POMPIDOU Georges - 1931 l

POMPIDOU (Georges), né à Montboudif (Cantal) le 5 juillet 1911, décédé à  Paris le 2 avril 1974. Promotion de 1931 l.  


Georges Pompidou appartient désormais à l'histoire. D'autres ont déjà dit, d’autres plus nombreux encore diront — ce n'est pas ici le lieu — ce que fut l’homme d’État. Il est, par ailleurs, superflu de rappeler le déroulement chronologique d'une existence qui, avec plus ou moins d'exactitude et cette trop fréquente confusion, dont notre ami avait horreur, entre vie publique et vie privée, a été largement retracée par les mots et l'image.  
Notre propos sera, plus intimement, d'évoquer le souvenir de celui qui fut notre camarade, resté, comme le sait mieux que quiconque Jean Bousquet, l’actuel directeur de l'École, qui fut le cacique de sa promotion, si profondément attaché à la famille normalienne, et de rendre conjointement un affectueux hommage à la mémoire de l'un parmi les élèves de notre maison qui lui aura fait tout particulièrement honneur.  
C'est à Louis-le-Grand, l'un et l'autre, à un an de distance, en octobre 1929 et octobre 1930, que nous avons connu Georges Pompidou. Rapprochés d’emblée par ce fait que, provinciaux tous trois, nous avions en commun sensiblement le même univers, nous avons noué très vite les liens d'une étroite amitié que le temps, depuis lors, n'a fait que resserrer davantage. 

A l'École ensuite, puis à Saint-Maixent, nous avons vécu les quatre années de 1931 à 1935. Nos camarades de cette époque gardent en leurs yeux la silhouette de ce grand garçon brun, d'une indiscutable séduction, courtois dans ses manières, élégant dans sa tenue, aussi éloigné qu’il est possible de cette négligence dans laquelle croyaient devoir se draper plusieurs de nos contemporains.  
Quiconque l'approchait ne pouvait que lui reconnaître une intelligence d’une ouverture, d'une agilité, d'une promptitude, d'une faculté d'assimilation et d’adaptation exceptionnelles. Dissertation littéraire ou philosophique, version grecque ou latine, économie politique, il s’affirmait, il s’imposait toujours avec la même aisance, le même brio.  
De cette aisance, qui lui était enviée par beaucoup, certains allaient jusqu'à lui faire grief, prompts à la travestir sous les traits de la nonchalance et poussant l’injustice jusqu'à la dénoncer comme une forme d'affectation. Dans la réalité, là comme ailleurs, Georges Pompidou était l’ennemi des apparences, des faux semblants ; le travail ne se mesurait pas pour lui au nombre d'heures passées devant les livres dans l'atmosphère confinée d'une turne, mais à l'intensité de la réflexion, réflexion conduite avec un sentiment profond, non pas seulement de  sérieux, mais de gravité.  
Il avait, dans le domaine des idées, au plus haut degré, le goût de la discussion.  Combien d'heures de nos journées, rue d'Ulm, au Luxembourg, ou à l'une des terrasses du Boulevard Saint-Michel, aurons-nous consacrées, ensemble, à deviser sur les sujets les plus divers, que le thème de nos entretiens, de nos controverses, fût fourni par l’actualité ou par les problèmes généraux de morale ou de méta physique !  
Fidèle aux préceptes de Montaigne, il se plaisait à conférer sans parti-pris, sans dogmatisme, avec pour seul souci la quête de la vérité, d'autant plus intéressé qu’il trouvait chez son interlocuteur une opposition ferme, sous la seule réserve qu’elle s'exprimât avec bonne foi.  
S'il « suspendait son jugement », ce n'était jamais par timidité, encore moins par scepticisme, par crainte de s'engager dans le débat, mais par désir d'être éclairé aussi complétement que possible, de ne négliger aucune donnée du problème, de ne rejeter a priori aucun point de vue. Agissant de la sorte par honnêteté intellectuelle et souci exclusif de la vérité, il était, au demeurant, très capable de reconnaître ses erreurs et de faire des concessions à un antagoniste, voire de se rallier à ses vues quand tel ou tel de ses arguments lui paraissait déterminant.  
D'une façon générale, il avait horreur de tout ce qui est coterie, clan, cabale.  En dehors des affinités de chacun, une seule chose l'intéressait : l'authenticité de la personne.  
L'un de nous deux gardes en mémoire une discussion fort élevée avec plusieurs camarades sur la guerre. Un parmi nos camarades, philosophe de vocation et de profession, lança ces simples mots : « Après tout, qu'ai-je à y perdre, si ce n’est la vie ? ». Georges Pompidou fut très frappé de son accent et, l'auteur du propos s’étant retiré, observa que la « charge » d'un même mot variait de zéro à l’infini suivant la personne qui le prononçait. Les événements survenus depuis lors n'ont cessé d’accentuer l’écart des conceptions, d’accuser le contraste entre les cheminements de notre ami et ceux du camarade dont je viens de citer l'apostrophe ; Georges Pompidou, pour sa part, n'en a pas moins gardé à ce camarade, sa vie durant, la même estime et la même amitié. 

Comment un ensemble de dons aussi exceptionnels, quelque dix ans par-delà notre sortie de la rue d'Ulm, n'auraient-ils pas retenu l'attention de celui en qui, durant la longue nuit de l'occupation, il avait, dès les premiers jours, placé son espérance et dans la mouvance de qui, en septembre 1944, il a eu, rue saint Dominique, l’honneur et le privilège d’être appelé à servir ? Début d’une ascension vers la responsabilité la plus haute, dans l’exercice de laquelle Georges Pompidou a donné la pleine mesure de ses capacités, de son dévouement à l'État et au pays, et, jusqu'au dernier souffle, de son courage.  
 

René BROUILLET
-Pierre
POUGET.