RAIMOND Jean-Bernard - 1947 l

RAIMOND (Jean-Bernard), né à Paris le 6 février 1926, décédé à Neuilly-sur- Seine (Hauts-de-Seine) le 7 mars 2016. – Promotion de 1947 l.


Rue d’Ulm, nous n’avions fait que nous croiser . Jean- Bernard Raimond était mon ancien de deux promotions . Il venait de Louis-le-Grand, moi de Montpellier ; il était parisien, moi provincial ; il se destinait à l’agrégation de lettres, moi à celle d’histoire .

C’est au Quai d’Orsay que, de simples camarades, nous devînmes collègues et amis . Une occasion surtout nous rapprocha . Il se trouve qu’en 1959, se réunit à Genève, au niveau des ministres des Affaires étrangères, une conférence

à quatre sur l’Allemagne et que nous fûmes désignés pour y participer . En tant que benjamins de la délégation nous étions préposés à la prise de notes et à la rédaction des comptes-rendus . Tâche subalterne assurément, mais pour nous, au grade où nous étions, un honneur et une chance . D’entrée de jeu nous étions projetés au cœur d’une grande négociation internationale .

Nous avions appris dans les livres que le conflit Est-Ouest dominait la politique mondiale et que l’Allemagne en était l’enjeu . À Genève nous touchions du doigt cette réalité . À Genève aussi, nous étions témoins de ce que signifiait pour la France le fait de compter parmi les quatre Grands . À ce séjour de quelques mois à l’hôtel des Bergues, au nomadisme des délégations dans les villas des bords du lac et au décorum des séances ministérielles au Palais des Nations, nous trouvions quelque chose qui fleurait bon la diplomatie d’antan et rappelait les fastes du concert européen .

Pour Jean-Bernard, qui serait plus tard ambassadeur à Varsovie et à Moscou avant d’être appelé comme ministre à diriger notre diplomatie, il ne pouvait y avoir meilleure école .

Il y était arrivé fort de son expertise dans les affaires soviétiques acquise auprès de Jean Laloy qui y était passé maître et avait fait de lui son disciple préféré . À Genève, il va approcher le maître négociateur qu’est Maurice Couve de Murville ; il saura s’en faire apprécier et gagner sa confiance . Aussi n’est-ce pas un hasard si, à quelques années de là, il entre à son cabinet comme directeur adjoint, traverse avec lui la tourmente de Mai 68 et le suit à Matignon où il se voit confier le dossier brûlant de l’Éducation .

Déjà apparaît l’un des dons qui distinguaient Jean-Bernard : la facilité qu’il avait à s’entendre avec les personnalités les plus dissemblables de tempérament et de convic- tion . Cette heureuse disposition qui lui avait permis de servir avec un égal bonheur Laloy et Couve se vérifia à nouveau quand, de Matignon, il passa à l’Élysée et de Couve à Pompidou (1931 l) . Mais elle lui sera encore plus précieuse quand, par temps de cohabitation, il sera le ministre de Mitterrand et de Chirac .

Pareille facilité n’exige pas seulement de la modestie et du désintéressement, il y faut aussi une confiance en soi à toute épreuve parce qu’elle se fonde sur la solidité des convictions et un juste sentiment de sa valeur .

Dans le cas de Jean-Bernard, elle allait en outre de pair avec une capacité peu commune d’adaptation aux tâches les plus variées . À Matignon, le diplomate qu’il était dut s’improviser expert en éducation et se mesurer avec le brillant mais ondoyant et redoutable Edgar Faure . La première ambassade de ce spécialiste des rapports Est-Ouest fut pour le Maroc où sa réussite fut d’autant plus éclatante qu’il bénéfi- cia à ses côtés du rayonnement de Monique que ce célibataire déjà un peu endurci venait d’épouser sur un coup de foudre . Avec la Direction générale des Affaires cultu- relles qu’il prend à son retour en France, ce sont encore de nouveaux horizons qui s’ouvrent à lui et c’est un autre métier . Qu’ensuite le diplomate modèle, l’ambassa- deur chevronné, se coule sans effort dans la peau du ministre, voilà qui n’a pas de quoi étonner . Mais là où il surprend tout le monde, et moi le premier, c’est quand, lancé tête baissée dans la mêlée électorale, il se porte candidat dans une circonscription où personne ne l’attend, Aix-en-Provence, arrache l’élection au terme d’une triangulaire difficile et, comble de tout, réussit l’exploit, quatre ans plus tard, de s’y faire réélire . À cette carrière aussi variée que brillante, il fallait pour la conclure dignement un poste non seulement prestigieux mais sans équivalent . Ce fut, véritable consécration, l’ambassade auprès du Saint-Siège .

