quotidienne dans cette situation .

Dans ce contexte, l’écriture des contes s’est révélée nécessaire, à ce moment de sa vie, et salutaire à maints égards . N’ayant jamais cessé d’espérer la guérison, en dépit des prévisions médicales et des obstacles en tout genre, Élahé a su trouver le temps et l’énergie d’en écrire une dizaine, d’en trouver l’illustratrice et d’en conter même quelques-uns en public, tout en témoignant de son parcours de vie . Son souhait le plus cher était de pouvoir poursuivre dans cette voie de création et de partage .

Ce fut Gilles Authier, camarade de sa promotion et une de ces personnalités rares, le seul d’entre ses amis à pouvoir échanger avec elle des mots de russe, d’azéri ou même de persan, qui la présenta à quelques camarades de l’internat d’alors . Notre amitié se prolongea, jusqu’à ce 29 octobre 2014, dans une chambre d’hôpital, où Élahé Homami s’est éteinte à quelques pas seulement de notre École, de l’autre côté de la rue d’Ulm . En hommage à sa vaillance et à son goût de vivre, sa famille et ses amis espèrent la publication prochaine des Contes vivants d’Éléonore, selon le nom de baptême qu’elle s’était tout récemment choisi . Ce recueil offrira sans nul doute le meilleur témoignage de sa personnalité et de sa créativité .

Laure LÉVEILLÉ (1986 l)

Notes

  1. 1 .  http ://www .bibliotheque-numerique-paris8 .fr/fre/ref/168731/FVNJ0115/ Lien de la notice de ROSSICA, bulletin de la formation doctorale Culture et société dans le CEI et en Europe orientale, université de Paris-VIII-Saint-Denis . Article d’Élahé Homami sur « L’Univers poétique d’Alexandre Grine » .

  2. 2 .  “Ich erinnere mich an Baku . . .” Gespräche mit der Kaukasierin Elahé Homami ; Harald Brandt – émission du 7 septembre 2007, 20 h 10 . Deutschlandradiokultur .