ROUFFIAT Françoise - 1975L

ROUFFIAT (Françoise), née le 15 juillet 1955 à Paris, décédée le 6 août 2022 à Paris. – Promotion de 1975 L.


Petite fille, elle a subi deux traumatismes dans le cadre de sa scolarité, d’abord sous la forme d’un « Premier prix d’évasion dans la lune », puis du fait de l’obstination d’un instituteur à la faire écrire de la main droite – c’était une gauchère contrariée . Il lui en était resté une écriture très appliquée, aux lettres soigneusement calligraphiées . Pendant son adolescence, elle fréquenta le collège d’Hulst, où elle rencontra Penny Dauge, avec qui elle demeura toujours en contact, et fut initiée au cinéma par... une professeure de latin (là son témoignage me manque) . Ensuite ce fut le lycée

Fénelon, où elle ne suivit guère les cours proposés, préférant les cafés du quartier, et fit la connaissance d’une autre amie, Anne Lagny, qui la marqua durablement, avec laquelle elle refaisait le monde et qui lui révéla Jaccottet . Malheureusement, en raison des aléas des concours, Anne n’intégra pas l’ENSJF et leur relation s’interrompit .

À Sèvres, elle rencontra l’auteure de ces lignes, qui deviendra sa grande amie pour la vie . Peu de souvenirs de cours, mais de nombreux échanges avec les élèves de différentes promotions, découvertes partagées de littérature, philosophie et surtout poésie, théâtre, cinéma, musique... Je dois reconnaître que Françoise m’a initiée dans bien des domaines . Un souvenir : alors que je cherchais un sujet de maîtrise en poésie contemporaine, Françoise et moi avions acheté le même livre, moi pour le diplôme et Françoise en pensant à moi . C’était La Nuit talismanique de René Char, et ce fut pour moi le début d’une longue carrière consacrée à cet auteur . Elle, d’une promo- tion avant la mienne, avait choisi de travailler sur La Beauté sur la terre de Ramuz . Je la voyais s’installer dans le jardin pour écrire, c’était difficile . L’été suivant, elle n’avait pas terminé son mémoire ; au lieu de commencer à préparer le programme d’agrégation, elle était partie avec ses parents pour un magnifique voyage au Japon, qui la marqua durablement . Plus tard, alors qu’elle était devenue maître de confé- rences à l’université de Grenoble, elle eut la chance de pouvoir passer six mois à Nagoya, ce qui lui fit le plus grand bien – et l’aida à sortir d’une dépression .

L’École, c’était aussi Villebon, centre sportif de l’ORTF, où nous avions le droit de nous rendre gratuitement une ou deux fois par semaine – nous jouions au tennis, ainsi qu’à Montrouge . Moi la fille de la montagne, qui lui avais fait découvrir le sport et la nature, je lui révélais le yoga, dialogue du corporel et du spirituel . À l’ENS il y avait aussi le groupe Tala (catholique) – la religion jouait alors un rôle impor- tant pour nous . Pour les nouvelles arrivantes, l’intégration à l’École commençait par un séjour dans un monastère – pour moi, en 1976, dans l’ancienne chartreuse de Chalais –, séjour auquel participait Françoise, qui l’année précédente avait fait de l’archéologie médiévale, ce qui m’aurait beaucoup intéressée . La communauté était animée par Guy Lafon (1952 l), archicube devenu prêtre et néanmoins structuraliste . Les scientifiques buvaient ses paroles, les littéraires étaient plus réservées (c’était essentiellement des filles) .

L’École nous a enfin offert un très beau cadeau sous la forme d’un séjour d’un an dans une grande université américaine, Princeton pour Françoise, Harvard pour moi . Princeton était particulièrement bien pour ce qui était des cours, les graduate students formaient un bon petit groupe et Françoise a gardé le meilleur souvenir de cette époque . Le dollar étant bas, nous avions pu à plusieurs reprises louer une voiture pour explorer la Nouvelle-Angleterre .

