MICHEL Alain - 1950 l

MICHEL (Alain), né le 2 juin 1929 à Marseille (Bouches-du-Rhône), décédé le 2 avril 2017 à Fontainebleau (Seine-et-Marne). – Promotion de 1950 l.


Alain Michel nous a quittés le 2 avril 2017, à l’âge de 87 ans . C’est un grand savant qui disparaît, un homme de culture et un remarquable professeur qui a su passionner des générations d’étudiants et former de nombreux élèves .

Alain Michel était né en 1929 à Marseille, mais sa famille était originaire de la ville d’Arles (comme le montre le livre qui a pour titre Au pays d’Arles publié en 1980 aux éditions Arthaud) . Élève de l’ENS (1950-1953), agrégé des lettres, il fut ensuite assistant à la faculté des Lettres de Bordeaux de 1953 à 1960, puis profes- seur à la faculté des lettres de Lille de 1960 à 1968, puis professeur à l’université de Paris-IV de 1969 à 1997 ; et enfin professeur émérite . Le 19 décembre 1997 eut lieu son élection comme membre ordinaire de l’Académie des Inscriptions et Belles- Lettres au fauteuil de Pierre Grimal (1932 l) .

Les charges administratives et les responsabilités n’ont pas manqué dans sa carrière : Alain Michel a été le directeur de l’Institut d’études latines de 1982 à 1991 ; il a été le président de la Société des études latines et, surtout, son administra- teur pendant de nombreuses années (de 1990 à 2005) . Il fut aussi vice-président de l’Association Guillaume Budé (et responsable du Bulletin), Président de l’APLAES (Association des professeurs de langues anciennes de l’enseignement supérieur (1982-3 ; 1983-4) ; il a fait partie du bureau de l’Association « Sauvegarde des études littéraires » fondée par Jacqueline de Romilly (1933 l) en 1992 . On ne peut manquer de souligner cet engagement constant pour la défense des études anciennes . Il s’est accompagné d’un important engagement scientifique international : Alain Michel fut, avec Marc Fumaroli, l’un des membres fondateurs de la Société internationale pour l’histoire de la rhétorique en 1977 . Il a également contribué au développement de l’Association internationale des études néo-latines dont il fut vice-président (1979- 1982) et président (1982-1985), un aspect de son activité qui reflète l’importance qu’il attachait au développement des études néo-latines en France . Il faut donc souli- gner ce rayonnement international en ajoutant qu’il était aussi membre de plusieurs académies étrangères : membre de l’Académie hongroise des sciences (Budapest) ; de l’Académie polonaise des sciences et des lettres de Cracovie et de l’Academia latinita- tis prouehendœ (Rome) ; docteur honoris causa de l’université de Bucarest .

Les publications d’Alain Michel sont innombrables : il laisse une œuvre consi- dérable dont l’apport est fondamental pour les études latines et la culture classique . Ses premiers travaux ont porté sur Cicéron avec sa thèse principale : Rhétorique et philosophie chez Cicéron. Essai sur les fondements philosophiques de l’art de persuader, publiée en 1960 (et réimprimée en 2003 aux éditions Peeters) . Cet ouvrage a profon- dément renouvelé les études cicéroniennes car son auteur montre l’importance de la rhétorique, art de parler et d’argumenter, art de plaire et d’émouvoir ; et, surtout, il fait apparaître avec force les liens étroits qui unissent rhétorique et philosophie dans l’argumentation, l’interprétation des textes de droit et aussi la réflexion politique . La thèse complémentaire, publiée en 1962 (aux éditions Klincksieck) portait sur Le Dialogue des orateurs de Tacite et la philosophie de Cicéron : A . Michel examine les problèmes littéraires du dialogue pour en montrer les échos cicéroniens à travers l’étude de l’éloquence, la question des passions ou celle de la beauté . Il analyse aussi les problèmes politiques car Tacite s’interroge sur le principat, sur l’otium et l’action . Le Dialogue esquisse ainsi les questions qui seront plus nettement posées dans les œuvres historiques . En même temps, fut publiée dans la collection « Érasme » (PUF, 1962) une édition avec introduction et commentaire du Dialogue des orateurs .

