PÉGUY Charles, Pierre - 1894 l


PÉGUY (Charles, Pierre)
, né à Orléans (Loiret) le 7 janvier 1873, décédé à Villeroy (Seine-et-Marne) le 5 septembre 1914. – Promotion de 1894 l.
 


Au cimetière trop peuplé des archicubes encore sans notice, Péguy occupe une place de choix . Cette situa- tion s’explique : au lendemain du premier conflit mondial durant lequel les normaliens avaient payé un lourd tribut, il fallait évoquer la disparition de nombreux camarades . Dans le même temps, sa mort héroïque aux premiers jours de la guerre et les strophes illustres d’Ève sur les épis mûrs et les blés moissonnés avaient consacré Péguy comme le poète de la guerre de 1914 ; les célébrations s’accumulaient et la rédac- tion d’une notice pouvait ne pas sembler prioritaire . Au demeurant, l’École ne fut pas indifférente à rappeler le souvenir de Péguy : en 1995 lors de son bicentenaire, elle organisa une table ronde célébrant notamment dans l’œuvre du poète l’aboutissement chrétien d’une culture classique ; cette manifesta- tion est assurément révélatrice de la présence de Péguy dans le légendaire normalien1 . On ne saurait aujourd’hui réparer l’absence de notice en reprenant les éléments classiques d’une biographie qui a été écrite maintes et maintes fois . On se bornera donc à rappeler quelques-uns de ces éléments à propos desquels se marque plus particulièrement l’empreinte de l’École sur l’archicube Péguy .

Avant l’École, il y a l’école . La célébration des instituteurs, ces « hussards noirs de la République » s’enracine au plus profond de Péguy . Peu de poètes ont, autant que lui, trouvé dans leur séjour à l’école et au lycée un point d’ancrage, source constante d’inspiration . Ses travaux scolaires ont été scrutés par les biographes . Ils furent ceux d’un élève appliqué, qui donnait satisfaction à ses maîtres et qui collectionnait récom- penses et prix . On connaît la distinction qu’établissait Albert Thibaudet entre le boursier et l’héritier, pour rendre compte des dynamiques sociales du régime républi- cain . Poète des héritages culturels et religieux, Péguy fut l’incarnation du boursier : orphelin de père, il était fils d’une rempailleuse ; profession moins prolétaire qu’on ne devait chercher à le faire croire et qui s’apparentait à l’artisanat plus qu’à la condition ouvrière ; sa mère, par son travail et ses vertus d’épargne parvint à devenir proprié- taire d’une épicerie et de quelques biens immobiliers ; elle fut soucieuse d’assurer à son enfant, par l’école et une carrière de professeur, une ascension sociale et un accès à des formes d’aisance . Facilité par l’octroi d’une bourse, le passage à l’enseignement secondaire devait être un moment clef de cette ascension : élève de l’école annexe de l’École normale d’instituteurs du Loiret, Péguy obtient à onze ans le certificat d’études primaires et, à l’instigation notamment du directeur de l’école M . Naudy, quitte l’école primaire supérieure pour entrer en sixième au lycée Pothier d’Orléans, au printemps 1885, alors que l’année scolaire est largement entamée ; mais il rattrape sans difficulté ses condisciples qui ont déjà entamé l’étude du latin . Cette étude est d’une importance capitale : dans un essai sur La barrière et le niveau, publié en 1925, le logicien Edmond Goblot (1879 l) fera du latin l’instrument d’une ségrégation, par lequel la bourgeoisie se serait préservée des infiltrations populaires ; mais le système des bourses affaiblissait l’étanchéité de cette barrière ; le cas de Péguy montre que les études classiques pouvaient aussi contribuer à des formes de promotion sociale .

