OLIVAINT Pierre - 1836 l.

OLIVAINT (Pierre, Antoine, Just), né le 22 février 1816 à Paris, décédé le 26 mai 1871 à Paris. – Promotion de 1836 l.


La destinée de Pierre Olivaint peut sembler paradoxale . Cela explique sans doute l’absence à ce jour de notice le concernant dans notre revue . Elle est aussi tragique en fin de course, avec sa mort parmi les otages massacrés rue Haxo à la fin de la Commune, dans des évènements dont l’encore récent cent cinquantième anniversaire a pu remémorer l’extraordinaire violence mais aussi la singulière complexité humaine . La vie de Pierre Olivaint s’avère bien simplement pourtant, en ses débuts, la classique démonstration de tout ce que l’École a pu représenter de promotion sociale et

intellectuelle dès le xixe siècle, depuis sa naissance en 1816 dans une famille modeste du quartier parisien des Halles, ses études secondaires solides, grâce à des maîtres qui ont su l’encourager, au collège (actuel lycée) Charlemagne, jusqu’à son entrée à l’École normale en 1836 . Il s’y s’engagea dans une formation d’historien, après avoir hésité pour celle de grammairien (qu’il affuble du nom de « cuvette » comme rele- vant du jargon normalien de l’époque, dans une lettre où il annonce son choix à un ami en 1837), même si la vocation du jeune normalien allait bientôt s’orienter vers la vie religieuse . En ces débuts de la monarchie de Juillet, l’orientation officielle de l’École, alors sous la forte tutelle de Victor Cousin (1810 l), sans être antireligieuse était peu portée au mysticisme et Pierre Olivaint lui-même, fils d’un vétéran de la Grande Armée, n’avait reçu, au-delà du baptême à sa naissance, aucune initiation chrétienne . Dans son évolution, il fut d’abord touché par la question sociale, et le progressisme politique de Buchez (1796-1865) l’inspira . Comme le résume le cardinal Alfred Baudrillart (1878 l) dans ses Normaliens dans l’Église, livre dont des extraits figurent dans le Rue d’Ulm IV d’Alain Peyrefitte (1994, édition du bicentenaire, p . 358) : « Olivaint n’était pas chrétien lorsqu’il entra à l’École en 1836, mais il était apôtre . Michelet fut sa première divinité ; Buchez fut la seconde . » C’est par le catho- licisme social et la forte influence, à cette époque, de l’abbé Lacordaire, prédicateur à Notre-Dame, qu’eut lieu sa révélation de la foi catholique .

Elle fut aussi le fait d’amitiés . À l’École, il se lia avec des camarades dont certains, comme lui, se dirigèrent vers la vie religieuse, entre autres Félix Pitard et Charles Verdière, condisciples de la même promotion, et Louis Hernsheim (1835 l), fils de rabbin . Le dernier devint dominicain ; les deux autres se firent jésuites comme Olivaint . La question sociale, à l’époque, n’avait pas besoin de chercher loin sa mise en pratique car les parages de l’École eux-mêmes abritaient de nombreuses familles ouvrières à la limite (souvent franchie) de la misère, notamment vers la rue Mouffetard et le quartier des Gobelins . Le groupe des jeunes normaliens en chemin de conversion répondit à l’inspiration de Frédéric Ozanam et se lança dans l’aventure sociale de la Conférence Saint-Vincent- de-Paul, en fondant la conférence Saint- Médard, avec aussi quelques polytechniciens, à l’époque leurs voisins . Parallèlement, Lacordaire avait lancé son projet de rétablissement en France de l’ordre des Dominicains, supprimé au début de la Révolution, avec la création d’un noviciat à Rome . Cet appel fut suivi par Hernsheim et ce fut aussi la première vocation d’Olivaint . Prêt à abandonner ses études et les perspectives académiques pour le noviciat dominicain de Rome, il y renonça au dernier moment, en février 1839, après avoir pris conscience que sa mère, perdant par son entrée en religion l’aide finan- cière qu’il lui apportait, n’aurait plus de moyens de subsistance . Il assura toutefois Lacordaire du ferme maintien de son projet de vie religieuse, qui pourtant devait prendre une autre tournure . Cet épisode eut lieu durant sa dernière année à l’École, sans avoir diminué son application aux études .

