ROSENBLUM Jacqueline - 1945 L

ROSENBLUM (Jacqueline), née le 1er janvier 1924 à Paris, décédée à Nice (Alpes-Maritimes) le 1er juin 2016. – Promotion de 1945 L.


Jacqueline Rosenblum, maître de conférences honoraire en grec ancien de l’uni- versité de Nice-Sophia-Antipolis, nous a quittés le 1er juin 2016 . Elle était née le 1er janvier 1924 à Paris, deuxième d’une fratrie de trois, d’un père lituanien, très tôt disparu, et d’une mère parisienne qu’elle aura soutenue, ainsi que sa sœur cadette, durant toute son existence .

Autres temps, autres modes de fonctionnement : Jacqueline Rosenblum fut éduquée par sa mère, secrétaire de direction, chez elle pendant ses onze premières années et entra directement en sixième pour entamer de brillantes études qui lui permirent, après le lycée Victor-Duruy, d’entrer à l’ENSJF de Sèvres à l’issue du concours de 1945 . Elle retenait volontiers la découverte avec émerveillement des humanités, notamment du latin, par un professeur qui permettait à ses élèves de rédiger, dès la deuxième année, des lettres de Cicéron à Cornélia . La vie parisienne lui plaisait beaucoup ; très intéressée par l’image – tant photographie que cinéma – elle allait régulièrement assister à des séances et gardait en mémoire le choc constitué par le Chanteur de jazz, premier film parlant de l’histoire . Baignant dans un milieu intel- lectuel, elle fréquenta très tôt les musées et les expositions, se souvenant avec nostalgie de l’ancien Palais de Chaillot et de son architecture à nulle autre pareille et de l’Expo- sition universelle de 1937 entre autres . La guerre obligea les Rosenblum, bien que non juifs, à se réfugier en zone libre, à partir de 1942, et c’est à Lyon qu’elle termina ses années de lycée et commença ses études supérieures, faisant alors la rencontre d’une exacte contemporaine qui deviendrait plus de vingt ans après sa collègue au moment de la création de l’université de Nice, Jacqueline Manessy, professeur de sanskrit et de grammaire comparée . Hormis l’évocation de figures marquantes comme celle de Vladimir Jankélévitch (1922 l) ou de Victor Magnien, ce dernier peu apprécié, elle parlait peu de ces années troubles, sinon pour convoquer avec horreur et incompré- hension le souvenir du jour où la police française lui avait demandé violemment le nom et le prénom de ses quatre grands-parents .

Les années d’École normale ont marqué le début de difficultés financières impor- tantes : sa mère avait perdu son emploi, sans retraite ni sécurité sociale, en 1947, à 55 ans ; sa jeune sœur, Arlette, était au lycée et se dirigeait vers les Beaux-Arts : ainsi le traitement de la normalienne allait-il permettre de soulager le quotidien . Peu de professeurs de ce temps, tant à l’École normale qu’à la Sorbonne, ont trouvé grâce à ses yeux . Elle préférait évoquer le jour où elle avait vu Jean d’Ormesson (1944 l) danser sur des tables à Ulm ou les affres du concours, en particulier la redoutable épreuve d’improvisé, en l’occurrence de grec, face à Fernand Chapouthier (1918 l) et Jacqueline de Romilly (1933 l) avec, selon ses mots, feu Chapouthier lui répétant : « et ce , mademoiselle, qu’en faites-vous ? » .

Dès l’obtention de son agrégation de lettres classiques, en 1948, Jacqueline Rosenblum optait pour une carrière outre-mer, à la fois pour continuer à subvenir aux besoins de sa famille, grâce au supplément appelé « quart colonial » et pour échapper à un univers jugé sclérosant . Son franc-parler s’était déjà manifesté lors du traditionnel – alors – échange avec l’inspecteur général pour l’attribution d’un poste ; le choix de Jacqueline Rosenblum avait été l’Algérie, Alger dont l’université était la deuxième de France et on lui avait proposé Oran, « comme si l’on demandait Paris et que l’on obtenait Angoulême » ! Ces années algériennes furent très heureuses et auraient pu la conduire jusqu’à la fin de sa carrière, s’il n’y avait eu la guerre et son cortège d’horreurs . Très vite elle était passée du collège au lycée, d’Oran à Alger, tout en ayant l’occasion de parcourir l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, pour faire passer le baccalauréat notamment, ou tout simplement pour partir en expédition au volant de sa voiture, avec ses amis, ce qu’elle aimait par-dessus tout . L’intelligentsia présente en Afrique du Nord s’est succédé chez elle ; de solides amitiés ont été nouées ainsi avec Jean Daniel ou encore André Mandouze (1937 l) qui l’évoque à de nombreuses reprises dans ses Mémoires et qu’elle accueillera chez elle, avec toute sa famille, pendant plusieurs semaines . L’été lui permettait de diversifier ses activités, elle ne cessait pas de donner des cours, par raison économique mais aussi par goût, et se rappelait avec plaisir avoir eu Yves Saint-Laurent parmi ses élèves .