Et encore un autre beau cadeau de l’École, le stage d’agrégation chez Jean- Michel Place . Françoise en était revenue toute chargée de ces superbes reprints des revues surréalistes, Littérature, La Révolution surréaliste, Le Surréalisme au service de la Révolution... Arlette Albert-Birot nous avait bien aidées et l’auteur choisi par Françoise pour sa thèse, Jean Follain, avait été aussi pour beaucoup dans le « coup de pouce » pour aller à Princeton, ce poète ayant fait partie des amis d’Arlette . Le sujet touchait à la philosophie, puisqu’il portait sur le rapport de la poésie aux choses, et donna lieu à un essai paru en 1996 chez Champ Vallon sous le titre de Jean Follain, le même, autrement, formule retenue par Élodie Bouygues pour sa célébration de Follain en 2023 .

En 1990, Françoise soutint brillamment sa thèse en Sorbonne sous la direction de Marie-Claire Bancquart (1952 L), cela dans des conditions difficiles, Françoise ayant été nommée dans un collège à Alençon, où elle ne fut pas heureuse . Moi j’étais dans le Nord, c’était bien éloigné . Ensuite ce fut le lycée de Mitry-Mory, où elle eut la chance de rencontrer Jean-François Louette (1980 l) et Brigitte Combe, qui avec elle intégrèrent l’université de Grenoble, où elle fit toute sa carrière après son élection en 1995 .

Françoise était sûrement une très bonne « prof », mais pas forcément aux yeux d’inspecteurs un peu obtus . À Alençon, pour une dictée, elle avait choisi un texte de Jaccottet, ce qui n’avait pas été du goût des autorités ! Mais nous essayions d’intro- duire de vrais écrivains dans nos cours de collège, et c’est ainsi que nous lûmes Bosco, Maupassant, Jules Verne, Supervielle, Pérec...

Par ailleurs le hasard avait fait que nous avions rencontré Hélène Cixous, qui habitait le même immeuble que nous – nous avions gardé un pied-à-terre parisien – et dont nous suivîmes le séminaire . Françoise en conserva toute sa vie un souvenir ébloui et elle me prévenait chaque fois qu’Hélène passait à la radio . À moi aussi cette grande dame avait tout appris .

Françoise était parisienne, mais les membres de sa famille gardaient d’étroites relations avec leur Corrèze natale, où ils possédaient une distillerie qui fabriquait de la gentiane, la fameuse Salers . Enfant, Françoise passait toutes ses vacances à Montaignac-Saint-Hippolyte chez ses grands-parents, pendant que ses parents faisaient de grands voyages – elle les accompagnera à l’adolescence . Elle y pêchait des écrevisses et tout cela remonta des tréfonds de ses souvenirs à l’occasion d’un cours d’agrégation sur Les Mémoires d’une jeune fille rangée, où Simone de Beauvoir raconte ses vacances en Limousin . Françoise a d’ailleurs choisi d’être enterrée aux côtés de ses parents, dans le cimetière du village familial .

Quand nous faisions nos thèses respectives, nous avions le bonheur de passer l’été à Port-Grimaud, où ses parents possédaient une maison . Nous travaillions, chacune de son côté, en parfait accord pour ce qui est des horaires, du déjeuner comme de la baignade, ou des courses . Le soir, tout en nageant dans la mer, nous discutions de Derrida (1952 l), de Michel Serres (1952 l), des problèmes de tran- sition dans nos thèses, de tel poème... Auteure de nombreux articles sur Genet, Frénaud, Follain, Garnier, Darras, Depardon, Jaccottet, Bataille, Barthes, Dupin, etc ., elle organisa à Valence en 2004 un colloque international sur Jaccottet avec Pierre Jourde, Dominique Massonnaud et Catherine Langle . Son intervention au titre éloquent traitait « De la poésie comme prière » . En 2005, elle poursuivit avec un colloque portant de façon très opposée sur « Sexe et texte » avec Jean-François Louette, qui selon les mots de sa collègue Brigitte Combe « eut un certain retentisse- ment » . Malheureusement, elle manqua le coche de l’habilitation, s’interrogeant trop longtemps sur le sujet – le carnet ? – ainsi que sur le directeur de recherche . Bref le temps passa, elle tomba malade, atteinte d’un cancer de l’œsophage, et prit de ce fait assez brutalement sa retraite, dont évidemment elle ne put profiter .

Elle laissera le souvenir d’une grande intellectuelle, passionnée de poésie mais aussi de philosophie, psychanalyse, photographie, cinéma, musique..., au jugement toujours sûr et d’une extrême modestie . D’une douce amie aussi .

Christine DUPOUY (1976 L)