Restant dans le monde pour subvenir aux besoins de sa famille, il fut nommé professeur d’histoire au lycée de Grenoble . Il obtint d’être muté peu de temps après à Paris, au collège de Bourbon, devenu le lycée Condorcet, pour être plus proche de sa mère, affligée du décès de sa jeune sœur . Il gardait son projet intime de vie religieuse, où la Compagnie de Jésus commençait à tenir une place prédominante, et aussi par ses liens avec le père de Ravignan qui avait succédé à Lacordaire comme prédicateur de Carême à Notre-Dame de Paris . Pour lever l’obstacle financier à sa vocation, il s’engagea comme précepteur du fils du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, à Montmirail (Marne) et à Paris, en contrepartie d’une rente viagère pour sa mère . Il fut parallèlement reçu premier à l’agrégation d’histoire-géographie en septembre 1842 . Cette époque de controverses universitaires contre les Jésuites, manifestes dans les cours donnés par Edgar Quinet et Jules Michelet (son modèle naguère) au Collège de France, vit la décision et la confirmation, comme dans un défi, de la voca- tion de jésuite d’Olivaint, désormais libéré du souci matériel de sa mère par la rente viagère acquise . Son départ à Laval pour le noviciat, en mai 1845, fut concomitant de l’interpellation de Thiers à la Chambre, demandant la proscription des Jésuites, dans une attitude d’hostilité aux religieux de cet ordre qui ne serait peut-être pas sans échos ensuite, chez ce personnage, avec les circonstances de la mort d’Olivaint .

La carrière de jésuite d’Olivaint fut classique, pleinement et simplement conforme aux exigences de sa vocation, lui permettant aussi d’investir pleinement ses talents pédagogiques dans l’enseignement puis dans la direction de plusieurs établisse- ments de la Compagnie, avec un souci particulier pour les pratiques sportives ou le renouvellement des méthodes d’apprentissage du latin . Il marqua aussi les esprits par ses talents de prédicateur, aspect majeur de sa renommée . Il fut ordonné prêtre en 1850 . Son affectation la plus longue a été au collège de Vaugirard (actuel 15e arrondissement), de 1852 à 1865, jusqu’à la direction de l’établissement . Il y poursuivit parallèlement son œuvre sociale multiforme, également dans un apostolat auprès des jeunes filles, dans un cadre où il se lia d’amitié avec le père Henri Planchat, prêtre d’une communauté issue des Conférences Saint-Vincent-de-Paul, également massacré rue Haxo et déclaré bienheureux par l’Église catholique en 2023 . En 1865, il fut nommé supérieur de la maison principale parisienne des Jésuites, rue de Sèvres, dont la chapelle, devenue église Saint-Ignace, conserve actuellement son corps, avec ceux de ses quatre autres confrères morts avec lui .

C’est en cette rue de Sèvres que le trouvèrent la déclaration de guerre de 1870, puis le siège de Paris, dont les conditions extrêmes lui donnèrent l’occasion de se dévouer aux populations du quartier . Au mois de mars 1871 arriva la Commune, avec l’évidence de dangers menaçant les religieux, suspectés de collusion avec les autorités du gouvernement replié à Versailles, qui engageait un nouveau siège de la capitale . Le père Olivaint fut informé le 4 avril au matin des évènements qui avaient eu lieu dans d’autres maisons religieuses, notamment de l’arrestation comme otages de plusieurs de ses confrères dans leur école de la rue des Postes (actuellement rue Lhomond), ainsi que, entre autres, de celle de l’archevêque de Paris, Mgr Darboy, et d’autres membres du clergé de la capitale ; la plupart mourront comme lui . Devant le danger, confirmé par une de ses relations au sein de la Commune, il fit le choix de ne pas partir mais de mettre à l’abri le reste de sa communauté . Il fut arrêté le soir même, dans la perquisition de la maison de la rue de Sèvres, et réuni aux autres otages au dépôt de la Préfecture de Police . Tous ont été transférés le jeudi 6 avril à la prison de Mazas (12e arrondissement, détruite en 1898) . Les épisodes qui suivent concernent tout ce groupe d’otages qui allaient pour beaucoup mourir lors de la Semaine sanglante, à la fin de mai . Pour se limiter aux récits contemporains des faits, on dispose de plusieurs relations croisées . Outre celle, moins sûre et plus indirecte de Maxime du Camp dans Les Convulsions de Paris (1881) – mais un peu plus précise dans un article qu’il écrivit en 1877 pour La Revue des deux mondes, « Les prisons de Paris sous la Commune » –, il y a surtout, venant des deux horizons : la synthèse publiée dès 1871 par le père de Ponlevoy, provincial de Paris et donc supérieur d’Olivaint, dans les Actes de la captivité et de la mort des cinq jésuites exécutés ; et le récit direct du père Perny, des Missions étrangères de Paris, otage et codétenu d’Olivaint à Mazas et à la Roquette, ayant survécu, dans Deux mois de prison sous la Commune (publié en 1872) ; à quoi il convient d’ajouter plusieurs passages des abondants mémoires (publiés en 1903) de l’ancien communard Gaston da Costa, La Commune vécue . Ces trois livres, issus de témoignages directs ou de première main, convergent totalement et permettent de résumer les évènements .

