LEHERPEUX GOUREVITCH Danielle -1961 L

LEHERPEUX (Danielle), épouse GOUREVITCH, née le 21 janvier 1941 à Pluméliau (Morbihan), décédée le 13 juin 2021 à Paris. – Promotion de 1961 L.


Née en pleine tourmente, chez ses grands-parents mater- nels, dans le Morbihan, Danielle Gourevitch appartient à une famille dont plusieurs membres s’illustrèrent lors des deux guerres pour des faits d’armes et de résistance . Ses quatre grands-parents étaient instituteurs dans le Morbihan et en Ille-et-Vilaine, et ses parents, Marcel Leherpeux, origi- naire de Saint-Malo, et Anne Ropert, étaient professeurs . Petite-fille et fille d’enseignants d’origine bretonne, elle fut profondément marquée, non seulement par leurs idéaux d’œuvrer aux progrès de la société en promouvant l’éducation et le savoir pour tous, mais aussi par ses racines bretonnes, dont elle avait hérité maints traits de caractère, parmi lesquels le plus frappant était sans doute l’opiniâtreté, à la fois pour défendre ses convictions et dans le travail et la réalisation de ses projets, à une époque où, comme le laisse entrevoir le titre du volume qui lui fut offert en 2008, Femmes en médecine, en l’honneur de Danielle Gourevitch (éd . V . Boudon-Millot, V . Dasen et B . Maire, Paris, de Boccard, coll . « Medica »), plus encore qu’aujourd’hui, il était malaisé pour une femme de franchir le « plafond de verre » .

Ses études secondaires clôturées au lycée Fénelon, à Paris, elle poursuivit sa forma- tion à l’École normale supérieure de jeunes filles, alors dite de Sèvres (1961-1965), et à l’École pratique des hautes études (EPHE), où elle fut notamment l’élève, d’abord de Paul-Marie Duval (1912-1997, 1934 l), puis plus tard, de Jacques André (1910- 1994) et de Mirko Grmek (1924-2000), et dont elle fut diplômée de la IVe Section – Sciences historiques et philologiques – en 1965, avec une thèse sur Les offrandes pour la santé dans l’Antiquité. Essai d’interprétation médicale et religieuse . Ayant réussi entretemps le concours d’agrégation de grammaire (1964), elle fut nommée profes- seur au lycée de jeunes filles de Fontainebleau, où elle enseigna un an (1965-1966), avant de devenir membre de l’École française de Rome (1966-1969), puis assis- tant, maître-assistant, maître de conférences et professeur à l’université de Paris-X Nanterre (1969-1989) . Soutenue en juin 1981, sa thèse de doctorat ès lettres, inti- tulée Recherches sur l’idée et sur le vécu de la santé et de la maladie dans le monde gréco-romain aux époques hellénistique et romaine, a été publiée en 1984 sous le titre Le Triangle hippocratique dans le monde gréco-romain : le malade, sa maladie et son médecin, à Rome, dans « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome » (tome 251) . Le 30 septembre 1989, elle succéda à son maître Mirko D . Grmek comme directeur d’études titulaire de la chaire d’Histoire de la médecine à l’EPHE, où elle professa jusqu’en 2008 . En 2001, elle avait été élue à l’Institute for Advanced Study de Princeton, School of Historical Studies, où elle séjourna six mois, en 2002 .

En 1961, elle avait épousé le docteur Michel Gourevitch (1930-2015), licencié ès lettres et médecin, qui allait devenir psychiatre des hôpitaux et, de 1975 à 2003, chargé de conférences d’Histoire de la psychiatrie à la IVe Section de l’EPHE . Dès 1963, elle cosignera avec lui de nombreux articles d’histoire de la médecine et de la psychiatrie . Ils eurent deux enfants, Alexandre, né en 1966, et Raphaël, en 1970, qui leur donnèrent cinq petits-enfants, Victor, Georges, Lucie, Yaël et Simon, qu’elle adorait et pour chacun desquels elle avait écrit, de sa plume alerte et élégante, des livres à compte d’auteur s’inspirant de l’antiquité gréco-romaine ou de son histoire familiale .

