LOYSON Charles - 1811 l

LOYSON (Charles), né le 13 mars 1791 à Château-Gontier (Anjou), décédé le 27 juin 1820 à Paris. – Promotion de 1811 l.


Son père Julien était sellier, établi paroisse Saint-Jean Baptiste, rue du Pélican, qui porte maintenant son nom . Il s’installa en 1797 près de l’église Saint-Rémy (là où fut posée une plaque commémorative) . Sa mère était née Théodore Sainte Le Duc, et son frère Louis-René Le Duc fut son parrain, lors du baptême le jour même de sa nais- sance . Il était secrétaire greffier de la municipalité d’Oudon . Sa marraine, Charlotte Guïon, lui donna son prénom . Son père était malade ce jour-là . Il eut un frère, Julien-Jean, de

dix ans son cadet, ce médecin qui assista George Farcy (1819 l) sur les barricades le 29 juillet 1830 (voir L’Archicube 31 bis, page 91), devint sous-préfet et mourut secrétaire du prince-président en 1852, un an après un autre frère Louis-Julien, né en 1792, qui fut recteur d’académie, à Orléans, à Metz puis à Pau où il décéda . Un frère aîné était mort à la guerre, dans la Grande Armée .

Il fit ses premières études à l’hospice Saint-Joseph de sa ville natale et les compléta au collège de Beaupréau (au sud d’Angers, dont dépendait alors administrativement Château-Gontier, le département actuel de la Mayenne n’ayant pas encore acquis son unité que lui conféra à la fin du xixe siècle le monumental Dictionnaire de l’abbé Alphonse Angot1) . Il devint enseignant lui-même : dès 17 ans il était chargé des classes supérieures au collège de Doué (humanités et rhétorique : les classes de seconde et de première actuelles) ; puis fort de son expérience pédagogique, il se présenta au concours de l’École normale, recréée en 1810 par l’Empereur (et Fontanes son Grand-maître de l’Université), après l’essai sans suite de l’an III de la République . Elle était alors installée dans les combles de l’ancien collège de Clermont (notre lycée Louis-le-Grand) et désignée pensionnat normal .

Parallèlement à ses études, il versifia : il chanta successivement la naissance de Napoléon II, roi de Rome, puis la chute du tyran son père . Après avoir obtenu la licence, il soutint le 27 juillet 1813 une thèse en français De la manière de traduire les poètes anciens . Il voulait que les poètes anciens fussent traduits en vers . Elle fut précédée de la thèse latine : De definitione « discutée publiquement le 17 juin de midi à la seconde vespertine », selon la formule en usage . Il les dédia fidèlement à ses maîtres du collège de Beaupréau : Mongazon (rector) et Boutreux (moderator) pour la latine, Blouin (émérite) pour la française . Il s’y présente comme scholae normalis alumnus, facultate litterarum jam licenciatus.

La Restauration le nomma immédiatement au secrétariat de la direction de la Librairie, puis après les Cent Jours (où il quitta alors Paris), il devint chef de bureau au ministère de l’Intérieur : il y était chargé de la surveillance des cultes non catholiques (cultes dissidents et tolérés, selon la formulation officielle en vigueur jusqu’à la Troisième République, soit les cultes protestants et israélites) . Mais il conserva jusqu’en 1819 son poste de répétiteur de seconde année à l’École2 . Il fut également un collaborateur assidu du Journal des Débats, dès 1814 . Il eut ainsi le loisir de peaufiner sa prose comme ses vers, ce qui permet à notre Supplément historique de le qualifier d’homme de lettres .

Dans sa promotion figuraient (entre autres) Augustin Thierry, le futur historien des temps mérovingiens, Épagomène Viguier, le pédagogue innovant, créateur des « asiles » (nos écoles maternelles), et Henri Patin, le grand helléniste, qui rédigea à son intention une Notice. Elle figure en tête de ses Œuvres choisies éditées par Albanel à Paris en 1868, par les soins de son neveu, l’abbé Claude Loyson devenu le frère Hyacinthe, carme déchaussé, ayant professé la théologie au séminaire de Nantes . Il est avec Viguier le premier exemple d’un ancien élève devenu répétiteur (c’est plus tard que le terme caïman s’imposera) . Quatre volumes de Charles Loyson ont leur place en Bibliothèque d’Ulm, et dans le Supplément historique Œuvres choisies, car sa production remplissait déjà plusieurs volumes de prose et de poésie lorsque la mort le prit à 29 ans . Sur un côté du monument3 érigé à sa mémoire au début de la prome- nade du Bout-du-Monde, les Castrogontériens peuvent lire des titres de ses œuvres poétiques : L’Air natal, Souvenirs d’enfance, Le Lit de mort et Le Retour à la vie. S’ils les parcouraient, ils y verraient comme un prélude aux vers de Lamartine (qu’il fut un des tout premiers à louer) et ce pressentiment d’une mort imminente à laquelle la maladie avait donné un bref répit :

Je suis sous le sceau de la mort !
Pour mon âme abattue
Tous liens sont désormais pareils.
Je porte dans mon sein le poison qui me tue. Changerai-je de sort en changeant de soleils ?