Péguy a aimé cet enseignement . Il écrira dans L’Argent : « Le grammairien qui, une fois, la première, ouvrit la grammaire latine sur la déclinaison de rosa, rosae n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant » . Bachelier en 1891, il bénéficie d’une « demi-bourse d’État » pour rejoindre le lycée Lakanal à Sceaux en « première vétérans » comme on appelle encore la classe préparatoire au concours de l’École normale supérieure . L’association des anciens élèves du lycée d’Orléans devait rembourser à sa mère le prix de la demi-pension restant à sa charge . Ses professeurs ne suscitent point son admiration, à l’exception du « père Edet » (Georges Edet, 1873 l) qui l’initie aux méthodes dites scientifiques de la philologie allemande, et surtout à des exigences d’exactitude dans l’art de la traduction . Désormais ses études ne se déroulent plus selon une progression linéaire . À l’issue de sa première année, il échoue à l’oral du concours, à un demi-point seulement du dernier reçu . Admissible dans un bon rang (18e sur 50 admissibles), il perd trop de places à l’oral, avec une explication française ratée, et se retrouve 26e, alors que 24 candidats sont reçus . Il suspend alors sa scolarité pour satisfaire à ses obligations militaires, bénéficiant des dispositions qui permettent aux fils de veuves de n’accomplir qu’une année de service . Son incorporation à Orléans ne l’empêche pas de se présenter à nouveau au concours de 1893 . L’épreuve de discours latin lui est fatale : il échoue cette fois dès l’écrit, à un quart de point du dernier admissible . En octobre, il entre au collège Sainte-Barbe, pour suivre les cours du lycée Louis-le-Grand (et, en particulier, en philosophie, ceux de Lucien Lévy-Bruhl [1876 l], qui voit en Péguy un « élève hors pair, de premier ordre ») . Il bénéficie d’une bourse complète, allouée par l’établisse- ment . Édouard Herriot (1891 l) et Henri Roy, futur sénateur radical, se targueront d’avoir permis l’obtention de cette bourse, mais sans que le caractère décisif de l’intervention de l’un d’eux soit avéré .

Le 31 juillet 1894, Péguy est enfin admis à l’École, sixième sur 24 reçus (classé 10e admissible, il gagne cette fois quatre places à l’oral) . À l’École, il fait la connaissance de bien des personnages qui peupleront son univers intellectuel . Citons notamment dans sa promotion et dans les promotions voisines :

  • –  Promotion de 1892 : le grand latiniste Henri Bornecque, Paul Crouzet auteur d’excellents manuels qui renouvelleront les études classiques, les géographes Albert Demangeon, Emmanuel de Martonne, Gustave Rudler historien de la littérature et théoricien de l’explication de textes, l’historien Philippe Sagnac, directeur avec Louis Halphen d’une collection qui dominera l’historiographie des deux premiers tiers du xxe siècle ;

  • –  Promotion de 1893 : le démographe Adolphe Landry, le journaliste et conféren- cier Gaston Rageot, le maître de la psychologie expérimentale Maurice Pradines, et François Simiand historien et économiste, futur professeur au Collège de France ;

–  Promotion de 1894, un bon cru : en sciences Paul Montel, Henri Lebesgue et Paul Langevin ; en lettres, l’historien de Rome Léon Homo, Paul Léon futur directeur des Beaux-Arts, les historiens Paul Mantoux et Albert Mathiez, le médiéviste Mario Roques, Désiré Roustan, auteur d’un cours de philosophie dont seule sera publiée la partie consacrée à la psychologie .
 

De la promotion 1895 on retiendra le nom d’Hubert Bourgin, futur polémiste qu’un itinéraire tortueux conduira à la collaboration .Péguy s’inscrit dans la section de philosophie . Il aurait refusé de se soumettre au bizutage, au demeurant bénin, mais sur ce point les témoignages sont contradic- toires . Avec Mathiez, son ami depuis Lakanal, et Georges Weulersse (1894 l), futur historien de l’économie, neveu de Georges Renard (1867 l) qui entre autres activités dirige la Revue Socialiste, dans laquelle le nouveau normalien écrira plusieurs articles, Péguy occupe la légendaire turne « Utopie », dénommée aussi par Paul Mantoux « turne rouge » . Comme bien d’autres, il doit à l’influence du bibliothécaire de l’École, Lucien Herr (1883 l), une adhésion au socialisme qui va marquer ses enga- gements pour une dizaine d’années . L’influence de Lucien Herr pèsera aussi dans l’engagement dreyfusard de Péguy : « Sur tout il débrouilla pour moi les insincé- rités et les conventions où je me serais empêtré », reconnaîtra Péguy après la fin de leur amitié . En 1895, la commémoration du centenaire de l’École donne lieu à des protestations contre le caractère religieux de certaines cérémonies ; c’est pour Péguy l’occasion de formaliser son engagement socialiste . Dans le même temps, Péguy entame des recherches sur Jeanne d’Arc, comme le montrent les registres d’emprunt à la Bibliothèque, qui ont été conservés . Des troubles visuels le conduisent à solliciter du directeur de l’École, Georges Perrot (1852 l), un congé d’un an qu’il va passer à Orléans et qu’il emploie à la rédaction de Jeanne d’Arc.

