OLLAGNIER MIGUET Marie

OLLAGNIER (Marie), veuve MIGUET, née le 10 décembre 1931 à Verneuil- sur-Avre (Eure), décédée le 24 mai 2022 à Paris. – Promotion de 1951 L.


Nous reproduisons les textes lus par ses enfants aux émou- vantes obsèques de leur mère en l’église Saint-Séverin de Paris le 31 mai 2022.

Normande par hasard, alsacienne par amour et pari- sienne devant l’éternel, Marie est née le 10 décembre 1931 à Verneuil-sur-Avre, dix ans après son unique frère Michel, qui avait vu le jour à Auxonne, en Côte-d’Or . Entre ces deux naissances, la famille Ollagnier s’était établie dans la petite ville de l’Eure, siège de la prestigieuse École des

Roches où son père Gabriel a réalisé l’essentiel de sa carrière de professeur de mathématiques . Dans les nuages et le vacarme des trains qui rythment sa vie juste à côté de la gare sur la ligne Paris-Granville, Marie a cultivé la conscience de la diversité des horizons . Mais avant de découvrir d’autres mondes possibles, elle a grandi comme la « seconde » enfant unique de la famille, trop protégée à l’issue d’une trop longue attente : dix ans de prière pour sa mère Cécile, dite grand-mère de Verneuil, en mal de second enfant . La Vierge a fini par l’exaucer . Gabriel et Cécile l’ont remerciée en appelant leur fille Marie . Le gène de la ténacité s’est forgé pendant cette décennie .

Sous prétexte de santé fragile, ses parents ont tenu Marie le plus éloignée possible des enfants de sa génération, au point de la priver d’éducation physique pendant ses années de collège . La réalité extérieure s’imposera avec d’autant plus de brutalité à partir de sa dixième année : la guerre, l’exode, la maison bombardée .

Un peu plus tard, la déchirure du carcan familial aiguisera la conscience du prix de la liberté : quitte à rompre avec son père, Michel choisit d’épouser une militante communiste, de surcroît juive et tuberculeuse . Marie a compris la leçon : il faut savoir forcer son passage et sortir des sentiers battus . Elle rencontre Thierry pendant son année de terminale, la dernière de sa vie à Verneuil-sur-Avre . Son futur mari effectue son premier remplacement comme prof de français . Elle l’invite à prendre un thé à la maison familiale .

Fiancée à 19 ans, mariée à 22 ans, Marie n’abandonne jamais ses projets au long cours . Avant la cérémonie du 12 août 1954 à l’église de la Madeleine de Verneuil-sur- Avre, elle conclut un pacte avec Thierry : d’accord pour passer notre vie active dans l’Alsace de ton enfance, mais après la retraite, notre vie continuera à Paris .

Quatre enfants mulhousiens sont nés de cet accord fondateur . Marie a offert à Thierry le temps retrouvé du paradis alsacien . Elle-même a mis ces quarante-cinq années à profit pour partir à la recherche du temps perdu . Elle a découvert le trésor littéraire et le projet scientifique de sa vie dans la clinique, après la naissance de Vincent, en mars 1957 . Cette passion ne l’a plus quittée, y compris jusqu’à ces derniers mois à l’occasion de la réédition du dictionnaire de Marcel Proust .

Entre la Normandie et l’Alsace, puis après l’Alsace, le nom du volet parisien du pacte s’écrit dans les sept lettres du mot liberté . Avec ses amies rencontrées en hypokhâgne et en khâgne pendant les années de la reconstruction, Marie découvre Simone de Beauvoir et Georges Brassens . Elle penchera définitivement à gauche, mais sans jamais s’éloigner de la foi et des rites catholiques . Nul besoin de renier l’Alsace et la Normandie pour étancher à Paris l’inextinguible soif de peinture, de théâtre et de cinéma . Et pour y partager le Gay Scavoir dont elle a fait son métier et sa signature .