Le Retour à la vie

De telles poésies ne devraient jamais vieillir, pour Sainte-Beuve .

Tout aussi émouvant est le premier des quatre articles sur André Chénier qu’il donna au Lycée français (Henri de Latouche venait de révéler que Marie-Joseph Chénier avait un frère, André) . Il y décrit son jardin secret, son Élysée imaginaire : une maisonnette blanche, aux volets verts, couverte de tuiles – et pas d’ardoises ! – ceinte de murs – et pas d’un fossé avec une haie vive ! – une petite forêt, un bassin, un kiosque, un petit pont et des hommages personnalisés à Tibulle, à Lucain, à Jean Second, à Millevoye, à Gilbert, à Malfilâtre, à Chatterton (un rocher nu) ; au centre de ce jardin anglais, la première place revient à André Chénier .

Des Odes, notamment à Casimir Delavigne, à Charles de Rémusat, à Scribe et au jeune Sainte-Beuve, de spirituelles Épîtres à Victor Cousin sur la route de la philo- sophie allemande, ou à Maine de Biran, ont été publiées . Ce ne fut pas le cas de ses madrigaux, bouts-rimés et autres bagatelles, qu’il sema jusque sur la table royale, car le duc d’Escars, premier maître d’hôtel de Sa Majesté, lui avait adressé du vin de Bordeaux ; il le remercia par un quatrain que le roi Louis XVIII entendit déclamer par son sommelier . . . et le roi y suggéra une modification .

Dès la création du Lycée français, il y publia des poèmes, notamment une Élégie imitée de Grillparzer : le titre L’Enfant heureux ne peut laisser deviner que sa fin tragique est le pendant du Roi des Aulnes que Schubert allait mettre en musique . Deux autres Élégies dépeignent sa visite à Grateloup en Périgord, chez Maine de Biran disgracié .

À l’arrière du monument, se lisent deux alexandrins parfaitement adaptés au lieu :

Pour moi, j’irai rêver sur ce vieux Bout du Monde
Superbe promenoir de nos simples aïeux.

L’abbé, son neveu, réduit sa poésie à sa fidélité à sa famille et à la religion dans laquelle il fut élevé, en citant

Voilà l’humble atelier où mes pauvres parents
Pour nourrir leur famille ont travaillé trente ans,

puis se retournant vers Saint-Rémy, il revit sa première communion, ce qui donne ce quatrain :

Vois-tu ce lieu sacré ? C’est là qu’un cierge en main,
Signe mystérieux d’amour et d’innocence,
Pour la première fois au céleste festin
Un pasteur vénérable accueillit notre enfance.

Loyson chantait aussi les traditions de la Bretagne dont il se sentait un enfant, par sa mère et sa grand-mère Le Duc . Il disait qu’il chant(ait) comme l’oiseau, sans songer qu’on l’écoute.

Sa poésie avait plu aux Académiciens, qui, en 1817, l’honorèrent d’un premier accessit à leur concours de poésie (alors que le jeune Victor Hugo se vit retourner son manuscrit4) . Le sujet en était : le bonheur de l’étude . Le père de Viollet-le-Duc faisait partie des jurés . Guizot la savait par cœur : il ferma la bouche d’un opposant après la séance de la Chambre, qui lui faisait remarquer sa fatigue, par ce distique :

C’est pour périr bientôt que le flambeau s’allume
Mais il brille un moment sur les autels des Dieux !

Déjà à 26 ans, Loyson sentait l’approche de la mort qui hante son œuvre .

Sur le côté opposé du monument, sa prose est représentée par une Lettre à Benjamin Constant (celle qui traite De la responsabilité des ministres) et sa Guerre à qui la cherche : un long pamphlet de 1818 au vitriol, frappant aussi bien à droite qu’à gauche et sous-titré Petites lettres sur quelques-uns de nos grands écrivains, par un ami de tout le monde ennemi de tous les partis, en 236 pages . Benjamin Constant, visé à la fois pour sa politique et des affaires financières, lui répliqua, mais il dut abandonner la partie . Comme la suite, intitulée Seconde campagne de Guerre, ses proses furent diffu- sées dans toute la France : l’appareil d’État aidait puissamment à les faire connaître . Il fut ainsi le collaborateur de Royer-Collard et de Pierre de Serre (ministre de la Justice de Decazes) : leur bras droit et aussi, malgré son âge, leur éminence grise, au centre contre tous les extrêmes ; mais leur prudente politique n’eut qu’un temps . . .