À la regarder dans le rétroviseur de l’histoire, la carrière de Jean-Bernard se déroule avec une telle fluidité, tout s’y enchaîne avec un tel bonheur, qu’on est tenté d’y voir l’effet d’une chance exceptionnelle . La chance, sans doute, ne fut pas absente . C’en était une, en effet, quand il fut nommé au Saint-Siège auprès de Jean-Paul II que d’avoir été précédemment ambassadeur à Varsovie ; c’en était une autre d’avoir été à Moscou dans les années qui virent surgir Gorbatchev au milieu de la médiocrité des gérontocrates qui se succédaient au Kremlin ; c’est sans doute aussi d’avoir pratiqué Jobert et Balladur dans l’entourage de Pompidou qui lui valut d’être choisi pour deve- nir le ministre des Affaires étrangères de la cohabitation .

Cependant, Jean-Bernard n’a dû ses réussites qu’à lui-même . Ils n’étaient pas nombreux, en 1985, ceux qui devinaient jusqu’où irait l’ascension de Gorbatchev ni, surtout, ceux qui pressentaient à quel point l’homme serait capable de bouscu- ler l’immobilisme du système . Le bon diagnostic établi, encore fallait-il être capable d’en convaincre le président de la République, ce qu’il n’aurait pu faire s’il n’avait retenu son attention et gagné son estime par la qualité de ses télégrammes quand il était ambassadeur à Varsovie dans la période immédiatement précédente . De la même façon, la familiarité qu’il avait acquise des Jobert et Balladur n’aurait pas suffi à faire de lui un ministre s’il n’avait su par avance gagner la considération de François Mitterrand .

On aurait tort en outre de croire que, si sa réussite continue fut sans exception, elle fut sans épine . Quand il évoque son année à Matignon et ses démêlés avec Edgar Faure, il avoue : « Jamais je ne me suis autant irrité, j’étais très souvent en colère ! » . Ses rapports avec Jobert, quand celui-ci est secrétaire général de l’Élysée et que lui- même est conseiller diplomatique de Pompidou sont assez orageux pour qu’il décline l’offre de le suivre au Quai d’Orsay pour devenir son directeur des Affaires politiques . Quand lui-même, enfin, prend en main le portefeuille des Affaires étrangères, on sait combien les inconstances de Chirac et les embrouilles de Pasqua ou de son cabinet lui compliquèrent la brûlante affaire des otages .

Ce n’est pas à nous mais aux historiens qu’il appartient de dire quelle trace il aura laissée dans l’histoire . Aussi m’en tiendrai-je, pour finir, à deux anecdotes à cause de ce qu’elles disent de ses qualités humaines et parce qu’elles le peignent au naturel .

La première, il l’a racontée lui-même . Il était à Matignon à ferrailler avec Edgar Faure et, tout en convenant qu’il y avait beaucoup à changer dans l’Université, il entendait veiller à ce qu’on ne touchât pas à l’essentiel . C’est pourquoi, quand il apprit qu’au cabinet d’Edgar, on s’apprêtait à proposer la suppression pure et simple de l’agrégation, son sang ne fît qu’un tour . Il monta dans le bureau du Premier ministre et le persuada de mettre son veto au projet . L’agrégation était sauvée et la preuve faite que la souplesse de Jean-Bernard n’allait pas sans fermeté .

