OZENDA Paul - 1940 s

OZENDA (Paul), né le 30 juin 1920 à Nice (Alpes-Maritimes), décédé le 24 août 2019 à Grenoble (Isère). – Promotion de 1940 s.


L’auteur de cette notice n’est pas botaniste, ni même natu- raliste. Il ose présenter la vie et l’œuvre d’un maître qu’il admire ; certes, quelqu’un de plus compétent serait mieux adapté à cette tâche, mais les hasards de l’existence ont fait que ce maître m’a fait confiance en me transmettant des textes qui résument la matière de cette notice et en m’of- frant son ouvrage sur la géobiologie des montagnes : il a dû penser que, au mieux, je serais capable de ne pas décevoir sa mémoire.

Paul Ozenda est issu d’une famille originaire de l’arrière-pays niçois. Son père était ingénieur à la Compagnie des eaux de la ville ; il emmenait son jeune fils en randonnée dans le massif du Mercantour ; et ce fils observait la nature, les plantes et les insectes. Cet apprenti naturaliste était encouragé par sa sœur aînée, qui préparait les concours d’entrée aux grandes écoles et possédait un exemplaire du Cours de botanique et de biologie végétale de Lucien Plantefol (1912 l). C’était une occasion de compléter une formation scolaire par l’observation végétale en particulier. Le jeune Paul était toujours intéressé, mais il restait – qu’on me pardonne l’expression ! – un naturaliste en herbe.

Cet amateur deviendra professionnel en intégrant l’École en 1940. L’histoire de cette transition mérite d’être contée. Il semble que Paul Ozenda avait été remarqué par les autorités académiques locales dès ses études primaires ; c’est assuré pour le secondaire. Il existait alors au lycée Saint-Louis une classe préparatoire aux études de sciences naturelles et je pense qu’elle était unique. De toute façon, la compétition entre les hypotaupes existait et nul ne s’en plaignait : tous les élèves avaient le droit de se présenter à tous les concours, une sorte d’équilibre formel était atteint.

Dans le cas de Paul Ozenda, c’était son intérêt de postuler pour cette prépara- tion de Saint-Louis, même si certains jugeaient cette spécialisation hâtive. De toute manière, ses parents étaient si fiers de voir leur fils admis au lycée Saint-Louis de la capitale... et il intégra l’École en 1940, année qui ne devait se révéler faste pour personne, et surtout pas pour les autorités qui n’avaient pas la moindre idée des problèmes qui allaient se poser aux élèves. Dès 1942 le Service du Travail Obligatoire dans le Reich menace ainsi les normaliens qui doivent naviguer à vue (pilotés par Georges Bruhat [1906 s]).

Agrégé en 1943, Ozenda part occuper un poste de géologue dans le Sud-Ouest de la France et il peut prendre contact à Toulouse avec le professeur Henri Gaussin, le père de la cartographie végétale de la France. En plus, il va visiter la région pétrolière dont la société ELF-Erap prendra son essor : il s’intéressera aux boues de forages. Il dira ultérieurement qu’il aurait pu choisir une carrière de « pétrolier », avec les avan- tages financiers et l’excitation d’une autre forme de vie. Mais, à la Libération, il revint à Paris, il resta rue d’Ulm de 1946 à 1949 comme caïman de botanique, précisément dirigé alors par Lucien Plantefol. Il acheva sa thèse en quatre ans sur les Dicotylédones apocarpiques. Il ne se limita pas à ce sujet : il profita de sa connaissance de la langue allemande pour s’intéresser aux lichens, car c’est un botaniste de Suisse alémanique qui a compris à la fin du xixe siècle leur caractère hybride à la fois algues et champi- gnons. Il s’intéressait dès son enfance, on l’aura deviné, à ces « peintres des rochers » si fréquents et si spectaculaires dans le Mercantour. Pendant les vacances qu’il va passer à Nice, il ébaucha une cartographie de la végétation des Alpes-Maritimes.