Les événements des dernières années du conflit et l’indépendance ont précipité son départ : elle qui avait connu la Seconde Guerre mondiale, n’avait pas encore été confrontée au traumatisme de voir des morts et du sang couler dans les rigoles des rues . C’en était trop et, non sans humour, a commencé la tournée des univer- sités françaises dont, « telle un vendeur d’encyclopédies auquel on répondait que l’on n’avait besoin de rien », elle se voyait éconduite . La charge constante de sa mère (décédée à 98 ans en 1990) et de sa sœur (qui avait finalement choisi la traduction en free lance, d’abord de romans policiers anglais et américains, puis de romans d’antici- pation jusqu’à devenir la traductrice de Jack Vance), avait mis un frein à ses travaux de recherche . Son mémoire d’études supérieures avait porté sur la Dynastie des Forsytesous la direction de Philippe van Tieghem – elle était parfaitement bilingue et passera une partie de ses vacances d’été à son retour sur le continent européen pendant vingt ans au Pays de Galles –, mais l’éloignement de Paris avait ruiné tout espoir d’être retenue par son directeur de thèse en littérature byzantine, Paul Lemerle .

En fait, les temps d’incertitude n’avaient duré que quelques mois et Jacqueline Rosenblum devint en 1963 une des fondatrices de la future université de Nice (qui obtint son statut en 1965 et devint Nice-Sophia-Antipolis en 1989), alors que les locaux se trouvaient dans une grande villa située derrière le Centre universi- taire méditerranéen . Toute sa carrière s’y déroula désormais, pendant un quart de siècle, jusqu’à sa retraite, en septembre 1988 . Elle y fut successivement assistante, puis maître-assistante et enfin maître de conférences, sans avoir pu terminer une seconde thèse consacrée à la musique chez Platon . Byzance ne fut pas oubliée puisque Jacqueline Rosenblum traduisit, pour la collection des Belles Lettres, la Chronique de Jean Kinnamos, historien du xiie siècle et publia de nombreux articles, tant dans la revue de l’université de Nice que pour le Bulletin de l’Association Guillaume-Budé . Pendant des décennies elle fit vivre la section niçoise de cette Association, très importante par son dynamisme et ses activités .

Professeur redouté et redoutable, elle assit sa légende dans le domaine du thème grec, sans jamais transiger mais en formant ainsi des générations entières qui se souviendront d’elle avec reconnaissance et aussi une certaine terreur : un professeur d’Université en exercice, spécialiste de Pindare, mentionne encore la réception de son thème final de licence : « une robe de bal constellée de taches » . Sa générosité était remarquable, elle prépara ainsi pendant plus de soixante ans, bénévolement, des étudiants aux diverses agrégations littéraires, externes, puis internes à partir de la fin des années 80 . Nombreux et nombreuses furent alors les quadragénaires et quin- quagénaires qui lui doivent une poursuite de carrière profitable . Elle avait retrouvé à Nice un certain nombre de ses collègues algérois, notamment les deux spécialistes de patristique René Braun (1939 l) et Jean-Pierre Weiss ; elle n’était d’ailleurs pas moins crainte de ses collègues que des étudiants !

Ses dernières années, à partir de 2010, ont été assombries par une santé physique de plus en plus fragile jusqu’à l’impossibilité totale de sortir de son appartement en 2013, et la mort dans des douleurs terribles de sa jeune sœur, recueillie chez elle les derniers temps .

Jacqueline Rosenblum est une de ces figures que l’on ne peut oublier et tous ceux qui l’ont connue en tant qu’étudiants ou collègues sont ressortis de cette rencontre transformés et marqués du sceau de l’originalité .

Jean-Philippe LLORED
professeur de classes préparatoires au lycée Masséna (Nice),
un de ses anciens étudiants .