La seconde anecdote m’est personnelle . J’avais quitté le Quai d’Orsay depuis quatre ans, n’ayant pas souhaité servir le gouvernement issu des élections de 1981, quand, nommé ministre, il me demanda si je souhaitais reprendre du service . « Je ne demande pas mieux », lui répondis-je, « mais je doute que le président de la République veuille nommer ambassadeur quelqu’un qui vient de faire le procès de sa diplomatie dans un écrit, qui certes n’a pas bénéficié d’un grand tirage, mais qui, enfin, est publié. » L’affaire paraissait close ; quatre ou cinq mois plus tard, pourtant, elle était faite sans que j’aie jamais su comment . Je n’avais jamais douté que Jean-Bernard eût l’amitié fidèle, mais je ne savais pas qu’il l’eût à ce point déterminée qu’elle fût capable de faire des miracles .

Gabriel Robin (1949 l)

Jean-Bernard Raimond naît le 6 février 1926 à Paris d’un père, Henri, aux racines bordelaises et choletaises et d’une mère, Alice Auberty, originaire de Tulle en Corrèze . Bien qu’issu d’une famille provinciale, il est « fondamentalement parisien » . Jusqu’à la fin des années 1980, en dehors de ses affectations à l’étranger, il habite le même immeuble de l’avenue Daumesnil dans le XIIe arrondissement où résident également ses parents et la famille de son frère cadet, Michel . Il fait toute sa scolarité dans l’enseignement public parisien . En 1937, son entrée en sixième au lycée Charlemagne est une révélation intellectuelle . Guidé par des professeurs remarquables comme Pierre George, géographe spécialiste de l’URSS et futur membre de l’Institut, il développe un goût pour l’histoire et la littérature . Il collectionne les prix d’excellence . A seize ans, il trouve un livre de Jean Giraudoux (1903 l) dans la bibliothèque familiale . Un sentiment d’admiration naît pour l’écrivain diplomate . Il durera toute sa vie . Le père de Jean-Bernard Raimond, ingé- nieur de l’École supérieure de physique et chimie de Paris, et un oncle polytechnicien, Marcel Wanner, souhaitent qu’il fasse des études scientifiques . Porté par son goût des humanités, Jean-Bernard Raimond choisit plutôt la khâgne, impressionné par le prestige des écrivains normaliens Sartre (1924 l), Jules Romains (1906 l) et bien d’autres . Il entre au lycée Louis-le-Grand avant d’intégrer l’Ecole normale supérieure en 1947 . Il apprend le russe aux Langues O et obtient l’agrégation de lettres en 1951 . Le directeur de la rue d’Ulm l’inscrit alors « d’office » à la fondation Thiers . Jean-Bernard Raimond y prépare une thèse sur Jean Giraudoux . Il doit cependant partir pour le service militaire et réflé- chit à son avenir . Bien qu’il reste fondamentalement littéraire, il ne trouve pas le cadre universitaire assez stimulant et aspire à être diplomate . À son retour, il décide donc de se présenter au concours de l’ENA où il entre en 1953 dans la « Promotion Guy-Desbos » . Son très bon classement lui permet de choisir la section « Quai d’Orsay » .

