RIVIÈRE Françoise - 1970 L

RIVIÈRE (Françoise), née le 22 mars 1950 à Paris, décédée le 4 novembre 2017 à Paris. – Promotion de 1970 L.


L’exactitude . Françoise Rivière en restera pour nous l’exemple vivant jusqu’à ce qu’avec nous s’éteigne son souvenir .

Elle-même bonne plume, elle était surtout une correctrice redoutable . Rien ne passait le filtre de sa relecture . Un texte revu par elle pouvait partir directement à l’imprimerie, il était parfait, l’Internet prend une majuscule, et l’Organisa- tion aussi lorsque le mot désigne l’institution... Les annales de l’UNESCO, où elle passa l’essentiel de sa carrière, de 1981 à 2011, portent la marque de ce souci de perfection qu’elle y fit régner dans tous les documents .

Mais l’exactitude n’est pas une passion triste . Tout au contraire, l’exigence qu’elle porte accorde à chaque registre de la vie son exacte place, et donc sa pleine inten- sité . Elle rendait en tout cas Françoise incroyablement équanime dans l’exercice des responsabilités que, pour cette raison entre autres, on ne cessa d’accumuler toujours plus vastes sur sa tête . Chaque sujet recevait toute son attention, à sa place et à son tour, sans que jamais aucune humeur n’en vînt altérer l’exacte application au sujet du moment . De sorte que chaque affaire bénéficiait de la plénitude de son intelligence, qu’elle avait fort vive, et de toute l’étendue de son expérience, dont l’empan était large . Aussi réglait-elle vite et juste un nombre considérable de problèmes dont l’Or- ganisation se trouvait guérie par ses soins avec un calme d’urgentiste . L’hommage unanime d’une minute de silence observée par la Conférence générale à l’annonce de sa mort, les applaudissements par lesquels le Conseil exécutif avait quinze ans plut tôt salué sa nomination par Federico Mayor au grade exceptionnel d’ADG (Assistant Director General) dans un poste de Directrice de la programmation stratégique qui n’avait jamais été que de simple rang directorial, son choix par Koichiro Matsura pour diriger son cabinet avec le même rang, sont autant de preuves de l’estime hors de pair qu’elle s’était acquise par la qualité de son travail et le rayonnement de sa forte personnalité .

Cette intensité calme qui la caractérisait dans l’exercice de ses responsabilités valait à Françoise l’attachement personnel des petits, des sans-grade, comme de tous ceux qui d’une manière ou d’une autre avaient un problème . Sans jamais y paraître, elle était d’un dévouement inlassable auprès de chacun, et ne laissait jamais aucune plainte sans examen . Du gréviste de la faim, elle remplissait nocturnement de sucre et de vitamines les bouteilles d’eau, afin que sa santé ne souffrît pas, tandis qu’ès fonctions elle négociait avec lui une sortie de crise . Pas une femme importunée, pas un employé mal récompensé, pas un fonctionnaire se jugeant injustement traité qui ne trouvât auprès d’elle secours et conseil, voire souvent l’appui de sa puissante réputation . Comment s’y prenait-elle, travaillant dix jours par semaine, pour rester ainsi parfaitement disponible à quiconque se tournait vers elle, on ne le saura jamais, mais c’était ainsi . Elle abhorrait l’injustice comme une inexactitude non corrigée, l’horreur .

Cette tension paisible mais constante au service d’une institution à laquelle elle avait pour ainsi dire consacré sa personne, et dont elle portait haut les valeurs, avait une tessiture extrême, allant des détails les plus pragmatiques à la vision intellec- tuelle et historique la plus vaste du mandat de l’UNESCO . Elle avait initié un grand projet d’histoire de l’Organisation destiné à en inscrire la mission « dans l’esprit des hommes », mais elle pouvait aussi bien s’occuper avec acribie d’un détail d’inten- dance . Chez elle, elle bricolait tournevis en main !

Qui l’a connue tôt sait le secret de cette étonnante énergie sûre d’elle-même . Françoise était studieuse, sa qualité de normalienne agrégée, diplômée de Sciences Po, ayant enseigné à Yale le prouve plus qu’il n’est nécessaire . Mais tout autant elle adorait la vie, s’amuser, danser, voyager, rire . Toujours le travail professionnel pour elle fut maintenu comme en lévitation entre ces deux pôles tensionnels, l’étude – la vraie, celle des beaux et grands textes, des ouvrages profonds, des savoirs difficiles – et la joie de vivre, celle des fêtes, des étés, des amis et plus que tout de sa famille, dont elle faisait la fierté .

Profondément attachée à cette Corrèze de ses ancêtres, terre d’audacieux toujours sérieux, elle aima le monde entier, et laisse dans les quelque deux cents communautés nationales UNESCO un souvenir attachant . Elle y incarnait le meilleur visage de l’UNESCO, celui d’une intelligence fraternelle et attentive, toujours à la recherche de la bonne solution, de la bonne formule, qu’elle trouvait généralement en se jouant . Elle était aussi aimée que respectée, c’est dire !

Une longue et pénible maladie s’en est prise dès les premiers moments de sa retraite à ce qu’elle avait de plus précieux, l’agilité mentale et l’aisance verbale, comme si d’avoir quitté l’UNESCO lui était devenu trop dur . « Machado dort à Collioure, trois pas suffirent hors d’Espagne », chante Aragon . Bien qu’elle se fût mise aussi- tôt à animer le club des anciens fonctionnaires, trois pas hors de la place Fontenoy furent fatals à Françoise . Tous les espoirs de fantaisie voyageuse qu’elle s’était formés au long des trente années de dévouement passionné à l’UNESCO furent trompés . Prit alors les commandes une qualité que chacun admirait en elle sans en mesurer la force : la pudeur . Jamais elle n’avait parlé d’elle . Désormais, elle taisait tout d’elle, dérobant à tous la souffrance qui devenait son lot .

Elle qui avait aimé la lumière et les honneurs sans jamais y attacher la moindre vanité, juste par allégresse d’accompagner des succès intéressant les autres (comme par exemple la réérection de l’obélisque dérobée à l’Éthiopie par Mussolini, et restituée par une médiation dont elle avait été l’une des âmes), elle fit le choix de s’envelopper d’ombre pour aller vers les ténèbres .

Mais qui peut l’oublier ?

Philippe RATTE (1969 l)