De retour à l’École en novembre 1896, il se fait remarquer par un prosélytisme socialiste affirmé . En mars 1897, il remet à Gustave Lanson (1876 l) ce qu’on appe- lait alors un « définitif », c’est-à-dire une sorte de longue dissertation, qui peut faire penser à nos mémoires de maîtrise . Il reproche au poète de se résigner trop facilement à l’existence du mal . Lanson émet de sérieuses réserves sur le propos . En décembre, Péguy publie Jeanne d’Arc, Drame en trois pièces signé Marcel et Pierre Baudouin . Le 28 octobre, il a épousé Charlotte, sœur de son ami Marcel Baudouin, mort l’année précédente d’une fièvre typhoïde et cosignataire de Jeanne d’Arc dans des conditions qui montrent l’intensité de l’amitié des deux hommes, sans doute bien plus qu’une véritable collaboration . Conformément à l’usage alors en vigueur, cette situation matrimoniale conduit Péguy à quitter alors l’École, à la grande colère de sa mère qui lui tiendra longtemps rigueur de ce renoncement .

Ce point familial mis à part, son départ de l’École n’est pas conflictuel, à la diffé- rence de celui de Léon Blum (1890 l) quelques années auparavant . Georges Perrot, le directeur de l’École, transmet la démission de Péguy avec un commentaire des plus bienveillant : « Il n’a pu obéir, en nous quittant, qu’à des motifs très hono- rables » . Dispensé de l’engagement décennal, Péguy reste boursier d’agrégation, admis à suivre les cours de l’École, ainsi que les conférences de Bergson (1878 l), qui le marquent durablement et en profondeur . Cela ne l’empêche pas d’échouer au concours d’agrégation de 1898, à la colère renouvelée de sa mère qui voit s’évanouir pour lui la perspective d’une sécurité matérielle . Dix ans plus tard, il connaîtra une nouvelle tentation universitaire, avec le dépôt d’un sujet de thèse sur la situation de l’histoire dans le monde moderne, dans l’espoir un moment caressé de devenir maître de conférences en province, afin de pouvoir en fait se consacrer pleinement à son œuvre . En tout cas, au terme d’une scolarité à l’École peu commune, il est clair que le poète de l’enracinement aura été un normalien largement hors sol.

Dans les années qui suivent, Péguy reste en phase avec l’univers normalien . Parallèlement à son engagement dans le camp dreyfusard, les projets qu’il met en œuvre l’associent avec plus d’un archicube, même si l’on peut noter des ruptures progressives avec ses proches des années 1990 . Avec la dot de sa femme, et sous le nom de Georges Bellais, un de ses amis, partie prenante à l’entreprise (encore bour- sier, Péguy ne peut être officiellement commerçant), il fonde une librairie rue Cujas, qui lui servira aussi de maison d’édition . Il écrit aussi dans La Revue blanche, dont Léon Blum est alors un des principaux animateurs . Mais après une année d’exis- tence et de gestion pour le moins incertaine, la librairie Bellais risque la déconfiture . Péguy mobilise ses amis socialistes qui, à l’appel de Lucien Herr, réunissent les fonds nécessaires à une relance . Celle-ci prend la forme d’une « Société nouvelle de librairie et d’édition », créée le 2 août 1899 et administrée par un conseil de cinq membres élus, à savoir Léon Blum, Hubert Bourgin, Lucien Herr, Mario Roques et François Simiand, tous archicubes . Péguy se voit attribuer 200 actions de 100 francs, censées représenter les apports matériels issus de la librairie, tandis que Georges Bellais en reçoit 50 . Dans ce nouveau dispositif, Péguy occupe des fonctions de délégué à l’édition, avec un salaire de 250 francs par mois . Position subordonnée, qu’il supporte d’autant plus difficilement que les administrateurs entendent privilégier la publi- cation de répertoires méthodiques et bibliographiques, alors qu’il veut maintenir une part importante de création littéraire dans les activités éditoriales de la Société . Ces divergences le conduisent rapidement à démissionner de ses fonctions, dès le 22 novembre 1899, et à quitter la Société pour fonder les Cahiers de la Quinzaine.