« Je voudrais vivre l’Histoire se faisant . » C’est ce qu’écrit Jean-Bernard Raimond le 1er septembre 1956 avant sa première prise de fonction au Quai d’Orsay . Jean Laloy, un des plus importants diplomates français de l’après-guerre, grand connaisseur de la Russie et alors directeur Europe du ministère des Affaires étrangères, le repère et le prend sous son aile . Jean-Bernard Raimond devient sous-directeur d’Europe orientale avant de suivre Jean Laloy aux Affaires politiques, malgré de nombreuses sollicitations pour rejoindre des cabinets ministériels . De septembre 1956 à février 1967, il traite des questions qui le passionnent le plus, celles relatives au monde communiste . Il voyage dans toute l’Europe et en Chine . Il participe à de grands moments de négociations comme celles sur Berlin à l’été 1961 . Entre 1958 et 1967, parallèlement à son travail au Quai d’Orsay, il enseigne les relations internationales en troisième année à Sciences Po, où ses conférences ont un énorme succès . En février 1967, il est nommé sous-directeur d’Europe centrale . Après avoir refusé une première fois, il accepte de devenir directeur adjoint du cabinet de Maurice Couve de Murville en juin 1967 en pleine guerre des Six Jours . Jean-Bernard Raimond assure un intérim de deux mois à son poste lorsque Michel Debré devient ministre des affaires étrangères en 1968 . Puis il suit Maurice Couve de Murville comme conseiller technique à Matignon de juillet1968 à juin 1969 . Les intrigues sont nombreuses . Plutôt que de la diplomatie, il se retrouve chargé de l’Éducation nationale et des questions universitaires, un dossier brûlant quelques semaines après Mai 68 . C’est son premier poste politique . À quarante-deux ans, Jean- Bernard Raimond a suivi la révolte étudiante avec une certaine distance . Il sait que des réformes profondes de l’Université sont nécessaires . Il ne comprend pas la paranoïa qui se développe autour du Général de Gaulle, en particulier lors du voyage présidentiel en Roumanie en plein milieu des événements auquel il participe . Dans les mois qui suivent, Edgar Faure, ministre de l’Éducation nationale, et son cabinet pléthorique sont en charge de la réforme de l’Université . Dans un climat tendu, Jean-Bernard Raimond fait en sorte de promouvoir une démarche rationnelle face à ce qu’il considère comme des délires et des aberrations . Il se bat pour le maintien de l’agrégation et pour l’ensei- gnement du latin . Toute cette période renforce aussi l’admiration que Jean-Bernard Raimond voue à Georges Pompidou .

Sur les conseils de Michel Jobert et d’Edouard Balladur, Jean-Bernard Raimond est appelé en juin 1969 au secrétariat général de la présidence de la République d’abord comme chargé de mission puis comme conseiller diplomatique . Jean- Bernard Raimond se sent proche de Georges Pompidou . Il admire son intelligence et son sens de l’État . Il apprécie aussi sa bonté et sa bienveillance . Pendant quatre ans, il est associé aux évolutions de la politique étrangère de la France et participe aux rencontres avec les grands dirigeants de l’époque : Brejnev, Nixon, Brandt... Il est partie prenante du réchauffement des relations avec le Royaume-Uni et participe aux négociations d’adhésion à l’Europe . Jean-Bernard Raimond doit gérer également le voyage mouvementé de Georges Pompidou aux États-Unis en février 1970 . En 1973, un peu las d’un système et de conseillers qu’il juge trop autoritaires, il décide de retourner au Quai d’Orsay . Au bout de quelques mois, il est nommé ambassadeur de France au Maroc . C’est, à quarante-sept ans, sa première affectation à l’étranger et un poste très prestigieux . Il reste en fonction de 1973 à 1977 et tombe amoureux du royaume chérifien . La période est marquée par la « Marche verte » lancée par Hassan II en 1975 . Sur le plan personnel, ce sont des années importantes . Après être resté longtemps célibataire, il épouse Monique Chabanel, docteure en droit originaire de Lyon . En avril 1977, naissent leurs deux filles jumelles, Catherine et Sophie dont Jean-Bernard Raimond dira souvent qu’elles sont sa plus grande réussite . À son retour de Rabat, le ministre des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud, l’appelle à ses côtés . Jean-Bernard Raimond devient à la fois directeur de cabinet et directeur de l’Afrique du Nord-Levant . Il a d’excellentes relations avec le ministre et travaille avec lui jusqu’en novembre 1978 . La période qui suit est une « pause » dans la carrière de Jean-Bernard Raimond . Dans un contexte de fortes rivalités au sein du Quai d’Or- say, dont il est la victime, puis de l’arrivée de la gauche au pouvoir, il est de 1979 à janvier 1982 directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques . Il n’imagine pas encore les bouleversements historiques à venir .

