PÉNARD Jean - 1945 l

PÉNARD (Jean), né le 20 septembre 1924 à Saint-Yrieix-sur-Charente (Charente), décédé le 26 juin 2011 à Sèvres (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1945 l.


Son père, Léon Pénard, était le fils d’un scieur de long . Il fit une guerre de 1914-1918 exemplaire : de simple soldat, il la termina comme officier nommé « sur le tambour », et il poursuivit une carrière militaire qu’il acheva en comman- dant la place de Saintes (en Charente alors inférieure) . Cet homme d’honneur pleura pour la première fois de sa vie le 17 juin 1940, en écoutant le message radiodiffusé de la capi- tulation ; puis il fut mis à la retraite d’office par Vichy . Sa mère, née Alice Ballou, était fille de maraîchers aux Planes

près d’Angoulême . Toute sa vie elle s’occupa de son époux, de leurs deux enfants (Jean avait une sœur aînée prénommée Jeanne), de son potager et de ses animaux de basse-cour . La famille vivait dans des conditions très modestes .

Très vite, Jean fut repéré par l’école républicaine et il poursuivit une brillante scolarité, à laquelle il n’était pas prédestiné par son milieu social : au collège de Saintes, où il choisit le grec, puis au lycée de Poitiers où il entra en hypokhâgne avant de poursuivre à Henri-IV (quitte à retourner en 1943 sur celle de Poitiers jugée plus sûre) . Il fut reçu au concours de 1945, il avait été premier collé au précédent . Sa sœur était devenue institutrice, et sa mort d’une longue et incurable maladie l’affecta particulièrement1 .

Il n’eut jamais envie d’enseigner2 et il profita d’une opportunité pour bifurquer au Service des affaires culturelles du Quai d’Orsay . Il écrit simplement : « On » cher- chait des candidats pour servir à l’étranger dans cet après-guerre où tout était à reconstruire . J’en fus. »

Il commença comme attaché culturel en Norvège, à Stavanger puis encore plus au Nord à Bergen . Et ce furent les années d’Argentine, ce Nouveau Monde qu’il rejoignit de Marseille par un paquebot italien, avec mission de revivifier les Alliances françaises . Il passa trois années à Mendoza au cœur des Andes, après un incroyable voyage dans un sleeping-car qui eût enchanté Larbaud . Il fut logé chez mademoiselle Marie-Thérèse Nadaud pour l’état-civil, Veneranda pour la communauté française, octogénaire née à Chazelles (en Charente) avec qui il se lia d’amitié et qu’il emmena jusqu’à Valparaiso par le Transandin et ses incroyables lacets . C’est à Mendoza qu’il publia son premier texte en prose Le Voyage (1950) et il y fit éditer en 1953 un choix de poèmes de René Char . Il insista pour y insérer en hors-texte (mais en noir et blanc) une reproduction du Prisonnier de Georges de la Tour dont on sait l’impor- tance pour René Char, avant et pendant la Résistance . Il était déjà connu de l’auteur du Marteau sans maître qui lui adressa pour la publication un aphorisme liminaire et le poème final, Front de la Rose. C’était l’année du cinquantenaire de la colonie fran- çaise de San Rafael, et c’était dignement suivre l’exemple du fondateur de l’Alliance française, Pierre Foncin (1860 l) .

Auréolé de ces succès, il fut nommé conseiller culturel de l’Ambassade de France et revint à Buenos Aires. Il venait d’épouser Suzanne Mandeix, institutrice puis profes- seur de lettres modernes, dont il eut deux fils, Laurent et François. C’est là que nous fîmes sa connaissance lors d’un voyage organisé par Pierre Verdevoye, professeur à la Sorbonne, auquel participait aussi Jean-Pierre Osier (1956 l). Il nous a organisé une entrevue avec Jorge Luis Borges, alors directeur de la Bibliothèque nationale, qui fut évidemment passionnant3 . Par la suite, tous les hispanisants nous enviaient d’avoir rencontré Borges... mais nous avions aussi rencontré Suzanne sa jeune épouse et leurs deux adorables garçons.

