PARIENTE Jean-Claude - 1950 l

PARIENTE (Jean-Claude), né le 24 octobre 1930 à Alger, décédé le 2 juin 2022 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). – Promotion de 1950 l.


Àprès des études secondaires et une année en Première supérieure au lycée Bugeaud, Jean-Claude Pariente quitte Alger en 1949 pour rejoindre la khâgne de Louis-le-Grand ; il entre à l’École en 1950. Inscrit dans la section de Philosophie, il est reçu premier en 1953 au concours de l’agrégation. Après une année sabbatique à l’École, il est nommé à Alger au lycée Bugeaud dans la chaire de Philosophie en Première supérieure. Il y reste jusqu’en 1957. La vie y devenant difficile, pour les raisons que l’on sait, il quitte Alger, cette fois définitivement, pour Toulouse où il enseigne successivement au lycée Bellevue, puis au lycée Pierre-de-Fermat. L’année 1962 fut décisive pour sa carrière. Il se trouvait que le poste d’assistant auquel Jules Vuillemin (1939 l) m’avait appelé en 1957 devenait libre du fait de mon départ à Rennes où Gaston Granger (1940 l), lui-même sur le départ, me proposait de le remplacer, à titre de chargé d’enseignement dans sa chaire de philosophie des sciences et de la connaissance. Il me fallait à mon tour un remplaçant. Ce fut facile car nous nous mîmes immédiate- ment d’accord sur le nom de Jean-Claude que nous connaissions déjà pour la grande qualité de ses premiers travaux . Il était donc officiellement nommé en septembre à la faculté des Lettres de Clermont-Ferrand qu’il n’allait plus quitter. Docteur en 1971 avec Le langage et l’individuel, il obtenait sa chaire de professeur en 1973. Bien qu’avant tout chercheur, il ne répugnait pas non plus aux fonctions officielles : doyen de la faculté des Lettres et surtout membre durant nombre d’années du jury d’agrégation qu’il présida de 1986 à 1989, et qui nous donnait l’occasion de nous retrouver. Il prit sa retraite en 1996, élu professeur émérite.

Jean-Claude avait épousé en 1954 Francine Jasses, elle-même reçue en 1950 à l’ENS de Sèvres, et dont toute la carrière se déroula également à l’université de Clermont-Ferrand . Un autre poste d’assistant s’étant libéré (celui-ci auprès de Michel Foucault,1946 l), elle y fut élue, en même temps que son mari l’était sur le mien . Ils fondèrent une belle et heureuse famille Anne, Myriam, Laure et Isabelle ce dont Jean-Claude n’était pas peu fier.

Outre la profonde amitié qui nous lia dès les années de l’École, nous avions fait tous deux le choix de nous spécialiser en philosophie de la connaissance, dans des domaines certes différents (le langage d’un côté, l’histoire et la philosophie des sciences de l’autre) mais dans le même esprit rationaliste, avec la même exigence de rigueur . Une proximité qui nous donna l’occasion de fructueux échanges et, malgré mon manque de compétence pour le problème du langage, m’autorise à dire quelques mots sur son œuvre.

Le Langage et l’Individuel (Armand Colin, 1973, collection « Philosophie pour l’âge de la science »), comme l’indique clairement le titre, a pour origine une ques- tion ainsi formulable : comment expliquer qu’au sein d’un langage scientifique dont les concepts ont par définition une portée générale, il soit possible d’exprimer l’indi- viduel ? Ou encore : comment peut s’opérer l’individualisation au sein d’un langage à portée générale et quel est le type d’individualisation auquel on y parvient ? La première partie introduit une distinction essentielle : celle des indicateurs d’indi- vidualisation (en fait les noms propres) et des opérateurs d’individualisation. C’est bien sûr au moyen des seconds que s’opère l’individualisation dans les langages de la connaissance, et sa condition première est que « les opérateurs d’individualisation soient eux-mêmes des concepts » (p . 151) . Et tel est l’objet de la seconde partie de l’ouvrage dont les trois chapitres offrent une succession d’analyses aussi remarquables par leur rigueur que leur profondeur . Spécialistes des sciences humaines comme des sciences de la nature trouveront un égal intérêt à méditer le chapitre final « Les modèles et leurs objets ».

