PERRENOT (épouse ESCLANGON) Jeanne - 1927 L

PERRENOT (Jeanne, épouse ESCLANGON), née le 4 avril 1908 à Digne-les- Bains (Alpes-de-Haute-Provence), décédée à Paris le 28 août 1992. – Promotion de 1927 L.


Jeanne Perrenot est la fille de deux professeurs d’École normale d’instituteurs . Son père Charles Perrenot est issu d’une famille de la très modeste bourgeoisie franc-comtoise . Félix Perrenot, son père, officier de police, meurt quand Charles a deux ans . Vivant à Bout (Haute-Saône), il est remarqué pour ses dons en mathématique, boursier, il entre à l’École normale de Luxeuil . Professeur de mathématiques, il est nommé à Gap, où il épouse Marie Guichard, elle- même professeur de physique et chimie à l’École normale de

jeunes filles . Marie Guichard est la fille d’employés de la station thermale de Digne, elle a passé le Brevet supérieur et préparé le concours de l’École normale au lycée de la Martinière à Lyon .

Le ménage est nommé dans un double poste à Ajaccio, puis au Puy-en-Velay . Charles, professeur-économe, disciple de Rousseau, parcourt les sommets voisins, herborise et emmène à la chasse ses filles Germaine et Jeanne . Élèves au lycée de filles, Germaine est scientifique, Jeanne déjà littéraire ; elle obtient de suivre les cours de latin au lycée de garçons, autorisation donnée en 1915 par le recteur Louis Liard (1866 l) « accepter un petit bataillon de latinistes » 1. Les années de guerre laissent à Jeanne des souvenirs précis : l’installation de l’électricité dans quelques salles, l’ar- mistice du 11 novembre 1918, et la grippe espagnole . Charles, pianiste et altiste, encourage la formation musicale de ses filles ; Germaine, pianiste, est une excellente accompagnatrice . Jeanne trouve dans Jean Pitacco, violoniste autrichien assigné à résidence, un professeur exceptionnel . Il anime la vie musicale du Puy, où il crée un orchestre d’élèves et d’amateurs . Jeanne acquiert une excellente technique et travaille toutes les grandes partitions : Bach, Corelli (concertos) . Cet acquis lui permettra de faire du violon toute sa vie .

En 1924, Jeanne est reçue au diplôme de fin d’études secondaires, mention TB . Elle entre en classe de lettres supérieures à Besançon, où elle passe le baccalauréat Latin-Langues en 1926 . Elle rejoint en cours d’année la classe de préparation à Sèvres du lycée de Versailles . Elle est reçue à l’École normale supérieure de jeunes filles en juillet 1927 à titre d’élève externe . À 19 ans, elle est la plus jeune de la 47e promotion . En 1928, Mario Roques (1894 l) est professeur de littérature fran- çaise, Béatrix Dussane, de la Comédie-Française, est professeur de diction . Georges et Ludmilla Pitoëff viennent présenter le théâtre moderne . Jeanne est enthousiasmée par les dons de Ludmilla, par le choix des auteurs et par la nouveauté de la mise en scène . La directrice madame Amieux (1889 S) favorise l’ouverture : Jeanne monte La fille de Madame Angot de Charles Lecoq, où elle personnifie le héros masculin, Ange Pitou . Elle gardera des liens fidèles avec ses compagnes de la 47e promotion : Suzanne Harang épouse Grinsard, Irène Perrard qu’elle retrouvera à Grenoble, Éliane Crappet épouse Lallemand . Jeanne Lods sera la seule de la promotion à accéder à l’enseignement supérieur, professeur de littérature médiévale à la Sorbonne (toutes quatre 1927 L)

Jeanne est reçue en 1929 au Certificat d’aptitude à l’Enseignement secondaire, son statut d’externe la prive de la troisième année qui prépare à l’agrégation . Elle ne peut pas suivre le cours « information pédagogique » du nouveau programme, elle regret- tera toujours cette agrégation manquée . Invitée au Bal de l’École normale par Raoul Audibert (1927 l) et Daniel Gallois (1926 l) qui l’initient au grec, elle rencontre Félix Esclangon (1922 s), alors agrégé-préparateur de physique . Elle l’épouse en août 1930 . Elle est nommée à Arras, les naissances de Pierre en 1931 et Danielle en 1932 inter- rompent une carrière qui se poursuivra ensuite sans interruption jusqu’en 1968 .

La carrière de Jeanne est dépendante de celle de son mari . En 1934, Félix soutient sa thèse et est nommé à la faculté des sciences de Lille . Jeanne est professeur à Roubaix puis au lycée Fénelon, à Lille . La directrice est madame Laubier, née Suzanne Benhamou (1919 L), épouse de Jean Laubier (1921 l) . Les deux ménages sont très proches . Félix enseigne au PCB, mais peine à développer ses travaux de recherche .

En 1938 il candidate et il est nommé maître de conférences puis professeur dans une chaire de physique industrielle à la faculté des sciences de Grenoble . Jeanne est nommée au lycée de jeunes filles, futur lycée Stendhal . Les années de guerre sont marquées par les restrictions, la protection d’amis menacés, en particulier le professeur Paul Levy et sa famille, et la Résistance . Grenoble, ville résistance, subit les attentats et les disparitions, vers la déportation ou vers les maquis . La villa des Esclangon est contiguë à l’École Vaucanson, occupée par les Allemands . Jeanne est contactée par le réseau Goélette, elle surveille avec Pierre, son fils, les mouvements de troupes et note le numéro de régiment, visible au col des plantons . Elle transmet l’information au cours d’anodines après-midi musicales à son relais, Odile Crussard Kammerer, qui est aussi la pianiste du quatuor .