Cette même année, il devint un collaborateur assidu des Archives philosophiques, politiques et littéraires où il écrivait en prose . Un article sur Pindare le fit remarquer par Victor Cousin (1810 l) : sans appareil d’érudition, il démêlait la poétique du grand Thébain et avait compris l’unité vivante qui animait ses Odes, selon Sainte- Beuve . Il souhaitait que le traducteur fît précéder chaque Ode d’un argument . C’est l’exemple que suivit Cousin pour son Platon. L’année précédente, il avait mis à profit un retour à Château-Gontier pour y apprendre l’anglais et rédiger un Tableau de la constitution anglaise.

Dès 1818, sa santé s’altéra : à raison de six heures quotidiennes d’exercices physiques, sur prescription médicale, il la détruisit rapidement, malgré une tenta- tive de cure dans les Pyrénées . Il continuait néanmoins son enseignement à l’École, et le souvenir est resté tenace des fins de cours où quasiment asphyxié, il portait à sa bouche un mouchoir qu’il retirait taché de sang : comme Alfred de Vigny son contemporain, il souffrait d’hémoptysie . Il succomba d’une « inertie des intestins », rue du Bac, après avoir reçu l’extrême-onction de l’abbé Frayssinous (qui n’était pas encore l’évêque in partibus d’Hermopolis, distinction obtenue deux ans plus tard) . Son dernier acte fut de brûler sa traduction des Élégies de Tibulle, sur injonction de l’abbé .

Victor Cousin salua son cercueil en ces termes : « Ta vie a été pure, ta mort a été chrétienne. »

C’est peu de dire avec Alphonse Angot qu’il était « doué de talents remarquables dont il n’a pas donné la mesure » ; Sainte-Beuve achève son Portrait par une compa- raison avec George Farcy, qu’il avait bien connu : deux Normaliens se trouvent ainsi au début et à la fin de la Restauration, l’un qui l’ouvre et l’autre qui la clôt .

Il est donc un des rares élèves de la deuxième École normale à n’avoir pas connu la disparition de celle-ci en septembre 1822, et il restera le tout premier exemple d’an- cien élève ayant bifurqué dès sa sortie5 (il avait passé deux ans entre le baccalauréat et le doctorat !) vers les cabinets ministériels .

Patrice CAUDERLIER (1965 l) aidé par Henri PATIN (1811 l)

Notes

  1. 1 .  De nombreux renseignements de cette notice proviennent du deuxième volume du Dictionnaire de la Mayenne, p . 735-736 . Les quatre tomes de ce monumental ouvrage ont cimenté le département, créé artificiellement avec des lambeaux du Maine, de l’Anjou, de la Bretagne et du Perche . Il figure en bonne place à l’École, comme les dix épais volumes de l’Histoire littéraire du Maine (par Hauréau, Paris 1870-1877), où l’on ne trouverait aucune notice sur Loyson... si les pages en étaient coupées, puisque Château-Gontier n’était pas situé dans ladite province .

  2. 2 .  Il profita de sa position au ministère pour rédiger le règlement de l’École, appliqué le 5 décembre 1815, faisant passer la scolarité à trois ans et n’accordant plus d’office l’agréga- tion . Une note de Paul Dupuy (1876 l) dans la Notice historique du Centenaire, page 19, fait ainsi référence au discours d’inauguration de la nouvelle et troisième École par Paul Dubois (1812 l), le fondateur du Globe devenu directeur de l’établissement, qui attribue à Loyson la rédaction du décret .

  3. 3 .  Il est surmonté de son buste en bronze, qui orne cette notice, dû à Jacques Pohier ; il a été restauré en 2021 par la municipalité, sur les objurgations de monsieur Philippe Delahaye ; il avait été inauguré le 1er octobre 1899 aux frais de la commune et de l’Association bretonne- angevine, qui déjà alors œuvrait pour le rattachement de Nantes (et d’Angers . . .) à la Bretagne . Léon Séché prononça un discours à cette occasion, en reprenant le Portrait dont Sainte-Beuve l’avait honoré dans la Revue des Deux Mondes de juin 1840 (= Portraits contemporains, II, 231), en même temps que Jean Polonius et Aimé de Loy, tous trois précurseurs de Lamartine .

  4. 4 .  Le futur poète des Orientales enterra son concurrent plus heureux par ce vers publié dans le journal La Minerve :

    Même lorsque l’oison vole, on sent qu’il a des pattes.

    Comme pour lui donner raison, les édiles locaux ont placé le lycée de Château-Gontier sous le patronage de Victor Hugo, en « oubliant » leur concitoyen (ils ont également « oublié » de baptiser un établissement scolaire du nom de Lucie Delarue-Mardrus qui, elle, avait choisi de finir ses jours sur les bords de la Mayenne) .

  5. 5 .  Son camarade de promotion Épagomène Viguier lui avait fait observer qu’il s’éloignait de l’enseignement, et il se justifia par une spirituelle Épître. C’est dans le règlement de 1815 (cf . note 2) que figure l’obligation de dix années au service de la fonction publique (celui de 1812 dispensait les pensionnaires à la fois de l’agrégation et des obligations militaires) .