Que les ancêtres leur jettent à pleines mains leurs richesses

Jeanne OLLAGNIER (alias Marie Miguet) dans Main

Maman, Maman, Maman,

Ma petite Marie, maman chérie ton Anne a la tête en friche . Depuis des jours, ton Anne habite au point de ta chute . Je tombe avec toi . Comment parler encore quand celle qui m’a appris à parler tombe, tombe . Tombe et puis s’en va . Celle qui m’a appris à lire, à écrire ? Comment vivre quand celle qui m’a appris à vivre, ne vit plus, ne parle plus, ne rit plus, ne voit plus la vie en rose ? Est-ce que la vie sur Terre ne pourrait se poursuivre sans chute ? Quelle est la couleur de la vie sans toi ? Qui va m’apprendre ? Me lire et me relire, comme inlassablement tu le faisais ? Comment vit-on quand une maman ne vous regarde plus ? Ce regard comme une mise au monde et cette confiance que tu nous accordais, immodérée, à nous ta bande des quatre . Ton regard est un diadème . En chacun de nous quatre il a planté un arbre . Si je parle malgré les larmes, c’est que toi de là-haut tu fais encore trembler les feuilles . Toi qui ne tremblais pas . Qui n’avais peur de rien . Comment la mettre au monde ta mort, ce scandale plein de tubes, ta mort qui colle si peu avec ta vie ?

Nous sommes si mortels . Glissons mortels, disais-tu, maman, quand survenait un obstacle à l’harmonie . Je cherche ta main, maman, ta main pour glisser avec toi, glisser sur les choses de la vie, glisser sur les obstacles, sur les accidents, sur nos chutes, sur nos tombées . Jadis déjà nous tombions . Mais papa soufflait sur le bobo, toi maman tu mettais un peu de mercurochrome . Rien n’était grave . D’un bond nous nous relevions . C’était la vie éternelle . Je cherche ta main, la péril- leuse floraison de la chair de ta main . Pour que rien aujourd’hui non plus ne soit grave . Pour que tout demeure éternel même ce qui tombe . Je cherche ta main pour traverser . Anne et Vincent (« Anévincent »), on ne traversait qu’en vous donnant la main, à vous deux, papa et maman . Et plus tard nous, les grands, on donnait la main aux deux petits frères chéris Laurent et Serge . Merci de m’avoir donné trois frères magnifiques . Toi, maman, tu nous faisais rire, tu disais que Rire est le propre de l’homme et je te cherche à travers mes larmes, tu me dirais que je suis un crocodile, d’accord, je renifle mais j’ai envie de te cacher sous les arbres de la forêt, toi ma maman qui jouais au loup pour nous faire rire, nous tes enfants, tes petits- enfants et tes arrière-petits-enfants et tous les autres enfants . J’ai envie de nager avec toi dans un lac de mai, toi qui adorais nager, te glisser entre les eaux sauvages . Toi qui en plus de lire et d’écrire m’as appris à nager . Pour que je nage aujourd’hui sur l’ombre de ta présence .

Depuis des années, maman, qu’on se parle tous les jours . J’en ai le geste branché au bras de ma carriole . C’est devenu génétique, pas possible que ça s’arrête . Dis, maman, tu m’entends ? Comment je vais faire ?

Avant de te quitter mon endormie, dans ta dernière chambre haute, ouverte sur la coupole de Notre-Dame du Val-de-Grâce, je t’ai demandé de nous transmettre ton ticket de femme puissante à moi ta fille, pas aussi solide que toi, et à tes petites filles, en particulier à Zoé la première, et bien sûr à toutes les neuf, autant que de muses disait ton Thierry . Je t’ai demandé pour elles toutes un peu de ton pouvoir chamanique, de femme libre, de femme qui court avec les loups . Et pour les garçons de ta tribu, la force fidèle .

Le dernier livre que tu as lu à Cochin, cet hôpital où, tombé, Thierry est mort, s’appelle La Force des femmes . Un livre qui te va bien . À un moment tu as deviné, malgré ma main qui tenait la tienne, que la mort venait . Tu me l’as dit et tu as laissé ta main dans la mienne .