Remarquable par sa qualité, sa variété et son ampleur (en plus des ouvrages, près de 350 articles, sans compter les préfaces, postfaces et les innombrables comptes rendus), sa production scientifique couvre des domaines aussi divers que la sémantique, l’archéologie, la paléopathologie, la pathographie, l’iconodiagnostic, l’édition, la traduction et le commentaire de textes grecs et latins, et aborde des spécialités médi- cales telles que l’anatomie, la pathologie, la diététique, la pharmacologie, la dentisterie, la déontologie, la gynécologie, la dermatologie, l’ophtalmologie, l’otorhinolaryngo- logie, l’esthétique, la psychanalyse et l’épidémiologie, dans les mondes hellénique, romain, gallo-romain, étrusque et juif, sans parler de la littérature française .

Elle illustre des genres aussi divers que les écrits savants, destinés aux spécia- listes, les catalogues d’exposition et les ouvrages de haute vulgarisation pour le grand public cultivé, ou même d’imagination, néanmoins fondés sur une érudition sans faille, pour les plus jeunes . Parmi ses nombreux ouvrages, dont plusieurs ont été traduits en italien, en anglais, en portugais et même en russe et en coréen (voir https://dgourevitch .fr/), citons, à côté du Triangle hippocratique dans le monde gréco- romain mentionné plus haut, Le Mal d’être femme. La femme et la médecine dans la Rome antique (Paris, Les Belles Lettres, 1984), l’édition magistrale en quatre tomes des Maladies des femmes de Soranos d’Éphèse publiée aux Belles Lettres, entre 1988 et 2000, en collaboration avec Paul Burguière (1938 l) et Yves Malinas, Maladie et maladies. Histoire et conceptualisation. Mélanges en l’ honneur de M. Grmek (Paris-Genève, Droz, 1992), La Mission de Charles Daremberg en Italie (1849-1850) (Naples, Centre Jean-Bérard,1994), Histoire de la médecine. Leçons méthodologiques (Paris, Ellipses, 1995), Les Maladies dans l’art antique, en collaboration avec Mirko Grmek (Paris, Fayard, 1998), I giovani pazienti di Galeno. Per una patocenosi dell’im- pero romano (Rome-Bari, Laterza, 2001), La Vie quotidienne. La femme dans la Rome antique, en collaboration avec Marie-Thérèse Raepsaet (Paris, Hachette, 2001), J.-B. Baillière et fils, éditeurs de médecine, en collaboration avec Jean-François Vincent (Paris, de Boccard, 2006), Pour une archéologie de la médecine romaine (Paris, de Boccard, 2011), Limos kai loimos, A study of the Galenic plague (Paris, de Boccard, 2013), Théon, l’enfant grec d’Oxyrhynque. La vie quotidienne en Égypte au iiie siècle, en collaboration avec Antonio Ricciardetto (Liège, 2020, Cahiers du Cedopal, 9) qui sera suivi de Secundilla, la petite Romaine (à paraître à Liège, 2022, Cahiers du Cedopal, 13), et, parmi les catalogues d’expositions, sa participation à ceux d’Au temps d’Hippocrate. Médecine et société en Grèce antique (Musée royal de Mariemont, 1998), Maternité et petite enfance dans l’Antiquité romaine (Bourges, Muséum d’histoire naturelle, 6 novembre 2003-28 mars 2004) et Au temps de Galien. Un médecin grec dans l’Empire romain (Musée royal de Mariemont, 2018) .