La détention à Mazas a été marquée par l’isolement important des détenus (qui était le principe même du fonctionnement de cette prison), presque sans liens avec l’extérieur, à part l’envoi de livres et de courrier, ni contacts entre eux . Pour Olivaint, ce fut une période d’intense méditation, dans une paix intérieure qu’expriment les lettres qu’il a pu envoyer . Le lundi 22 mai, Raoul Rigault, procureur général de la Commune (dont da Costa fut un moment le secrétaire) vint à Mazas donner l’ordre du transfert des otages à la prison de la Grande Roquette . Démolie entre les deux guerres, cette prison du 11e arrondissement était alors le « dépôt des condamnés » déjà jugés et voués aux plus lourdes peines, dont la mort, comme l’attestent les pierres de calage de la guillotine restées sur la chaussée, témoins d’un passé doulou- reux, face à ce qui fut son porche . Le signe fort d’une imminence de la mort était ainsi donné aux otages, toutefois dans un enfermement par couloirs (en différentes « sections ») qui leur permit d’échanger entre eux par petits groupes ; ce qui donna aussi l’occasion d’absolutions réciproques et de rencontres entre les codétenus, dont l’une, étonnante, entre archicubes, sera relevée plus loin . Les avancées des troupes versaillaises dans la ville investie et les combats acharnés sur les barricades, lors de ce qui mérita le nom de Semaine sanglante, mirent la violence à son paroxysme et, le mercredi 24 mai, l’archevêque de Paris et une partie des otages étaient fusillés, vers huit heures du soir, dans l’enceinte de la prison, rendant la perspective de la mort encore plus certaine pour tous les autres otages .

La rencontre improbable qu’il importe de relater eut lieu dans l’après-midi qui précéda cette première exécution, lors de la « récréation » commune des otages de la section de la Roquette où se trouvait Olivaint . Elle met en scène Henri-Joseph Chevriaux (1834 l), lui-même un profil atypique de normalien faisant le choix étonnant de la carrière militaire au constat d’« une nécessité impérieuse d’activité physique », comme l’indique sa notice publiée dans notre revue en 1884, un an après sa mort . Revenu à l’enseignement en 1850, il devint proviseur du lycée de Vanves (initialement annexe de Louis-le-Grand) en 1870, au déclenchement de la guerre qui le vit commander les gardes mobiles de l’Hôtel de Ville de Paris pendant le siège . C’est là qu’il s’attira des inimités politiques, suspecté d’avoir participé à la fusillade du 22 janvier 1871 . Revenu après l’armistice à son poste de Vanves, dans un lycée sans élèves après l’explosion révolutionnaire, il fut arrêté, emprisonné à Mazas puis transféré à la Roquette le 23 mai 1871, vraisemblablement en vue de son exécution, à laquelle il échappa . C’est donc le lendemain même de son transfert, le 24, qu’il retrouva Olivaint, d’une promotion de deux ans plus jeune . La rencontre est relatée dans tous les récits de la fin d’Olivaint et notamment dans la notice sur Chevriaux, rédigée par Francisque Bouillier (1834 l) . Reprenons-la :

