RÉTAT Pierre - 1954 l

RÉTAT (Pierre), né le 18 mars 1932 à Compiègne (Oise), décédé le 17 janvier 2018 à Lyon (Rhône). – Promotion de 1954 l.


Pierre Rétat tenait de ses origines un profond amour de la musique, hérité de sa mère, et un profond amour de la forêt . Dès son enfance (et comme devait le faire ensuite la montagne corse), la forêt comblait en lui le penchant à la contemplation, mais aussi, et sans contradiction, la passion des longues marches et de l’effort physique . Les grandes courses dans la forêt et dans le maquis (faucille en main s’il le fallait) ne vont-elles pas de pair avec le sens de la recherche ? Ne devait-il pas aussi à sa ville natale l’éveil de sa vocation dix-huitiémiste ? Il l’a conté dans un volume de témoignages recueillis par Sergueï Karp (Pierre Rétat, « Confession d’un dix-huitiémiste », dans Être dix-huitiémiste, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du xviiie siècle, p . 140-152) . Élève à l’Institution Guynemer de Compiègne, il eut en classe de première un professeur de français, le chanoine Jean Coulaud, résistant pendant la guerre, et ardent à diffuser autour de lui sa propre passion : le dix-huitième siècle, la philosophie et la « belle langue » du temps . C’est à lui qu’il dut à la fois l’amour des lettres, et la poursuite d’études littéraires .

Entré en terminale (« math-élem »), Pierre Rétat fut atteint, dès les premiers jours d’octobre, d’une très grave maladie infectieuse (d’origine restée inconnue) qui ne céda qu’après une hospitalisation de plusieurs mois . Il réussit néanmoins non seule- ment à obtenir son bac, mais à être admis en hypokhâgne au lycée Henri-IV . Il dut alors se remettre à l’étude du grec (abandonnée à la fin de la classe de troisième pour entrer en série C, scientifique) . De ses années d’Henri-IV, il garda toujours très vivant le souvenir des maîtres qui l’avaient soutenu, stimulé : les professeurs Henri Birault (1939 l), Maurice M .L . Savin, Jean Boudout (1920 l) et Fernand Houillon (1929 l), notamment . Admis à l’ENS (Ulm) en 1954, à l’agrégation de lettres clas- siques en 1957, il obtint ensuite, par l’entremise de l’École, un séjour d’un an aux États-Unis . Après cette année de découverte, ce fut, avec le retour en France, le début d’un long service militaire : près de deux ans comme sous-lieutenant puis lieutenant en Algérie, véritable épreuve morale et physique, puis quelques mois à Vincennes, comme instructeur auprès d’élèves de Grandes Écoles .

Affecté en janvier 1961 au lycée de Châlons-sur-Marne, il fut, après son mariage en juillet 1961, nommé professeur au lycée Pothier d’Orléans . Deux ans plus tard s’ouvrit pour lui à Lyon, sur la proposition de Robert Mauzi (1946 l), le cursus universitaire dont il suivit les étapes jusqu’à sa nomination comme professeur au début des années 1970 . Sa thèse pour le doctorat d’État, Le Dictionnaire de Bayle et la lutte philosophique au xviiie siècle (dirigée par René Pintard, 1922 l), fut publiée aux éditions des Belles-Lettres en 1971 .

Si la recherche était à ses yeux la meilleure part, il sut l’associer pleinement à son rôle d’enseignant . À cette double fonction il consacra ses forces intellectuelles et humaines, sans manquer pour autant à prendre aussi sa part des tâches pour lui les moins gratifiantes : au sein de la faculté, il assuma toutes les charges administratives (direction du département, puis direction de l’UER nom du décanat à Lyon-II à cette époque , présidence de la Commission des spécialistes) . C’est ainsi qu’au cours des années 1980, pendant les trois ans de son mandat décanal, il assura conti- nûment et sans aucune décharge de service le cours d’agrégation .