Après la soutenance de sa thèse, il fut nommé à la faculté des sciences d’Alger. maître de conférences, il devint professeur sans chaire un an plus tard (1950). Naturellement, avec ses assistants d’enseignement et étudiants de recherche, il alla étudier les lichens d’Afrique du Nord et spécialement ceux d’Algérie. C’est ainsi qu’il s’affirma en 1970 avec Georges Clauzade comme le spécialiste des lichens (Les Lichens, Étude biologique et flore illustrée). Mais une recherche plus surprenante l’at- tire : l’étude botanique du désert du Sahara. Il publia la seule « Flore du Sahara » existante, rééditée quatre fois par le CNRS. Il y eut jadis là une mer intérieure, peut- être même un océan, et il en reste des traces : c’est là la difficulté du problème et donc sa beauté. Et Paul Ozenda aura, dans sa carrière, la tentation de ne pas quitter le problème, de le généraliser, disons de savoir relier la nature de la végétation à l’histoire géologique des terrains qui la portent.

Revenons à son histoire personnelle. C’est en 1951, durant son « séjour » à Alger, qu’il se marie. Un vieux proverbe dit qu’on se marie dans son village. Mais pour un chercheur, le village, c’est le milieu professionnel. Denise Seguinaud est chef d’un laboratoire des établissements Vilmorin et s’occupe du traitement des semences. Elle va quitter son activité professionnelle mais permettra à son époux de ne pas sortir de son milieu intellectuel.

En 1954, une chaire de biologie végétale se libère à l’université de Grenoble. Paul Ozenda n’a que 34 ans, n’est encore que professeur sans chaire, dans une université qui compte – encore – quelques professeurs prestigieux. Sa motivation se comprend facilement : revenir en métropole, s’installer dans les Alpes (pas seulement Maritimes, il n’y a pas alors d’université à Nice). L’explication du choix de Grenoble mérite d’être soulignée.

Pendant la « drôle de guerre », Louis Néel (1924 s) spécialiste du magnétisme, avait eu à désaimanter les navires, souvent militaires, pour les défendre contre les mines magnétiques. Cela l’avait mis en relation, certes, avec les officiers du Génie maritime, mais aussi avec les milieux industriels. Quand, sous l’Occupation, il s’est retrouvé à Grenoble (avant-guerre il était professeur à Strasbourg), il a gardé le contact avec les milieux industriels et après la Libération, sans doute pour cela, il était devenu l’un des principaux personnages de la ville. Il a voulu alors en faire un important pôle scientifique. La nomination d’un professeur est l’affaire du doyen ; mais Louis Néel avait son mot à dire.

On n’avait à offrir au nouveau professeur qui allait remplacer le professeur de Litardière, un botaniste connu à cette époque, qu’un laboratoire qui ne semblait guère glorieux. Certes, il était jumelé avec le jardin alpin du Lautaret mais pour faire vivre le musée tout en faisant progresser la carte botanique des Alpes, il fallait deux personnes dont un chef de travaux... qui désertaient le laboratoire à la belle saison. Mais tous savaient que la taille d’un laboratoire est un paramètre ajustable, augmentant avec le nombre des problèmes à étudier et le désir des responsables d’en faire toujours plus.

Les autorités universitaires de Grenoble avaient plus ou moins l’impression que ce recrutement sur un poste « avec chaire » d’un jeune homme de 35 ans allait lui faciliter sa carrière. En plus, il venait de l’université d’Alger où l’atmosphère politique se préparait à devenir irrespirable. À cette époque, c’était une belle promotion et un passage plus ou moins obligé pour terminer sa carrière à Paris, où statutairement on était mieux payé. Cette différence (indemnité de résidence) a disparu à cette époque où la demande sociale d’un enseignement supérieur visant la quantité est arrivée avec la modernisation du pays pendant les « Trente glorieuses ».

L’homme jeune que l’on recrutait avait établi sa réputation professionnelle en étudiant la botanique du désert... alors, dès que Paul Ozenda prit la direction de la chaire et du laboratoire, celui-ci se mit à croître ; pour trois raisons : l’augmenta- tion du nombre d’étudiants et de thésards, l’accroissement de l’espace réservé aux études expérimentales des cultures, l’augmentation de l’amplitude d’ouverture. Les locaux primitifs devinrent vite insuffisants et le laboratoire déménagea plusieurs fois jusqu’à ce que son installation dans le grand campus de Saint-Martin-d’Hères le fixe « définitivement ».