Ce changement marque un éloignement du milieu normalien ; les rapports ne tarderont pas à s’envenimer entre Péguy et les cinq administrateurs, à propos des 250 actions de Péguy et de Bellais . Taraudé par des besoins d’argent et par les diffi- cultés qu’il rencontre pour faire vivre les Cahiers, Péguy veut utiliser le capital de 25 .000 francs que représentent les actions . D’âpres négociations s’engagent . Porté devant les tribunaux, le contentieux durera plusieurs années et se terminera par un désistement de la « Société nouvelle de librairie et d’édition » ; la créance Péguy sera réglée en trois temps, mais cette crise, ce schisme, auront littéralement empoisonné les relations de Péguy avec ses anciens amis . À cet égard, la fondation des Cahiers, qui se situe dans le prolongement d’une aspiration à une presse de vérité formulée depuis de nombreuses années, apparaît comme un adieu de Péguy à sa jeunesse norma- lienne . Toutes les amitiés ne seront pas pour autant rompues et, à l’occasion, Péguy fera appel à ses anciens condisciples . C’est, par exemple, le cas de Paul Crouzet . Ce protégé des frères Sarraut, président entre les deux guerres de l’amicale des fonction- naires radicaux, incarne l’université radicale-socialiste dénoncée dans Notre jeunesse. Il est sollicité par Péguy pour publier un article de faire-valoir dans la Grande revue dont il est le directeur .

Mais d’une façon générale, bien des archicubes seront la cible des polémiques de Péguy . Sur le plan de la stricte politique, la rupture avec Jean Jaurès (1878 l) sera spectaculaire : Péguy lui reprochera d’abord de mettre son talent au service du radicalisme combiste . Les polémiques seront encore plus virulentes lorsque Péguy s’éloigne du socialisme de sa jeunesse pour évoluer vers une forme de nationalisme, alors que Jaurès incarnera le parti de la paix, notamment en demandant une limita- tion des armements en 1905, puis en 1913, au moment des discussions sur la Loi des trois ans . Mais c’est surtout sur le plan de la controverse intellectuelle que les têtes de turc de Péguy sont souvent des normaliens . Les combats que Péguy engage contre le « monde moderne » à partir de 1905 sont assez largement des combats contre la culture de l’École, incarnée principalement par Hippolyte Taine (1848 l) et par Gustave Lanson .

Dans le cahier Zangwill de 1904, Péguy s’en prend à la méthode de Taine sur la base d’une lecture du La Fontaine et ses fables, l’un des livres les plus populaires du critique . Dans la manière dont Taine amorce son propos par des considérations générales sur le milieu champenois dans lequel s’est déroulée la formation du fabu- liste, Péguy voit une méthode de « circumnavigation », une « méthode de la grande ceinture » qui tourne en rond, comme ces trains qui tournent autour de Paris, sans atteindre la capitale .