À tout cela s’ajouta une nouvelle charge mais cette charge fut un des plus grands bonheurs de sa vie professionnelle : il vit le succès de ses efforts pour obtenir la création d’un Centre de recherches dix-huitiémistes, centre associé au CNRS . Il en assuma la direction pendant plus de vingt ans, jusqu’en 1992 . Il aimait cette équipe, de dimensions assez restreintes, mais très soudée par la cohérence du projet scientifique (les journaux révolutionnaires, la presse périodique, l’événement média- tique et l’histoire des représentations politiques), très soudée également par la qualité humaine et par l’amitié : activités très diverses, donc, d’autant que Pierre Rétat fut aussi pendant quelques années Président de la Société française d’étude du xviiie siècle (SFEDS) .

Nous ne pouvons citer ici ses très nombreux articles, ou les colloques qu’il organisa . Nous nous bornerons à rappeler :
la thèse mentionnée ci-dessus (Les Belles-Lettres, 1971) ;
une édition critique des Trois imposteurs, universités de la région Rhône-Alpes, 1973 ;

  • –  Les Paradoxes du romancier, Les « Égarements » de Crébillon, ouvrage collectif sous la direction de Pierre Rétat, PUG-Presses universitaires de Grenoble, 1975 ;

  • –  Presse et histoire au xviiie siècle, L’année 1734, sous la direction de Pierre Rétat et Jean Sgard, Éditions du CNRS, 1978 ;

  • –  L’Attentat de Damiens, Discours sur l’événement au xviiie siècle, sous la direction de Pierre Rétat, Éditions du CNRS, 1979 ;

  • –  Les Journaux de 1789, Bibliographie critique, Éditions du CNRS, 1988 ;

  • –  La Révolution du journal, 1788-1794, Éditions du CNRS, 1989 ;

  • –  Le Dernier Règne : chronique de la France de Louis XVI, Fayard, 1995 ;

  • –  Les Mots de la nation, sous la direction de Pierre Rétat et Sylviane Rémi, PUL-Presses universitaires de Lyon, 1996 ;

–  Au fil du temps, de très nombreux travaux sur les gazettes, notamment sur La Gazette d’Amsterdam.

Homme de toutes les fidélités, Pierre Rétat sut aussi rendre hommage à son initia- teur, à son premier maître en xviiie siècle : le chanoine Coulaud lui ayant légué ses archives personnelles, il publia Souvenirs et réflexions d’un prêtre, Hommage au chanoine Coulaud, en 2004 (Société historique de Compiègne) .

Il restait ainsi fidèle aux choix de sa jeunesse : la pensée comme l’écriture de Montesquieu l’avaient toujours attiré . C’est avec regret qu’il avait dû (pour une quel- conque raison administrative) renoncer à faire de Montesquieu le sujet de sa thèse . Les vingt dernières années de la vie de Pierre Rétat furent marquées par sa partici- pation active et constante à l’édition critique des Œuvres complètes de Montesquieu (dont les volumes, d’abord publiés par les soins de la Voltaire Foundation, parurent ensuite dans l’édition des Classiques Garnier, avec le concours de l’École normale supérieure de Lyon) . Jusqu’à ces derniers mois, Pierre Rétat co-dirigea avec Catherine Volpilhac (1975 L) cette grande entreprise . Le dernier volume paru (volume XVII) fut publié en janvier 2018 .

« Issu d’une famille paysanne du Bas-Berry », écrit-il, « aux confins de la Marche, où la terre ne suffisait pas à de trop nombreux enfants, mon père quitta son village dès qu’il eut obtenu le certificat d’études . Il devint maçon . Il aimait à dire qu’un bon ouvrier se reconnaît à ses outils . J’espère que les miens ont toujours été propres . Et, dans la carrière où le hasard m’a poussé, je me suis considéré comme un artisan, qui doit faire le meilleur travail qu’il lui est possible » (« Confession d’un dix-huitié- miste », op. cit ., p . 152) .

Laudyce, François et Claude (1986 L) RÉTAT