Dans les écrits de cette période, il faut également citer le livre sur Cicéron, écrit avec Cl . Nicolet (1950 l), paru aux Éditions du Seuil dans la collection « Écrivains de toujours » en 1961 . La recherche cicéronienne a évidemment constitué un axe majeur dans les travaux d’Alain Michel . Mais Tacite a eu aussi une place importante : les analyses de l’étude sur le Dialogue des Orateurs sont prolongées et approfondies dans le beau livre sur Tacite et le destin de l’Empire paru en 1966, Alain Michel montre comment l’auteur des Annales cherche à préciser son rôle d’historien et réfléchit sur les questions politiques de son temps : rôle du sénat, pouvoir du prince, place de la liberté . Tout en soulignant la profondeur de sa réflexion, Alain Michel esquisse un portrait de Tacite et s’interroge sur le bonheur et la beauté dans l’œuvre de l’historien . Par la suite, d’autres livres ont également été orientés vers l’histoire et la politique : La philosophie politique à Rome d’Auguste à Marc-Aurèle, Armand Colin, 1969, ou l’Histoire des doctrines politiques à Rome, PUF, coll . « Que sais-je ? », 1971 . À ces études sur la littérature classique s’ajoute la traduction des Géorgiques de Virgile préparée avec Philippe Heuzé et Jeanne Dion (1973 L), d’abord publiée par l’Imprimerie nationale en 1997 et reprise dans la Bibliothèque de la Pléiade, en 2015 .La recherche d’Alain Michel a été d’abord enracinée dans la littérature latine classique, autour de la politique, de la rhétorique et de la philosophie, mais elle s’est étendue bien au-delà pour devenir une histoire de la culture, avec les livres sur l’hymnique chrétienne latine (In hymnis et canticis . Culture et beauté dans l’ hymnique latine chrétienne, Louvain-Paris, 1976), sur Pétrarque (Pétrarque et la pensée latine. Tradition et novation en littérature, Avignon, Aubanel, 1974) puis sur le Moyen Âge : Théologiens et mystiques au Moyen Âge, Gallimard, coll . Folio, 1997, qui est un recueil de textes traduits, insérés dans une étude de la rhétorique et de la poétique concer- nant la théologie chrétienne . Mais il convient surtout de mentionner le grand livre sur La parole et la beauté. Rhétorique et esthétique dans la tradition occidentale publié en 1982 aux Belles Lettres et réédité en 1994 (Albin Michel), où la réflexion part de l’Antiquité pour aboutir au xixe siècle et même au xxe siècle dans la conclusion . Alain Michel s’appuie sur Cicéron pour montrer la continuité et la cohérence de la tradition antique ; il en souligne la vitalité et fait apparaître le grand dialogue des cultures en Occident .

Cette présence antique s’impose enfin dans le dernier livre publié en 2008 avec Arlette Michel (1953 L) (Éditions du Cerf-Ad Solem) : La littérature française et la connaissance de Dieu (1800-2000), travail immense comprenant plus de 3500 pages, ouvrage d’une extrême richesse et d’une grande profondeur . Les auteurs ont souhaité « joindre dans l’histoire de la création littéraire la beauté et la pensée » en partant du XIXe siècle jusqu’à la fin du xxe siècle . À partir de la Révolution française et de Chateaubriand jusqu’aux écrivains et aux philosophes contemporains, sont analysés dans les trois volumes : I « Le renouveau des questions : la raison, le sentiment, la foi » ; II « Les grandes synthèses : positivisme, idéal, visions » ; III « Philosophies du dialogue et dialogue des philosophies : différences, compréhensions, dialogue » .

Il faudrait écrire bien des pages pour parler correctement de toute l’œuvre d’Alain Michel : on y découvre une immense culture et une science profonde, mais qui s’élève au-dessus de l’érudition par une réflexion générale et pose ainsi des questions fondamentales sur la beauté, sur l’âme et sur Dieu . Il y a dans tous ses écrits un sens aigu de la synthèse qui permet de saisir par-delà les différences qu’apporte l’histoire, les points communs des auteurs étudiés, leurs choix philosophiques et esthétiques et, enfin, de faire apparaître les échos du monde antique chez des écrivains qui en sont bien éloignés chronologiquement ; il faut aussi souligner un art d’approfondir les questions, d’aller au cœur d’une œuvre pour en faire ressortir les traits saillants et en faire découvrir la signification . La force de cette pensée reste toujours d’actualité car elle se fonde sur une méditation personnelle .

Ce sont ces qualités qui m’avaient fortement impressionnée chez le professeur dont je suivais les cours en licence . Après les années de classe préparatoire et le concours, dans ma première année à l’ENS, j’avais découvert une approche nouvelle, particulièrement stimulante, qui donnait aux œuvres leur profondeur, faisait réflé- chir et entrevoir de nouvelles perspectives . Je ne suis pas la seule à avoir fait cette expérience car Alain Michel a eu de très nombreux élèves, auxquels il montrait l’art d’aller à l’essentiel tout en approfondissant les questions . Son dévouement, sa courtoisie et sa générosité facilitaient ce travail . Dans le discours qu’il prononça au moment de la remise de son épée d’académicien en novembre 1998, il souligne son intérêt pour ce travail de direction : « j’aime beaucoup lire des thèses ou assister à leur élaboration . Leur préparation (...) n’est pas possible sans un certain engage- ment spirituel... Cela explique qu’elles suscitent entre ceux qui les font et ceux qui contemplent et conseillent leur élaboration une amitié forte et profonde . » C’est cette amitié que nous sommes nombreux à avoir rencontrée ; en ce qui me concerne, à côté des échanges intellectuels liés aux réunions universitaires, je songe à nos rencontres estivales à Briançon, si chaleureuses et si profondément amicales . Ce sont tous ces liens qui permettent de garder un souvenir vivant d’Alain Michel, de son humanité et de la force de sa pensée .

Michèle DUCOS (1970 L)