Membre de nombreuses sociétés savantes, parmi lesquelles la Société des études latines, l’Association pour l’encouragement des études grecques, la Société française d’histoire de la médecine, dont elle fut présidente de 2006 à 2009, puis présidente d’honneur, la Société des antiquaires de France, le comité national d’histoire des sciences (Académie des sciences), l’Académie internationale d’histoire des sciences, l’Académie nationale de chirurgie dentaire et la Société française d’histoire de l’art dentaire, dont elle fut présidente, Danielle Gourevitch était titulaire de plusieurs distinctions honorifiques : Médaille de bronze de la Ville de Paris (25 juin 1957, lauréat du Concours général), chevalier (16 juillet 1993), puis officier (3 septembre 1998) des palmes académiques, Lauréat de l’Académie de médecine (1999), de l’Académie des inscriptions et belles lettres (2000) et de la Faculté de médecine de Gand (2000), Professeur d’honneur de l’université ambrosienne de Milan (2000) et Chevalier de la Légion d’honneur (janvier 2002) .

Hantée par la transmission d’un savoir arraché à force d’un labeur incessant, Danielle Gourevitch engagea l’histoire de la médecine dans des voies nouvelles, à la suite de Mirko Grmek, tout d’abord en lui rendant toute sa place, tant dans les études médicales qu’historiques et littéraires, ensuite, en développant le côté multidiscipli- naire des recherches alliant la philologie, l’histoire, l’archéologie et la paléopathologie, faisant en sorte de ressusciter le quotidien de nos prédécesseurs exposés aux aléas de leur condition . À ce titre, ses publications rendant à la femme et à l’enfant toute leur importance dans le monde gréco-romain et son ouvrage Pour une archéologie de la médecine romaine représentent incontestablement des modèles du genre . Sur un plan plus théorique, elle explora le concept de « pathocénose » – à savoir l’ensemble des états pathologiques présents au sein d’une population déterminée à un moment donné –, créé et mis à l’épreuve par Mirko Grmek dans Les Maladies à l’aube de la civilisation occidentale (Paris, Payot, 1983), puis par son maître et elle-même dans Les Maladies dans l’art antique, fondé sur le concept nouveau d’« iconodiagnostic », à savoir le diagnostic rétrospectif des maladies fondé sur l’étude des images, dont les apports complètent ceux de l’exégèse des écrits médicaux anciens, de la pathographie des personnages historiques et de la paléopathologie, dans l’écrit qu’elle présen- tait elle-même comme le troisième volet du triptyque, I giovani pazienti di Galeno. Per una patocenosi dell’impero romano, où elle dressait l’état sanitaire des jeunes à l’époque et selon le témoignage de Galien (129-216) . Quant à son livre Limos kai loimo : A Study of the Galenic Plague, publié en 2013, dans lequel elle étudiait les témoignages sur la terrible peste antonine, si meurtrière (probablement la variole, qui sévit de 165/166 à environ 190), il s’avère véritablement prophétique, au regard de la pandémie qui a mis tout récemment l’humanité à l’épreuve .

Danielle Gourevitch s’est éteinte à Paris le 13 juin 2021, pleurée par sa famille, ses amis, ses collègues et ses élèves, qu’elle a tant encouragés . Gourmande de la vie, elle avait une personnalité très attachante, pleine de gaieté et d’humour . Admirant la beauté sous toutes ses formes, elle aimait profondément la France, ses territoires, ses paysages et son patrimoine, mais aussi l’Italie, où elle avait vécu plusieurs années, et évoquait volontiers son « tropisme américain » familial . Son apport à l’histoire de la médecine, aux études classiques et à l’archéologie médicale, en France et dans le monde, qu’elle avait du reste inlassablement parcouru lors de ses innombrables participations à des congrès et des colloques, est inappréciable . Philologue, histo- rienne de la médecine et spécialiste, non seulement de la culture gréco-romaine, mais aussi de l’histoire de l’érudition médicale, toutes époques confondues, elle fait partie de ces rares enseignants-chercheurs qui allient à l’érudition la plus exigeante et à une curiosité intellectuelle toujours en éveil, des qualités humaines exceptionnelles, comme la bienveillance, l’honnêteté, la loyauté et la générosité .

Marie-Hélène MARGANNE,
directrice honoraire du Centre de documentation de papyrologie littéraire (Cedopal),
université de Liège, U .R . Mondes anciens