Après 1957 et ses neuf années d’Argentine, il passa en Turquie où il dirigea le Centre culturel français d’Istanbul ; il eut alors une relation amicale et suivie avec Georges Dumézil (1916 l) . Puis en 1962 il exerça à Damas, comme attaché culturel près l’Ambassade dans une période politiquement apaisée après de nombreux troubles (crise de la fusion avec l’Égypte de Nasser) ; cela permettra à la France de rouvrir son ambassade en Syrie, pendant que la famille de Jean Pénard attendait plusieurs mois à Beyrouth au Liban .

Il est ensuite nommé au Quai d’Orsay chef du secteur Afrique/Levant, puis sous- directeur de l’enseignement à la direction des Affaires culturelles du ministère des Affaires étrangères (1964-1968) .

Il occupa un poste – le plus difficile de sa carrière, disait-il à Alger, conseiller culturel de l’Ambassade de France et directeur de l’Office culturel et universitaire français, appelé alors Mission française, de 1968 à 1971 . Il y rédigea de nombreux rapports sur la situation complexe qu’il vivait avec les autorités algériennes nouvelle- ment installées à la tête du pays .

Il intégra ensuite le ministère de l’Éducation nationale comme inspecteur de l’Aca- démie de Paris, de 1972 à 1975 ; puis il deviendra conseiller technique de René Haby alors ministre de l’Éducation nationale, puis du Premier ministre Raymond Barre de 1980 à mai 1981 .

C’est à cette époque qu’il passa son brevet de pilote d’avion .

Il est alors nommé Inspecteur général de l’Éducation nationale jusqu’à sa retraite, l’essentiel de cette activité se poursuivant dans les départements et territoires d’Outre- mer : il rencontra notamment Aimé Césaire (1935 l) à Fort-de-France .

Jean Pénard et son épouse se sont installés pour finir à Saint-Pierre de Vassols dans le Vaucluse, et se sont ainsi rapprochés de René Char qui vivait aux Busclats, à l’Isle-sur-la-Sorgue, à une quinzaine de kilomètres . C’était « l’ami le plus cher et le plus admiré », il retenait de Char sa haute taille, sa voix oraculaire, quasiment delphienne, quand il lisait les fragments d’Héraclite ou des éclairs de Nietzsche, sa communion avec la nature plus encore qu’avec les hommes4 . Ainsi que la présence des animaux auprès du poète, ses colères mémorables contre les grandeurs surfaites, en littérature comme ailleurs5 ; et à écouter Jean Pénard transcrivant au fil des années ses rencontres, on croit entendre les voix authentiques de la vraie Résistance, celle des maquis des Glières ou des Basses-Alpes . Ces entretiens publiés chez José Corti6 s’achèvent le 20 août 1987 (ils avaient débuté le 12 juillet 1954) . Char quitta ce monde le 19 février suivant et Jean Pénard en fut très affecté : il s’est trouvé isolé, en butte à l’entourage de Marie-Claude Char, qui avait épousé le poète très peu de temps avant son décès .

On peut enfin évoquer l’amour de Jean Pénard pour la langue française . En vrai successeur de son voisin angoumois Guez de Balzac, il n’a cessé de la défendre . À preuve ce remarquable polycopié édité par le Centre régional de documentation pédagogique de Grenoble en septembre 1980, intitulé Réflexions sur la Rédaction administrative. En 40 pages (y compris les renvois notamment à l’œuvre irrempla- çable de Maurice Grevisse), il explique avec sobriété et humour l’irremplaçable valeur de l’écrit, et la nécessité de la qualité de sa relecture, en commençant par l’exemple de Démosthène ; il se bat contre les cascades de génitifs, l’abus des sigles, et il termine en citant Jean Prévost (1919 l) : « on devrait enseigner dans les écoles que compliquer les choses est une infamie7 » .