Le Langage et l’Individuel peut paraître un ouvrage avant tout théorique . Il n’est en fait que le premier volet d’une réflexion que vient compléter un second volet, cette fois de nature historique . Il nous replonge plus de trois siècles en arrière en nous donnant avec L’Analyse du langage à Port-Royal une analyse minutieuse de ce qui fut sans doute la première étude rigoureuse du langage . Ici le linguiste et le philosophe guident l’historien, lui permettant de mettre en lumière le rôle toujours important que joue dans les analyses de Port-Royal la logique traditionnelle . Le passé est restitué dans son originalité, sans être artificiellement relié au présent . Enfin, on ne saurait être complet si l’on ne mentionnait l’activité de Jean-Claude rééditeur de grands textes tant d’Arnauld et de Condillac que de Cournot, sans oublier les dizaines d’articles et de communications dont on trouvera la liste dans Le Philosophe et le langage. Études offertes à Jean-Claude Pariente (Vrin, 2017) . Jean-Claude lui- même avait repris, souvent en les complétant voire en les rectifiant, beaucoup de ces études et communications dans Le Langage à l ‘œuvre (PUF, 2002).

Jean-Claude, je l’ai dit, fut non seulement un éminent collègue mais un ami, un de ceux que l’on se réjouit de retrouver dès que l’occasion s’en présente . On me permettra donc, après cet aperçu rapide sur son œuvre, d’évoquer quelques souvenirs personnels dont les plus chers sont liés à ces réunions qu’avec nos amis Jules Vuillemin et Gaston Granger, nous avions organisées à l’université d’Aix-en-Provence où ensei- gnait Granger . Il y en eut une bonne dizaine entre les années 1965-1995 . Étaient conviés quelques collègues spécialistes en philosophie des sciences, parmi lesquels je citerai notamment Suzanne Bachelard, Maurice Boudot, Anne Fagot (1957 L), Jacques Bouveresse (1961 l), et parfois des collègues étrangers comme le logicien américain Patrick Suppes . Sans thèmes précis, l’idée de ces réunions était que chaque participant vienne parler de ses travaux en cours, et le contenu de leurs interventions était publié dans une revue intitulée L’Åge de la science, dont la durée ne dépassa malheureusement pas celle de ces réunions . Il va sans dire que Jean-Claude n’en manqua aucune, et je me rappelle tout particulièrement sa communication « Termes vides et théorie des idées à Port-Royal », reprise dans le numéro 5 de L’Åge de la science . Mais le vrai plaisir de ces réunions, je dois l’avouer, était sans doute de nous retrouver dans les cafés et restaurants de la ville, souvent accompagnés de Vuillemin et de Granger, parlant un peu de tout dans la chaleur d’une inoubliable amitié.

Deux autres réunions (de vrais colloques cette fois) me reviennent particulièrement en mémoire . D’abord celle d’un colloque franco-allemand tenu à Besse-en-Chandesse qui précéda de peu L’Analyse du langage à Port-Royal. Quant au second de ces colloques, il montre bien ce mélange de sérieux et d’humour avec lequel Jean-Claude abordait ce genre de réunions. Un colloque consacré à Maurice Merleau-Ponty (1926 l) avait été organisé en octobre 1995 à la Sorbonne. Jean-Claude présidait, je siégeais à ses côtés. Il y avait foule dans l’amphithéâtre . Conversations, allées et venues ne cessaient de retarder l’ouverture de la séance . Excédé, Jean-Claude se leva et d’une voix forte et nette déclara « La séance est ouverte » . Le calme s’établit aussitôt et se penchant vers moi il me murmura à l’oreille « Tu vois ce qu’on peut faire avec un performatif ». Nous réussîmes à garder notre sérieux.

Ses deux dernières années furent pénibles. Il souffrait d’un lymphome et perdait peu à peu la vue. Il mourut le 2 juin 2022, et l’on peut imaginer quelle fut ma peine quand je l’appris. Il repose à Bonnac, dans l’Ariège où il s’était marié, aux côtés de son épouse décédée la même année que lui.

Maurice CLAVELIN (1948 l)