Là, le lendemain, dans la promenade en commun des otages, il rencontrait le père Olivaint qui devait marcher en tête des victimes de la rue Haxo, donnant à tous l’exemple et le courage du martyre . Avant d’être prêtre, jésuite de surcroît, comme il l’avait lui-même courageusement déclaré à l’entrée de la prison, Olivaint avait été notre camarade à l’École normale . Engagés l’un et l’autre dans des voies si oppo- sées, après s’être perdus de vue pendant bien des années, les deux camarades se retrouvaient dans cette prison, à la veille de l’appel des condamnés ! La rencontre fut touchante ; c’est Olivaint qui le premier reconnut Chevriaux ; il lui serra la main, l’embrassa avec effusion, non sans un retour sur les circonstances doulou- reuses de cette étrange entrevue, en un pareil lieu, après une vie si diversement agitée . Il n’eut pas de peine à fortifier, à élever vers le Ciel une âme naturellement religieuse et intrépide .

En fait, Chevriaux relatait lui-même cet évènement peu après dans la presse, en signant un article sur ses souvenirs de captivité à la Roquette dans le numéro du 31 mai 1871 du Journal des Débats mais en ne se présentant pas comme partie prenante de ces retrouvailles, écrivant seulement que le père Olivaint rencontra « un de ses vieux camarades de l’École, otage comme lui, qu’il n’avait pas revu depuis trente-quatre ans » . Cette mise à distance, par Chevriaux, de sa rencontre avec Olivaint est surprenante, d’autant plus qu’on la retrouve dans sa déposition devant le juge d’instruction, en août 1871, dans la reprographie qui en est conservée aux archives des Jésuites, où il déclare qu’Olivaint « ancien élève de l’École normale [...] venait de rencontrer avec moi un de ses vieux camarades de l’École, qu’il n’avait pas revu depuis trente-quatre ans » . Pourquoi se présente-t-il seulement comme témoin ? On peut évoquer une certaine forme d’humilité, peut-être de retenue, bien qu’il n’ait pas eu celle de renoncer à publier, dans le Journal des Débats, la proposition qui lui avait été faite par son voisin de cellule le père Guerrin, des Missions étrangères, de le sauver et de se faire fusiller à sa place, en répondant au nom de Chevriaux à l’appel des condamnés, ayant constaté qu’il n’y avait pas eu de vérification d’identité lors de la première exécution et qu’il avait été arrêté en tenue civile . En fait, Chevriaux déclina l’héroïque proposition et tous les deux échapperont in fine à l’exécution . Cette mise en retrait est peut-être liée à une touche plus personnelle concernant une absolution reçue, que le père Perny indique dans son livre, en ajoutant le témoignage qu’il dit tenir de Chevriaux lui-même, à la fin de son récit de l’entrevue, et qui est repris par le père de Ponlevoy : « Puis, me prenant à part, le P . Olivaint, la main dans la mienne, d’un ton à la fois affectueux et grave, me tint le langage d’un prêtre et d’un ami, et voulut s’assurer si je comprenais comme lui notre situation et ce qui nous restait à faire . Évidemment son sacrifice était fait : depuis l’avant-veille, il n’avait conservé aucune illusion, aucune lueur d’espérance ; et sa ferme amitié ne chercha pas à dissimuler un sentiment de satisfaction quand je lui avouai que je voyais les choses comme lui, que du reste rien ne nous séparait en ce moment suprême, et que j’avais eu le bonheur de trouver déjà auprès de mon compagnon de cellule, père des Missions étrangères [le P . Guerrin], ce que je lui aurais demandé à lui-même si notre rencontre avait eu lieu un jour plus tôt . — Fort bien, mon cher camarade, me dit-il, avec son calme sourire, mais il me semble que vous m’apparteniez, et que j’ai un peu le droit d’être jaloux . » Cette confidence finale est une raison possible de la mise à distance de Chevriaux dans son récit, à une époque où, même parmi les catholiques revendiqués, la pratique des sacrements restait marquée d’une pudeur extrême . L’évolution spirituelle de Chevriaux peut également avoir été complexe, pour lui qui, après avoir été engagé dans les événements de 1848, assura pendant quelques années après sa retraite de fonctionnaire la direction d’une école parisienne de Jésuites après l’expulsion de ses religieux, comme le rappelle sa notice . Une part de mystère demeure donc sur cette étonnante et touchante rencontre normalienne qui précéda de deux jours la mort d’Olivaint . Selon le P . de Ponlevoy, Chevriaux (qu’il cite de façon anonyme dans son livre) revit Olivaint le 25 et le 26 mai, jour de sa mort, mais sans l’intensité ni les aveux de leurs retrouvailles du 24 .