C’était pour nous un homme charmant, un peu précieux, un peu d’une autre époque ; il utilisait toujours un langage très choisi, exquis. Il vantait particulièrement sa Charente natale. Il est décédé chez lui alors que son épouse était hospitalisée ; et nous-mêmes n’avons pu lui rendre l’ hommage que nous aurions aimé lui rendre quand il nous a quittés.

Laurent Pénard, son fils †Aliette Vandevoorde, en souvenir de son époux Pierre Vandevoorde (1956 l) (les passages en italique étant exclusivement de cette dernière) Notes de Patrice Cauderlier (1965 l)

  1. 1 .  Il l’a toujours tue, sauf en 1983, quand il lui a consacré une bouleversante plaquette intitu- lée Jeanne au figuier, que l’on peut trouver dans son format à l’italienne parmi les ouvrages précieux de la Bibliothèque nationale : neuf pages d’écriture fine, voire transparente, où revit la figure complice de sa sœur si aimée ; la mort y est présente, autant que dans les adagios de Gustav Mahler, et l’ouvrage est orné d’une polychromie de Marguerite Leuwers .

  2. 2 .  De ses années ulmiennes, il retient l’invitation faite à Louis Aragon en février 1946 ; il raconte l’incroyable désinvolture de l’orateur, et s’indigne d’avoir lu la semaine suivante sous sa plume : « Lorsque je parlais pour les élèves de l’École normale . » « Non, Monsieur, on ne parle pas pour les élèves, quand on est un petit Aragon, on parle aux élèves . » (Jean Pénard, Rencontres avec René Char, décembre 1982, p . 264) .

  3. 3 .  L’entretien ne porta sans doute pas sur René Char, qui n’appréciait pas plus Borges que Valéry . . . Voir ainsi les Rencontres avec René Char à la date du 4 septembre 1981, et le ressen- timent de Char à propos du jugement de Borges sur Baudelaire .

  4. 4 .  René Char, qui n’estimait guère le président de Gaulle pour son attitude envers les harkis, ne ménageait pas ses approbations à Georges Pompidou (1931 l), ni à Raymond Barre . Il défendait Vigny bec et ongles, notamment contre Henri Guillemin (1923 l), traité de ramasseur de poubelles, et expliquait son hostilité au poète de « La mort du loup », ainsi qu’à Charles Péguy (1894 l), par « la jalousie que lui et ses pairs éprouvent de n’avoir jamais été des créateurs » . Il souhaitait que Marguerite Yourcenar apprît à écrire, et il jeta au panier une thèse, portant sur son œuvre, à laquelle il ne comprit pas un traître mot ; elle était issue « de l’atelier de Julia Kristeva » .

  5. 5 .  C’est l’objet de la superbe lettre-préface pour Jour après nuit, ce recueil poétique publié par Jean Pénard chez Gallimard en 1981 qui s’achève ainsi : « souvenirs, beaux objets délectables et délicatement amers, offerts au lecteur avec autant de retenue que de plaisir ». Cette lettre est reprise dans l’édition de la Pléiade, p . 1324 .

    Il faut à ce propos faire observer que cette édition devait être supervisée par Jean-Claude Mathieu, et que celui-ci dut abandonner l’entreprise (et la préface) à un professeur de Fribourg, qui n’avait pas mesuré l’amitié entre Char et Pénard . D’où la regrettable absence dans ce volume de Jean Pénard, qui tenait certainement une place aussi importante dans la vie de l’auteur des Feuillets d’Hypnos que réciproquement .

  6. 6 .  C’est ici l’occasion de mettre en évidence son admiration pour Julien Gracq/Louis Poirier (1930 l) . Il s’appuyait pour rédiger ce volume sur plus de 500 feuillets, notés à la suite des invitations réciproques, dont il avait déjà publié une partie dans la revue Commentaire.

  7. 7 .  Jean Pénard rapporte le contraste saisissant que René Char développait un soir de décembre 1982 entre la destinée de Louis Aragon superdécoré et celle exemplaire de Pierre Brossolette (1922 l), dont il rappelait constamment l’article du Populaire d’août 1939 dénonçant le cynisme et l’hypocrisie d’Aragon vantant le pacifisme stalinien .