Et puis la mort est venue, notre sœur la mort corporelle . Let it Be* . Tu as rejoint les morts que tu saluais dans Main . Ce livre qui fut ton acte d’écriture, ton acte d’amour . Ce livre que j’ai relu après ta mort car tu nous y donnes la main . Tu as rejoint les ancêtres qui nous jettent à pleines mains leurs bénédictions .

Tu as écrit richesses et moi ta fille je mets bénédictions . Car dans l’alchimie de la mort de Thierry, six ans avant toi, tu as fini par réaliser ce que vous annonciez à vos enfants étonnés . Papa c’est maman et maman c’est papa. Sans renoncer à rien de ta présence sobre, ferme, élégante, retenue, libre et donneuse de liberté, sans quitter ta façon personnelle, et réservée et à la Montaigne, tu es devenue, maman, un être de prière et de bénédiction . Tu es devenue de ce genre à la papa qui d’abord n’était pas ton genre .

Quel que soit le nom et la pudeur de ton ciel, je vous le dis à toi, à tes descendants, à tes aimés et tes amis, Marie notre petite Marie qui rit est aussi Marie qui prie, Marie qui prie et qui sourit .

Qu’en ce dernier jour du mois de Marie, toi dont la vie ne fut que bonté, ta Bénédiction à pleines mains comme des pétales de Marguerite, soit jetée sur nous tous .

Anne, Vincent, Laurent et Serge MIGUET, ses enfants

Note (de P.C.)

Pour ajouter à la compréhension de ce second texte lu par sa fille, il est nécessaire de savoir que notre camarade est décédée à l’hôpital du Val-de-Grâce où elle était soignée à la suite d’une mauvaise chute, mais elle y contracta une infection nosocomiale qui l’emporta très rapidement, en ce mois de Marie.

Voici la liste des ouvrages que laisse Marie Miguet :
– Sa thèse principale :
La Mythologie de Marcel Proust (soutenue à Besançon en 1981 et publiée aux Belles Lettres en 1982 dans la collection des « Annales littéraires de l’université de Besançon »), 425 p .

  • –  Mythanalyses, parues dans la même collection au n° 46 des publications du centre devenu

    Jacques Petit, 1992, 346 p .

  • –  Métamorphoses du mythe, même collection, 1997, 264 p .

  • –  Les Voisinages du moi, aux Presses universitaires de Franche-Comté en 1999 (158 p .) ouvrage dédié à La bande des quatre (ses trois fils et sa fille), regroupant sept études sur des œuvres ayant un rapport symbolique avec le projet autobiographique Marguerite Duras, Hélène Cixous, Michel Butor, Claude Simon, Serge Doubrovsky, et un de ses anciens étudiants de Mulhouse Jean-Baptiste Noël disparu à 33 ans – avec de très émouvantes pages sur Pierre Reverdy et Marie Noël, son double rêvé, dont il avait tenu à saluer la statue à Auxerre avant de décéder .

  • –  Glissements profonds du sol mental, même collection, 2001, 181 p .

  • –  Le Théâtre des romanciers, études réunies en 1996, même collection, 275 p .

  • –  des publications d’Actes de colloques tenus à l’université de Franche-Comté :

    L’intertextualité (avec Nathalie Limat-Letellier), n°81 des publications du centre Jacques Petit,1998, 492 p .

    Littérature et médecine (avec Philippe Baron), n° 90 des publications du centre Jacques Petit, 2000, 315 p .

    Écriture de soi (avec Bertrand Degott), 2002

–  et (sous la signature Jeanne Ollagnier), Main, recueil de prose poétique paru aux éditions du Bon Albert à Nasbinals (Lozère) en 2008, réédition 2021, 116 p .

- À l’issue de la messe, les petits-enfants ont entonné la chanson Let it Be, soutenus par leur oncle à l’harmonium .