D’une manière analogue, dans L’argent suite, il rappelle qu’il a suivi, rue d’Ulm, les cours de Lanson : « Ça, c’était du travail . Il avait lu, il connaissait tout ce qui s’était publié ou joué ( . . .) en France ou en français jusqu’à Corneille . Il savait tout . Et on savait tout . Si celui-ci avait fait une Iphigénie, c’est parce qu’il était petit- neveu de l’oncle de celui qui en avait ébauché une, et il avait justement trouvé cette ébauche dans les papiers de son beau-frère » . Mais il arriva une catastrophe, le génie de Corneille, sans commune mesure avec le talent de ses prédécesseurs : « nous nous cassâmes le nez au pied de cette falaise » . Et de conclure sur l’intérêt d’une évacuation des traditions d’interprétation et des commentaires : « Celui qui comprend le mieux Le Cid, c’est celui qui rend Le Cid au ras du texte, dans l’arasement du texte ; dans le dérasement du sol ; et surtout, celui qui ne sait pas l’histoire du théâtre français » . 2

La présentation fait mouche, mais lorsque Lanson publie les notes de son cours sur l’histoire de la tragédie française, il associe sans peine l’investigation historique à l’analyse esthétique et montre parfaitement comment la tragédie cornélienne « dépasse la tradition en l’absorbant » . Que la connaissance de l’histoire littéraire n’est pas, tant s’en faut, un obstacle à la compréhension, l’exemple du La Fontaine et ses fables le montre : les pages que Péguy utilise ne prennent place que dans la seconde édition, très remaniée, de l’essai, et dans laquelle Taine a interverti la première et la dernière partie de sa démonstration . Taine a commencé par lire Les Fables de très près, par en dégager les caractères littéraires, avant d’étudier l’univers qu’elles repré- sentent et de le relier à l’environnement historique du fabuliste . C’est dans une phase ultérieure qu’il a fait intervenir des vues plus générales sur la Champagne et sur le siècle de Louis XIV .

Au demeurant, les plus belles pages de critique littéraire de Péguy utilisent très pragmatiquement les ressources de l’histoire littéraire . C’est par de véritables expli- cations de textes soigneusement choisis qu’il renouvelle plus d’une question . Dès 1905, dans les Suppliants parallèles, la confrontation de plusieurs versions d’un texte de Sophocle lui permet de faire comprendre le fossé qui sépare la conception antique selon laquelle « c’est le suppliant qui est le maître » du point de vue des modernes sur la supériorité du supplié . Dans Solvuntur objecta, Péguy nous livre cinquante pages d’explication et de commentaire de Booz endormi. Il les inter- rompt un instant pour se demander, non sans ironie, s’il n’est pas en train d’ « instituer un laboratoire de littérature française rue de la Sorbonne », mais il n’en étudie pas moins « comme un géologue voit les différentes couches, les différentes assises du poème », et relève de significatives symétries de construction entre les différentes strophes du poème . Il en va de même des explications des Châtiments qui figurent dans Clio.

À Lakanal, Péguy avait suivi l’enseignement de Georges Noël, l’un des premiers commentateurs de la Logique de Hegel ; sans parler forcément d’influence directe, cette manière de reprendre, pour les transfigurer, les acquis des méthodes scolaires et universitaires peut apparaître comme un usage du troisième terme de la dialectique hégélienne, à savoir la notion de aufheben, le fait de conserver en dépassant . Dans cette perspective, on pourrait voir dans Ève, testament spirituel de Péguy, l’épopée d’un normalien qui célèbre dans une poésie de l’héritage l’aboutissement chrétien d’une culture classique .

Une scolarité chaotique à l’École, un milieu de sociabilité incertaine, l’empreinte d’une culture, l’expérience normalienne de Péguy conjugue ces trois dimensions . Elle lui vaut assurément une place d’honneur au Panthéon des archicubes . En attendant, un jour peut-être, un transfert de ses cendres vers le Panthéon de la République .

Jean-Thomas NORDMANN (1966 l)

Notes

1 . Pour le centenaire de sa mort à l’ennemi, une délégation normalienne, conduite par le directeur adjoint, alla fleurir le cimetière où il repose .

2 . Dans une adjonction à son Histoire de la littérature française postérieure à la Première Guerre mondiale, Lanson célébrera avec intelligence et générosité le génie de Péguy sans jamais s’arrêter aux invectives dont les Cahiers l’avaient gratifié . On doit aussi rappeler que d’autres cibles du poète-polémiste (et notamment Lucien Herr) participèrent aux souscriptions ouvertes en faveur de la veuve de Péguy .