Début 1982, après avoir été démis de ses fonctions par le gouvernement socialiste, il reste plusieurs mois sans affectation . Il a alors cinquante-cinq ans et des perspectives de carrière incertaines . Il ne peut se douter que les six années qui vont suivre vont être les plus intenses de sa vie . Il ne reste alors qu’un poste à pourvoir à l’étranger, celui d’ambassadeur en Pologne . Très réticent au départ, Jean-Bernard Raimond finit par accepter après une discussion avec Jacques Chaban-Delmas qui s’avère être le mari de sa cousine germaine, Micheline . Il arrive à Varsovie en plein « état de siège » après le coup d’État de décembre 1981 . Les principaux dirigeants de Solidarnosc dont Lech Walesa sont incarcérés . La résidence de l’ambassadeur est truffée de micros . La police est omniprésente et menaçante . Jean-Bernard Raimond n’est pas impres- sionné . Il comprend parfaitement que les dirigeants malgré leur apparente brutalité sont tout compte fait velléitaires . De nouveaux hommes libres émergent . Il fera en sorte de rencontrer les plus emblématiques à l’ambassade . Il noue en particulier une relation intellectuelle et amicale avec l’historien francophile Bronislaw Geremek . Les télégrammes envoyés par l’ambassadeur en France pour rendre compte de la situation sur place sont très appréciés . La deuxième visite de Jean-Paul II en Pologne en 1983 est un événement extraordinaire . Jean-Bernard Raimond admire le pape polonais depuis son discours à l’Unesco à Paris en 1980 . Il ne cessera de souligner le rôle que celui-ci a joué aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev dans l’effondrement du système soviétique en particulier dans sa biographie de Jean-Paul II qu’il écrira en 1999 . En janvier 1985, après un passage en Pologne unanimement salué, Jean-Bernard Raimond est nommé ambassadeur en URSS . Dès ses premiers jours en fonction, il rencontre Mikhaïl Gorbatchev qui n’est pas encore secrétaire général . « Il est très différent des autres, ce n’est pas du tout un soviétique », dit-il en substance, fort de sa profonde connaissance de la Russie communiste . En France, dans le même temps, on se dirige vers la première cohabitation de la Cinquième République . Beaucoup d’incertitudes persistent sur le fonctionnement de la diplomatie française en de telles circonstances . À la tête du Quai d’Orsay, le profil de Jean-Bernard Raimond, techni- cien reconnu, sans affiliation à un parti politique et apprécié de François Mitterrand semble adéquat . Edouard Balladur, appelé à devenir ministre d’État du nouveau gouvernement de Jacques Chirac, joue un rôle important dans la nomination de Jean-Bernard Raimond comme ministre le 20 mars 1986 . Malheureusement, Henri et Alice Raimond sont décédés tous les deux quelques mois plus tôt et ne pourront pas assister à l’arrivée de leur fils à la tête du ministère des Affaires étrangères .

