OMBREDANE André - 1919 l

OMBREDANE (André, Georges, Lucien), né le 19 novembre 1898 à Parthenay (Deux-Sèvres), décédé le 19 septembre 1958 à Sceaux (Seine). – Promotion de 1919 l.


Lorsque le secrétariat a reçu la proposition d’honorer par une notice l’archicube André Ombredane, geste qui s’imposait vu la qualité de ses travaux et la trace qu’il a laissée par ses élèves, une objection s’est présentée : après son année supplémentaire à l’École, puis encore deux années de préparation de thèse, son nom ne figurait plus depuis 1936 sur la liste des membres de l’Association des Anciens. Nous n’avons pas trouvé les motifs qui l’auraient amené à demander sa radiation. Mais comme finalement, deux ans avant sa disparition prématurée, il avait accepté d’assurer un enseignement – très apprécié – dans les murs de l’École, à notre avis il n’y avait plus de raison de ne pas lui consacrer une notice.

Nous avons cherché sans succès à retrouver une trace de ses trois filles dont l’avis nous aurait forcément éclairé.

André Ombredane est né à Parthenay où son père est professeur de lettres et d’anglais à l’École normale d’instituteurs . Il obtient le baccalauréat le 26 juin 1916 au lycée de Blois . Mobilisé en avril 1917, il est affecté au front dans l’aviation comme officier observateur . Titulaire de la Croix de guerre avec deux citations, il est démo- bilisé en février 1919 et prépare le concours spécial réservé à la session de 1919 aux soldats de la Grande Guerre . Il se marie le 21 octobre 1926 avec Marie-Pierrine Giovani . De cette union naîtront trois enfants . Il décède prématurément à Sceaux (maintenant Hauts-de-Seine) le 19 septembre 1958 .

Reçu troisième à l’agrégation de philosophie (1922), ayant obtenu le certificat d’études physiques, chimiques et naturelles de la faculté de médecine de Paris, parallèlement à sa scolarité à l’ENS, il entreprend des études médicales comme ses illustres prédécesseurs Pierre Janet (1879 l), Georges Dumas (1886 l), Charles Blondel (1897 l) ou Henri Wallon (1899 l) normaliens agrégés de philosophie devenus psychologues . En troisième année d’études médicales, fort de son projet d’enseigner la psychologie, il suit, parallèlement aux stages imposés dans le cursus des études médicales, un stage de neurologie dans le service du professeur Guillain où il commence ses études sur les aphasiques . Interne à l’hôpital psychiatrique Henri-Rousselle à Paris de 1927 à 1930, il présente sa thèse de médecine le 27 juin 1929 sous la présidence de Guillain, Les troubles mentaux de la sclérose en plaques, pour laquelle il obtient la mention Très bien et le prix de thèse .

Dès la fin de sa scolarité à l’École, en phase avec le milieu intellectuel d’avant-garde, curieux des nouveautés de son temps, il participe à plusieurs entreprises intellec- tuelles . Le 11 mars 1923, à côté de Daniel Berthelot, Ferdinand Buisson, Anatole France, il intervient à la manifestation organisée pour le centenaire de la naissance d’Ernest Renan, insistant sur la nécessaire tragédie de la libération qui seule autorise l’accès à une conscience où l’intelligence méthodique apparaît comme le juge de toute vérité. En 1924 avec des surréalistes, des médecins, des écrivains et des psychologues, il collabore à un numéro spécial de la revue Disque vert édité par la Nouvelle Revue Française (NRF) consacrée à « Sigmund Freud et la psychanalyse » . Dans un article, Critique de la méthode d’investigation psychologique de Sigmund Freud, il mobilise un thème qu’il ne cessera de questionner, le langage et les fonctions symboliques ; il en fera l’objet de sa thèse de doctorat ès lettres : L’aphasie et l’élaboration de la pensée explicite, soutenue en 1947 à l’université de Paris et publiée en 1950 .

De 1931 à 1933, bénéficiaire d’une allocation d’études de la Caisse nationale des sciences, il est assistant de Dumas à la chaire de psychologie expérimentale de la Sorbonne . Il participe en collaboration avec le professeur de neurologie Théophile Alajouanine (1890-1980) à la création d’un laboratoire de pathologie du langage à l’hôpital Bicêtre . Pendant cette période, il mène une activité de recherche impor- tante qui le familiarise avec la rigueur expérimentale, la construction de tests et d’appareils de mesure .

Au 1er avril 1933, sur la recommandation de Dumas, il est nommé directeur- adjoint du laboratoire de psycho-biologie de l’enfant de l’École Pratique des Hautes Études dirigé par Henri Wallon qui vient d’être nommé à une maîtrise de confé- rences en psychologie à la Sorbonne . Il y conduit un ensemble de recherches sur les problèmes des aptitudes à l’âge scolaire et sur les inadaptés scolaires en collaboration avec l’Institut Jean-Jacques-Rousseau de Genève, dirigé par Édouard Claparède . Il y affronte la nécessité de bien différencier la tâche à exécuter de l’activité mise en œuvre pour la réaliser . Cette distinction, à l’origine de la différenciation entre la tâche et l’activité, reprise dans l’introduction de L’analyse du travail publiée en 1955 avec Jean-Marie Faverge dans une collection de psychologie appliquée qu’il vient de créer aux Presses Universitaires de France, délimitera le soubassement théorique de la psychologie du travail et de l’ergonomie de langue française .

