LÉPINGLE Dominique - 1962 s

LÉPINGLE (Dominique), né le 31 décembre 1943 à Paris, décédé le 24 décembre 2021 à Olivet (Loiret). – Promotion de 1962 s.


Il arrivait que notre père évoque ses années d’études à la rue d’Ulm . D’une part, parce que c’est à cette période qu’il rencontra notre mère, avec laquelle il fit toute sa vie . D’autre part, parce que ce furent quasiment ses seules années de travail non orléanais, ville d’où il venait et où il repartit faire carrière . Au hasard des souvenirs, des noms d’anciens cama- rades revenaient, des anecdotes souvent liées au contexte politique de l’époque, à la fièvre étudiante qui l’intrigua fort et dont il garda par la suite un goût pour la mesure et une grande méfiance vis-à-vis de tout emportement . Mais

on sentait qu’il était fier d’avoir côtoyé des camarades qui se firent un nom sur les scènes politique, littéraire, scientifique . Quelques faits d’armes : les journées à la Cinémathèque à quelques pas de l’École, à voir des films étrangers sans sous-titres ; une mauvaise manipulation en labo de chimie, qui le décida à opter pour des mathé- matiques sans danger physique (!) ; et bien sûr les discussions à bâtons rompus sur le monde à faire et refaire en pleines années 1960 .

Les mathématiques occupaient une place centrale dans la vie de notre père et elles apparaissaient de temps à autre dans la vie familiale . Notre mère racontait comment lors de sorties à vélo dans la campagne bretonne, il lui indiquait, au pied d’une pente, avoir trouvé une solution . Arrivé sur le haut de la côte, il décrétait alors que son idée ne fonctionnait pas . Ou encore ces dimanches matin dans la maison familiale : quand nous prenions notre petit déjeuner il était déjà à l’œuvre, arpentant le salon autour de la table où s’entassaient des livres aux écritures incompréhensibles . Plus tard, alors que nous étions adultes, il pouvait partager son sentiment sur l’une ou l’autre des nombreuses recensions réalisées au cours de sa carrière . Il parlait du style d’un certain auteur russe : « c’est très clair, mais... il n’y a pas beaucoup d’idées », ou d’un chercheur tunisien : « Il a tendance à affirmer les choses... parfois il y a une page de démonstration derrière un « Pour des raisons analogues », mais... je n’ai pas trouvé d’erreur ! »

Il avait passé son enfance le nez plongé dans les atlas et encyclopédies, et en gardait une culture très étendue, avec un goût prononcé pour l’Histoire qui se retrouvait dans ses nombreuses lectures (Conrad au premier chef) et ses préférences cinématographiques (il aimait relever, sans s’en formaliser outre mesure, les entorses à l’Histoire dans les péplums et films historiques hollywoodiens qu’il affectionnait !) . Il fut aussi, ces dernières années, un grand-père très aimant et attentionné, toujours prêt à jouer un jeu ou un rôle pour ses petits-fils ravis . Il se partageait ainsi, entre les promenades et soirées avec notre mère, les matinées à s’occuper du jardin et des courses, selon un emploi du temps ritualisé que venaient interrompre les visites des enfants et petits-enfants . Le cancer du foie, découvert en novembre dernier, l’a emporté en un mois .

Nous laissons la parole à Aline Bonami (1963 S), sa collègue à la faculté de mathé- matiques d’Orléans, pour un extrait de l’hommage paru dans la revue Matapli.

Gaël, Iwan et Solenne LÉPINGLE

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Dominique Lépingle est mort le 24 décembre, à quelques jours de son soixante-dix-huitième anniversaire . Il était professeur émérite à l’université d’Orléans où il avait effectué toute sa carrière .

Né dans une famille orléanaise, il ne s’est éloigné d’Orléans que quelques années, d’abord pour aller en classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand, puis pour passer quatre ans à l’École normale supérieure . Il revint à Orléans comme assistant puis maître-assistant à la rentrée de 1966 . L’université venait juste d’y être créée, succédant à un Collège scientifique universitaire qui dépendait de la faculté des lettres de Paris . Il y avait effectivement tout à créer dans cette université nouvelle, où les professeurs se succédaient rapidement . On comprend facilement qu’y faire de la recherche y était difficile . Dominique, qui, normalien, avait hésité entre physique et maths, fréquen- tait comme beaucoup les séminaires parisiens et trouva bientôt sa voie en calcul des probabilités . Celui-ci ne faisait pas partie du cursus classique d’alors à Paris, mais il a fallu l’intégrer très tôt dans le cursus d’Orléans, et Dominique a joué, pendant toute sa carrière, un rôle central dans le développement des probabilités à l’université d’Orléans, autant en enseignement qu’en recherche . Ses premiers travaux portent sur les intégrales scholastiques à valeurs hilbertiennes ; à partir de 1975 et pendant plus de dix ans, c’est une série remarquable d’articles sur les inégalités de martingales qu’il produit, mais son intérêt dépassera largement ce cadre pour s’ancrer dans la théorie générale des processus et toutes ses subtilités .

Dominique a soutenu sa thèse d’État en 1978 à Orléans et est rapidement passé dans le corps des maîtres de conférences . Il y avait ces années-là un séminaire hebdo- madaire de probabilités dont il fut l’organisateur en même temps qu’un conférencier fréquent . Peu à peu la recherche prit de l’importance au sein du département de mathématiques dont il fut directeur à un moment clé, à la fin des années 1980 . L’image du département de mathématiques au sein de l’université s’améliorait progressivement, ce dont il fut un des acteurs centraux . Elle mena à l’association au CNRS en 1994, qui ancra définitivement les mathématiques parmi les disciplines qui comptent au sein de l’université . Cette forte implication locale ne l’empêcha pas de continuer à participer régulièrement aux séminaires de probabilités parisiens et y développer des collaborations (il écrivit avec Nicolas Bouleau un livre sur les méthodes numériques pour les processus stochastiques, comblant un vide dans la littérature d’alors) .

Il est impossible de ne pas parler des problèmes de santé de Dominique qui l’ont préoccupé depuis son enfance, puisqu’il avait subi tout jeune une opération du cœur . Il en eut une autre à la fin des années 1980, suivie d’un long congé et de complica- tions les années suivantes .

Dominique a constamment œuvré, et avec succès, pour que l’équipe de proba- bilités se renforce . Il a pris sa retraite en 2008 . Il a continué à venir régulièrement comme professeur émérite au département de mathématiques . Probabiliste, il l’était à sa manière, pleine de discrétion et de modestie . Il n’hésitait pas à accepter de travailler dans l’ombre . Un chiffre en témoigne, stupéfiant : il a fait 492 recensions pour le journal Mathematical Reviews !

Aline BONAMI (1963 S)