Le vendredi 26, en effet, un second groupe d’une cinquantaine d’otages – dont le père Olivaint mais aussi deux de ses confrères (deux autres ayant déjà été fusillés le 24), d’autres clercs, des gendarmes et des civils considérés comme espions – était extrait de la prison en fin d’après-midi et conduit à pied sur les hauteurs de Belleville, dans un lent cortège qui excitait la tension d’une foule désespérée à laquelle, selon certains témoignages, on annonçait qu’il s’agissait de Versaillais arrêtés le matin à la Bastille . Arrivé en haut de la rue de Paris (actuelle rue de Belleville), on se dirigea vers la rue Haxo (20e arrondissement), où se trouvait un état-major de secteur de la Commune . Là, dans une sorte de lotissement en construction, fut donné le signal du massacre . Les coups de feu puis les baïonnettes jaillirent dans une cohue épouvantable, laissant un enchevêtrement de cadavres sur le lieu du drame . Le lende- main, c’était l’apothéose de la violence dans le cimetière voisin du Père-Lachaise et le 28 mai, la Commune était définitivement vaincue . Le bilan de la Semaine sanglante est effrayant et presque impossible à comptabiliser vraiment dans Paris, entre combats, exécutions arbitraires et règlements de comptes, et le statut d’otages des prisonniers tués à la Roquette et rue Haxo (sans parler des Dominicains d’Arcueil massacrés le 25 mai avenue d’Italie) prend pour da Costa, à la fin de sa vie, une teinte particulière sur ce qu’il présente comme une improbable balance .

Pourrait-on accuser le père Olivaint d’avoir été du côté des Versaillais ? Il n’a nulle- ment été arrêté pour des implications – inexistantes – dans les cercles du pouvoir, y compris sous l’Empire, mais comme simple otage . L’arrestation des clercs se fit surtout sur la détestation d’une caste supposée ennemie, tant l’attitude anticléricale était forte chez la majorité des Communards . De l’autre bord, le gouvernement de Thiers se considérait-il comme lié par l’arrestation et le sort des otages, notam- ment des prêtres et des religieux ? Empêtrée, d’une certaine façon, dans cette affaire des otages, la Commune en chercha une issue . Elle autorisa même une ambassade auprès de Thiers à Versailles, notamment pour la libération de l’archevêque de Paris, Mgr Darboy, qui devait être fusillé deux jours avant la mort d’Olivaint, en échange de celle de Blanqui, prisonnier des Versaillais . L’envoyé fut l’abbé Lagarde, curé de Montmartre, lui-même alors détenu au dépôt de la Conciergerie et laissé libre pour sa mission sous serment de revenir . La réponse de Thiers, rencontré le 11 avril 1871, fut strictement négative, condamnant alors de façon quasi certaine et consciente les otages mais ne permettant pas, non plus, de les considérer comme affiliés aux Versaillais .

Si on excepte un ouvrage commémoratif pour le cinquantenaire de sa mort, en 1921, et d’autres publications tardives, Pierre Olivaint fut le sujet de quelques biogra- phies précoces, dont la première, sous la plume d’une madame M . de Châtillon, en 1872, Le R. P. Pierre Olivaint de la compagnie de Jésus. Sa vie, ses œuvres et son martyre, puis deux en 1878 : une plaquette (romancée) du romancier Paul Féval et un ouvrage bien plus développé et documenté, de style hagiographique, par son confrère jésuite, le père Charles Clair, dont nombre des étapes de la carrière religieuse d’Olivaint avant 1871 relatées ici sont issues . Le nom de Pierre Olivaint est depuis surtout resté, pour le grand public, lié à la création d’un cercle d’étudiants, dans le sillage des « congrégations » qui existaient dans les collèges des Jésuites, à partir d’une congré- gation dont le père Olivaint avait lui-même le projet, rue de Sèvres . Après sa mort, ce projet fut repris par son confrère et biographe Charles Clair . Reconnue par les Jésuites en 1874, l’association prendra le nom de « Conférence Olivaint » en 1876, centrée sur les échanges, l’éloquence et l’apologétique . Cette appellation de « confé- rence », présente dans la tradition des collèges jésuites, n’était pas non plus sans réminiscences des conférences de Saint-Vincent-de-Paul ou Saint-Médard où était née la vocation religieuse du père Olivaint . La Conférence Olivaint existe toujours, avec la volonté demeurée de « former les jeunes à la vie publique et politique et à l’art oratoire », comme l’affirme la page d’accueil de son site Internet, en nouant des rela- tions avec des personnalités éminentes . Elle est devenue religieusement neutre par sa laïcisation en 1968-1969 .