Durant les années 1930, il publie de nombreux articles sur le langage et ses troubles et participe à la rédaction de plusieurs traités de psychologie dont le Nouveau Traité de Psychologie de Georges Dumas en 1933 et le tome VIII de l’Encyclopédie Française consacré à La vie mentale coordonné par Henri Wallon (1938) . L’intérêt porté au langage l’amène très tôt à s’intéresser aux épreuves projectives et plus particulière- ment au test Rorschach que lui ont fait découvrir deux collaborateurs de Claparède lors de l’étude sur les inadaptations scolaires . Sa curiosité ne se limite pas à ce test, très tôt il porte un grand intérêt aux tests aussi bien intellectuels que moteurs, ne cessant de s’interroger sur les liens entre langage et motricité pour améliorer son approche clinique des comportements en situation .

À la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il est au Brésil dans le cadre des missions universitaires françaises initiées dans les années 1910 par Georges Dumas . Il est maintenu en poste en affectation spéciale jusqu’à l’armistice, à l’université du Brésil à Rio de Janeiro nouvellement créée (du 1er avril 1939 jusqu’en fait, adminis- trativement, au 30 novembre 1946) . Il y participe à la création et au développement d’un enseignement de psychologie . Durant ce séjour, il fréquente et soigne son ami l’écrivain Georges Bernanos dont il a soutenu la condamnation des exactions fran- quistes et la dénonciation du silence du clergé pendant la guerre d’Espagne . Engagé auprès des partisans de la France libre, il lance une collection de livres sous le patro- nage de l’École libre des hautes études dépendante de l’université française en exil à New York . Dans cette collection, il rédige plusieurs ouvrages d’études de psycho- logie médicale dont en 1943 Gestes et action. La même année, il traduit la version allemande du Rorschach avec une introduction critique et un index, et la version anglaise avec une nomenclature française proche de l’orthodoxie initiale de l’auteur, mais intégrant les apports de l’école américaine notamment en matière d’estompage et de kinesthésie . Ces deux traductions participeront largement à la connaissance de cette épreuve projective et à son utilisation par les psychologues de langue fran- çaise . Vice-président de la Société internationale du Rorschach fondée en 1948, il ne cessera jamais d’œuvrer à la connaissance et à l’adaptation de cette épreuve .

À son retour en France, il est sans succès candidat à la chaire de psychologie en Sorbonne . Il est alors chargé par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale d’une étude sur le recrutement des stagiaires dans les Centres de formation professionnelle, et publie dans la Revue française du travail un article Organisons la psychotechnique où il interroge la pertinence de la mesure en psychologie appliquée au travail et la défi- nition de l’aptitude . Aux fonctions habituelles de sélection et d’orientation attribuées à la psychotechnique, il ajoute deux fonctions : l’accommodation des conditions de travail aux travailleurs et l’adaptation de la formation professionnelle aux possibili- tés de l’homme en définissant les procédés de formation les plus pertinents, d’où la nécessité de décrire les conditions d’un travail en termes de travail et non en termes de psychologie.

À la suite de cette étude, il est nommé, le 1er décembre 1946, à la direction du Centre d’étude et de recherches psychotechniques (CERP) créé le 1er novembre 1946 et placé sous la co-tutelle du ministère du Travail et de la Sécurité sociale et d’un organisme fondé le 10 octobre 1946, l’Association pour l’utilisation rationnelle de la main d’œuvre (AFRMO) . Il y exerce jusqu’à son départ le 1er décembre 1948 à la Faculté libre de Bruxelles, où il est détaché comme professeur de psychologie pour assurer la mise en place et le développement du cycle d’études préparatoire à la licence de Sciences psychologiques, qui vient d’y être créé . Nommé professeur ordinaire le 1er octobre 1949 à l’École des sciences psychologiques et pédagogiques, dont il sera le doyen de 1956 à 1958, il assure les cours de psychologie générale et une grande partie des cours spécialisés ainsi que l’encadrement du séminaire d’étude approfondie d’analyse du travail, en lien avec l’Institut du Travail . Il anime également des ateliers spécifiques comme celui consacré aux techniques projectives . La plupart de ses cours sont publiés et attestent de la diversité de ses champs d’intérêts . Dès février 1952, membre de l’Académie royale des sciences coloniales de Belgique, il effectue huit séjours d’une durée de trois à six mois au Congo belge sous les auspices du Centre scientifique et médical de l’université libre de Bruxelles . Dans le cadre de missions confiées par le ministère des Colonies et le Fonds du bien-être indigène, il effectue des épreuves comparatives dans différentes communautés concernant, par exemple, la construction des habitations traditionnelles et travaille à l’adaptation à la popula- tion locale d’épreuves projectives, comme le Rorschach ou le Thematic Aperception Test (TAT) de Murray . Plusieurs publications rendent compte de ses recherches, ouvrant de larges perspectives d’étude et proposant des indications méthodologiques précieuses aux chercheurs du domaine . Pendant sa période d’exercice à Bruxelles, il continue d’avoir des liens privilégiés avec l’École normale supérieure où il assure des cours de psychologie (1956-1958) et y encadre des travaux et études de psychologie .

Lauréat de plusieurs prix, en particulier de l’Institut de France (prix Dagnan- Bouveret en 1932, prix Gegner en 1939), auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques, apprécié par ses collaborateurs et reconnu par ses pairs, un siècle après son admission rue d’Ulm, il laisse une œuvre encore assez méconnue dans la commu- nauté scientifique à laquelle il a apporté avec force et conviction sa contribution sur des points qui demeurent d’une grande actualité : en particulier pour les ergonomes et les psychologues du travail et de l’orientation scolaire et professionnelle .

Régis OUVRIER-BONNAZ
Groupe de Recherche et d’Étude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CTRD) Conservatoire National des Arts et Métiers, 41 rue Gay-Lussac 75005 Paris