Jean-Bernard Raimond doit mettre en œuvre la politique du Premier ministre tandis que le président de la République tient à son domaine réservé . L’organisation de la « diplomatie à trois » est un casse-tête, en particulier lors des sommets inter- nationaux . Le premier geste de Jean-Bernard Raimond est de rencontrer Mikhaïl Gorbatchev quatre jours après sa prise de fonction . Il préconise une approche à la fois prudente et ouverte vis-à-vis du régime soviétique et forge le concept de « double vigilance » . Mais sa première priorité est la libération des neuf otages français au Liban . Il a acquis la conviction, peu commune dans les milieux diplomatiques à cette époque, que la solution se trouve en Iran plutôt qu’en Syrie . Selon lui, une norma- lisation progressive des relations avec Téhéran est la bonne stratégie . Encouragé par Jacques Chirac, il engage des négociations secrètes avec les Iraniens qui contribuent à la libération de deux premiers otages en juin 1986 puis de trois autres avant la fin de l’année . Malgré ces premiers succès, cette politique ne dure pas . La vague terro- riste de l’été 1986 en France puis la « guerre des ambassades » suite à l’affaire Gordji aboutissent en effet à la rupture des relations diplomatiques entre la France et l’Iran en juillet 1987 . Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, torpille les efforts de Jean-Bernard Raimond et souhaite arrêter ce qu’il qualifie de « connerie de négociation » . Il faudra attendre le printemps 1988 pour que tous les otages soient libérés . Dans cette affaire, Jean-Bernard Raimond regrette la prééminence des politi- ciens et l’absence de solidarité gouvernementale . Mais, en dehors du Proche-Orient, les sujets à traiter sont nombreux pour le ministre : le désarmement conventionnel, les rapports Est-Ouest, l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans la CEE, les suites de l’affaire Greenpeace... Petit à petit, Jean-Bernard Raimond voit plus François Mitterrand que le Premier ministre qui lui fait « tout à fait confiance » . Il vit deux années de travail harassant mais ressent une grande satisfaction de servir la France .

Après la réélection de François Mitterrand, Jean-Bernard Raimond est nommé ambassadeur de France près le Saint-Siège . Il reste en poste de 1988 à 1991 . C’est pour lui l’occasion de se rapprocher de Jean-Paul II qu’il admire . Le 1er décembre 1989, il commente pour Europe 1 la rencontre historique entre le pape et Mikhaïl Gorbatchev . Ces trois années lui laissent le temps de relater son expérience de ministre dans Le Quai d’Orsay à l’épreuve de la cohabitation . À son retour de Rome, il est élevé à la dignité d’ambassadeur de France . Il approche de la retraite et Alain Juppé (1964 l) le contacte en octobre 1992 pour lui proposer un « parachutage » à Aix-en- Provence pour les élections législatives de 1993 . Dans un contexte politique local de forte rivalité entre le RPR et l’UDF et malgré peu de soutiens sur place, il parvient tout de même à être élu . Il est réélu en 1997 sans difficulté malgré la vague rose . À l’Assemblée nationale, il est désigné à la délégation européenne . Il est vice-président de la Commission des affaires étrangères de 1997 à 2002 . En tant que député, il a différentes missions comme dans les Balkans en 1994 ou auprès de Saddam Hussein en Irak en 1996 . Il a soixante-quinze ans quand il quitte son poste de député en 2002 .

C’est à cette époque que je rencontre Jean-Bernard Raimond grâce à sa fille, Catherine, que j’aurai le bonheur d’épouser cinq ans plus tard . Bien qu’officiellement à la retraite, il reste extrêmement actif, en particulier comme administrateur de l’Institut Georges-Pompidou ou au sein de l’association France-Italie qu’il préside . Il écrit beau- coup, a toujours un livre à la main qu’il annote consciencieusement, tantôt sur la Russie, tantôt sur Chateaubriand ou Giraudoux . Ce qui me frappe chez lui, c’est le caractère intact des passions intellectuelles qui l’animent et un optimisme inaltérable . C’est aussi la force d’un homme confiant en lui qui a toujours fait dans la vie ce qui lui plaisait et qui a trouvé dans la diplomatie le moyen de vivre l’Histoire . Son principal conseil est de n’en écouter aucun . Dans l’intimité, Jean-Bernard Raimond montre à la fois une grande autorité naturelle et une douceur qui s’exprime plus particulièrement avec son épouse et ses filles . Le fait d’être normalien m’aide sans doute un peu, mais, malgré son parcours et sa culture impressionnante, Jean-Bernard Raimond montre à mon égard une gentillesse extrême quasi paternelle . Depuis son décès le 7 mars 2016, je conserve de lui l’image du parfait honnête homme européen doté d’une immense culture et dénué du moindre sectarisme, et aussi le souvenir nostalgique d’une infinie bienveillance .

Benoit MSELATI (1996 s)