Il est clair qu’il n’était plus question pour Paul Ozenda de quitter Grenoble devenu un centre scientifique important. Et c’est en 1988 qu’il prit sa retraite administrative de l’université de Grenoble (devenue Joseph-Fourier) et du laboratoire CNRS de biologie végétale qu’il dirigeait. Quant à une retraite de chercheur... il n’en a jamais été question ! Même après son décès, il recevait encore nombre de courriels profes- sionnels. Ainsi 174 titres de livres, d’articles ou de cartes botaniques portent son nom, seul ou en collaboration pour ces dernières.

Comme Paul Ozenda n’était pas seulement un brillant chercheur, mais aussi un enseignant de premier plan, désireux de partager sa science, et qu’il a beaucoup écrit en direction du grand public, ma tâche est rendue possible. Mais, pour chaque donnée d’observation qu’il faisait, ou qu’on lui communiquait, il s’interrogeait sur l’origine de ce résultat ; et comme il était un travailleur qui semblait infatigable et qu’en plus il était doué d’imagination, je serai obligé de résumer.

Pour caractériser un paysage de montagne, il faut déjà comparer avec les paysages « plats » et faire de la biologie générale ; et, au passage, trouver même des applications, dont une, spectaculaire, est la démonstration. Mais revenant à la montagne, Paul Ozenda va analyser les différences avec, bien sûr, l’altitude, la forme du relief, les types de végétation, la trace des anciennes glaciations... Il ne s’est pas contenté d’informations de seconde main, il est lui-même allé voir la réalité, voyageant jusqu’au Népal sur les pentes himalayennes, ainsi que dans tant d’autres massifs montagneux.

Ces recherches ne furent pas sa seule activité professionnelle. Louis Néel avait conçu et réalisé le projet d’établir à Grenoble un centre d’études nucléaires ; son activité débuta en 1956. Néel s’en réservait la direction scientifique, mais non admi- nistrative. Les savants américains avaient déjà utilisé des marqueurs radioactifs pour étudier des problèmes biologiques, mais le principal intérêt du CENG (Centre d’Études Nucléaires de Grenoble) dépendant du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique) était ailleurs. Cet organisme avait son personnel propre ; en plus, nombre de professeurs, de cadres universitaires, de chercheurs du CNRS y travaillaient à temps partiel, comme conseillers scientifiques. Ils y trouvaient des moyens de recherche que l’Université ou le CNRS ne pouvaient pas leur fournir.

Paul Ozenda devint l’un d’eux, choisissant d’analyser des études faites par rayon- nement ou à l’aide de particules chargées ; plus d’une vingtaine de cadres de ces laboratoires purent ainsi devenir biologistes et beaucoup, même, passèrent des thèses de biologie.

L’ensemble des travaux scientifiques de Paul Ozenda ne pouvait passer inaperçu, les honneurs et les fonctions honorifiques, comportant des responsabilités importantes, forment une liste impressionnante ; sans tout mentionner :

1963-1976 membre du comité directeur du CNRS
1970-1980 membre du Comité consultatif des Universités
1972 correspondant de l’Académie des sciences
1978 docteur
honoris causa de l’université d’Innsbruck
1981  membre de l’Académie des sciences
1982  membre associé de l’Académie royale de Belgique
1985 membre de l’Académie des sciences forestières d’Italie.

Il était aussi officier de la légion d’honneur et commandeur de l’ordre des palmes académiques.

De 1988 à 1991, il présida la Société française d’Écologie, une science qu’il prati- quait sur la base de ses études de botanique, loin de toute idéologie.

Je terminerai par un souvenir personnel. Paul Ozenda était profondément tala et souhaitait chrétiennement le bonheur de son prochain. Aux obsèques d’un profes- seur juif, pensant que cela lui aurait fait plaisir et qu’on était en présence de ses enfants, le juif incroyant que je suis mit une kippa et s’installa à proximité du rabbin. Paul Ozenda me fit comprendre son approbation.

Pierre AVERBUCH (1951 s)