La postérité personnelle de Pierre Olivaint est pourtant surtout éminemment spirituelle – au-delà de son action sociale et de sa direction pédagogique dans les établissements où il a enseigné, ou qu’il a menés –, ferme et attentionnée à la fois, comme la révèlent les échanges épistolaires conservés avec ses anciens élèves . Il s’agit d’une spiritualité intime et profondément christique, telle qu’elle fut dévoilée par la publication, deux ans après sa mort, du Journal de ses retraites annuelles, recueil des notes personnelles qu’il prenait durant sa pratique annuelle des Exercices spirituels, retraite d’un mois selon la méthode établie par le fondateur de son ordre, saint Ignace de Loyola . Il s’agit des retraites faites de 1860 à 1870 . Rien ne reste de la dernière qu’il fit à la prison de Mazas durant sa captivité d’avril à mai 1871, après son arrestation et avant son transfert à la Roquette, dans une détention de stricte solitude dont il fit la confidence du caractère providentiel pour cela dans ses lettres . Ce Journal eut un fort impact à sa publication, notamment au sein des communautés religieuses et a marqué profondément la spiritualité d’une femme canonisée au xxe siècle, la voyante des apparitions de Lourdes en 1858, Bernadette Soubirous, qui mourut en 1879 dans un couvent de Nevers dont les archives ont conservé ses notes spirituelles qui sont pour une bonne partie une reprise (para- phrasée) du Journal d’Olivaint . Par ailleurs, Louise-Félicie Gimet, combattante de la Commune, qui confia plus tard qu’elle avait participé de ses propres mains au massacre de la rue Haxo, en revendiquant d’en avoir donné le départ et visé de son arme le père Olivaint, et qui se convertit en prison et devint elle-même reli- gieuse, fut aussi très impressionnée par cette lecture du Journal, dans des conditions personnelles qu’on imagine facilement .

Quels furent les liens de Pierre Olivaint avec notre association ? Ils furent curieu- sement posthumes et exposés à l’assemblée générale de 1897, dans un hommage repris par la Semaine religieuse du diocèse de Paris du 24 avril, montrant ainsi entre l’Église et l’Université une relation moins tendue qu’on ne l’imagine en les dernières années du xixe siècle . Cet hommage fut prononcé au cours de l’allocution de Gaston Boissier (1843 l), secrétaire perpétuel de l’Académie française, où, reprenant le récit de sa rencontre ultime avec Chevriaux, il ajoute :

Vous trouverez sur nos listes, cette année, un nom qu’on n’y lisait pas précédem- ment, celui du père Olivaint . Comme il s’était engagé dans une société où chaque membre fait la profession de ne rien posséder en propre, il n’avait pas pu apparte- nir à notre association . Quelques-uns de ses camarades ont eu l’idée de se réunir pour verser sa cotisation à sa place, et c’est ainsi qu’il est devenu souscripteur perpétuel, vingt-cinq ans après sa mort . Quoique éloigné de l’École, il la retrouva à ses derniers moments [...] Je suis sûr que les normaliens, à quelque opinion qu’ils appartiennent, seront heureux de voir replacer sur leur liste le nom du père Olivaint . Parmi les victimes qui sont tombées dans les fossés de la Roquette ou le long du mur sanglant de la rue Haxo, il est un de ceux qui ont su mourir pour leur foi avec le plus de simplicité et de courage, sans forfanterie et sans peur .

Au moment de sa canonisation en 2022, eut lieu à la Société de géographie une séance sur Charles de Foucauld géographe et son voyage de reconnaissance du Maroc (1883-1884) . Le président de la Société montra sa fierté de la distinction romaine faite ainsi d’un de ses membres, le premier canonisé, deux siècles après sa fondation . Après la béatification, en 2023, du père Planchat mort avec lui, une distinction analogue est-elle attendue pour notre camarade et adhérent perpétuel Pierre Olivaint ?

Marc LEVATOIS (1980 l)