La fin de la guerre ouvre une ère de développement et de fêtes . L’Institut polytech- nique participe aux fêtes du cinquantenaire de la Houille Blanche, par l’association des anciens élèves . Jeanne apparaît vêtue de tulle blanc à la soirée du Château de Vizille . La vie du lycée s’anime . Jeanne monte Intermezzo de Jean Giraudoux (1903 l) . Le ménage reçoit dans une maison dauphinoise face à Belledonne les visiteurs, collè- gues parisiens ou hauts responsables d’EDF (la nationalisation est en cours) . Jeanne est second violon dans l’orchestre Theuveny, choriste avec ses filles lors de l’exécution des Passions de Jean-Sébastien Bach . Les dimanches sont consacrés à la découverte des montagnes proches ; Jeanne ne connaît pas le vertige et accompagne Félix dans l’escalade des couloirs calcaires aimés des Grenoblois .

En 1954, Félix est nommé à Paris dans la chaire d’énergétique appliquée, créée à la Sorbonne . Parallèlement, il prend la direction du Laboratoire central des industries électriques à Fontenay-aux-Roses . Jeanne rejoint Paris après une année de soins et de radiothérapie . Elle est nommée au lycée pilote du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres, dirigé par madame Hatinguais, claire reconnaissance de ses qualités de professeur et de conseiller pédagogique .

La mort accidentelle de Félix laisse Jeanne veuve à 48 ans . Ses filles Thérèse et Suzanne sont lycéennes . Jeanne rejoint le lycée Molière où elle retrouve madame Laubier, sa directrice . Elle est correctrice des compositions de français du Concours général, et du concours d’entrée à l’École centrale . Ces tâches lui font retrouver le contact avec ses collè- gues de l’enseignement secondaire, et apportent un complément précieux à un budget réduit . Elle quitte l’enseignement sans regret après le remue-ménage de Mai 1968 . Après trente-cinq ans de carrière, elle a atteint l’échelon supérieur de son grade, elle est officier de l’Instruction publique en 1953, chevalier de l’ordre du Mérite en 1969 .

Jeanne Esclangon a aimé enseigner . À Grenoble elle a eu en charge les élèves des classes de 6e et 5e français-latin, des classes de 2de et 1re série B . Les anciennes élèves évoquent encore madame Esclangon quand elles doivent expliquer la « règle des tons » adjectif ou adverbe . Le corrigé des rédactions est un plaisir : le profes- seur choisit les meilleures phrases de chaque devoir et en fait des bijoux de quinze lignes . En 2de et 1re, les cartes du monde romain, le plan de la Rome antique sont accrochés . Traduisant la Guerre des Gaules, les jeunes latinistes voient s’avancer les légions en marche . À des élèves privées de théâtre, elle raconte le rire de Dussane dans le Bourgeois gentilhomme, le trac de Dullin avant le monologue de l’Avare. Une élève brillante 2 n’hésite pas à monter, pour la famille et les amis, la tragédie d’Esther. Pendant les jours opaques de l’Occupation, madame Esclangon évoque la Rome de Du Bellay et le Palais Farnèse où elle a été reçue par l’ambassadeur André François- Poncet (1907 l) quand Félix y a présidé le baccalauréat . Une des élèves trouve les mots pour évoquer sa silhouette et son enseignement : « virevoltant, les mains dans les poches d’un immense imperméable, arpentant l’estrade sur de périlleux talons hauts, elle nous passionna pour l’Émile ».

À la retraite, d’autres tâches l’attendent . Confrontée au barrage légal à toute régula- tion des naissances, elle adhère à l’association Maternité heureuse, fondé par madame Lagroua-Weil-Hallé . La loi Veil, en 1975, est pour elle une victoire personnelle . Elle milite pour le droit des femmes dans le cadre du Soroptimist Club International . Présidente à Grenoble, puis à Neuilly, elle est déléguée internationale du Soroptimist Club à l’Unesco en 1962 .

Jeanne a été une mère attentive, plus exigeante pour ses enfants que pour ses élèves . Aidant et protégeant quatre jeunes ménages, elle a accueilli avec une vigilance atten- tive dix petits-enfants qui lui doivent une large part de leurs succès universitaires ou professionnels .

Jeanne Esclangon n’a pas laissé de trace écrite de cet art qui lui permettait d’entraîner ses élèves dans l’exaltation des textes . Elle traduisit avec Félix un texte clé d’Arthur Haas 3 sur la théorie de l’atome . Fidèle à la Société des Amis de l’École normale supérieure, elle rédigea la notice de Henri Pariselle 4 que le ménage Esclangon avait connu à Lille et à Grenoble . Pendant ses dernières années assombries par un grave accident, elle écoutait chez elle la Fugue de Bach ou l’Étude de Scriabine que son gendre Franck Theuveny, pianiste, avait relues pour elle .

Sur une note juste, l’homme est plus en sécurité que sur un navire de haut bord (le Droguiste, dans Intermezzo de Giraudoux) .

Ses anciennes élèves :
Danielle PANSU ESCLANGON, Thérèse THEUVENY ESCLANGON,
ses filles et Sylviane GUILLAUMONT JEANNENEY

Notes

  1. 1 .  Le Cinquantenaire de l’École de Sèvres, 1881-1931 (édition des Ateliers de Printory, 1932)

  2. 2 .  La troisième des cosignataires .

  3. 3 .  Arthur Haas, Quanta et Chimie, traduit de l’allemand par Jeanne Perrenot et Félix Esclangon (éditions Gauthier-Villars, 1931)

  4. 4 .  Notice d’Henri Pariselle, Annuaire 1973 des anciens élèves de l’École normale supérieure .