RULLIER (épouse ALBENQUE) Florence - 1974 S

RULLIER épouse ALBENQUE (Florence), née le 31 mai 1955 à Montmorency (Seine-et-Oise), décédée le 20 mars 2016 à Antony (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1974 S.


Florence naît et grandit à Montmorency entourée de son frère Éric, son aîné d’un an et de sa sœur cadette Sophie, 9 ans plus jeune . Sa mère, Sabine, agrégée de lettres classiques devient professeur dans le secondaire après son divorce . Son père, Guy, fait carrière dans la banque et la direction d’entreprises .

Enfant, Florence est d’un naturel timide et émotif . Ses parents s’inquiètent de son retard dans l’apprentissage du langage, mais à 3 ans, quand elle se décide enfin à parler, elle s’exprime parfaitement . Florence devient ensuite une excellente élève, sérieuse et appliquée . En parallèle de sa scolarité elle pratique le dessin et le violon . Elle a néanmoins alors un point faible : le sport, sa bête noire .

Elle effectue toute sa scolarité au lycée Jean-Jacques-Rousseau de Montmorency jusqu’au baccalauréat . Malgré la réticence de certains de ses professeurs qui pensent qu’une femme ne peut pas prétendre à une carrière scientifique, elle réussit à inté- grer les classes préparatoires au lycée Saint-Louis, où son frère était également élève . En Sup, elle fait partie des huit filles d’une classe de 44 élèves . Elle intègre l’École normale supérieure en 1974 .

Elle suit un cursus en physique-chimie, hésite un temps à se spécialiser en chimie avant de choisir finalement la physique . De son propre aveu, bien des années plus tard, il fallait apprendre bien trop de choses par cœur en chimie ! Elle obtient un DEA en physique des matériaux en 1977 et l’agrégation de physique en 1978, à une époque où le nombre de places étant à peu près égal au nombre de normaliens, la compétition était rude .

À la fin de sa scolarité, elle décide de commencer une thèse sur les défauts cris- tallins dans les supraconducteurs au Laboratoire des solides irradiés, au CEA à Fontenay-aux-Roses sous la direction d’Yves Quéré . Elle obtient sa thèse de 3e cycle en 1980 et sa thèse d’état en 1984 à l’université d’Orsay, intitulée « Défauts d’irradia- tion dans les composés A15 V3Si et Nb3Ge : influence sur les propriétés supraconductrices et les propriétés de transport » . Un des résultats majeurs de sa thèse est de confirmer expérimentalement des propositions théoriques développées alors à Orsay par les chercheurs Labbé et Friedel : par un processus à très basse température (20K), elle montre de façon décisive que les propriétés de la supraconduction dans les composés dont la structure automatique est dite « A-15 », sont liées à la longueur de certaines chaînes d’atomes dans ces composés .

Auprès du réacteur de Munich-Garching, en travaillant à la température de l’hé- lium liquide et en irradiant un supraconducteur alternativement dans l’état normal (grâce à un champ magnétique) et dans l’état supraconducteur, elle est également la première à démontrer que la conductibilité thermique, très différente dans les deux cas, ne joue aucun rôle dans la création des défauts malgré le fort dégagement de chaleur locale dû au passage des fragments de fission .

Ces résultats lui permettent d’obtenir dès la fin de sa thèse un poste d’ingénieur- chercheur au CEA dans le même laboratoire .

Dans le même temps, Florence a une vie de famille riche et bien remplie . Elle épouse Guy Albenque au début de sa thèse ; ils ont quatre enfants . Leurs deux premières filles Élise et Marie naissent en 1980 et 1983 au cours de sa thèse et les deux cadets Pauline et Étienne en 1986 et 1988 après son recrutement au CEA . Toute la famille accompagne le déménagement du laboratoire de Fontenay-aux- Roses à Palaiseau en 1986 ! Florence maintiendra une activité professionnelle à plein temps tout au long de sa carrière tout en faisant preuve d’une grande attention pour l’éducation et le développement de ses enfants . Ces derniers se souviennent de termes énigmatiques : « aller remplir mon cryostat ce week-end », « relancer ma manip » ou « préparer des transparents » . Ils se souviennent aussi de ce bureau étrange plein de machines où ils se rendaient tous les mercredis pour profiter des activités extrascolaires proposées sur le campus de Polytechnique après un déjeu- ner à la cantine . Sa passion pour la recherche ne l’empêche pas de s’adonner à son autre passion : la cuisine qu’elle érige en art familial ! La musique, la lecture et les arts manuels ont également toute leur place dans sa vie et celle de sa famille . Florence finira aussi par vaincre sa phobie du sport : déjà bonne skieuse à l’adoles- cence, elle développera plusieurs pratiques sportives : natation, randonnée, vélo, course à pied jusqu’à courir un marathon en 2013 .

Exigeante sur la scolarité de ses enfants, Florence ne cessera de leur inculquer que les maths sont la voie royale et qu’un cursus scientifique ouvre toutes les portes . Ses quatre enfants passeront par la case classes préparatoires et grande école mais pour choisir chacun une voie bien particulière . Sans être militante, elle défendra tout au long de sa carrière l’accès des études scientifiques aux filles et participera entre autres au groupe Femme et Physique de la Société française de Physique et à des actions de sensibilisation dans les collèges et lycées .

À partir de 1989, seulement un an après la naissance de son dernier enfant, elle commence à enseigner . De 1989 à 1995, elle enseignera dans plusieurs DEA : « Champs, Particules, Matière » à l’université d’Orsay, « Métallurgie spéciale et matériaux », à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires à Saclay, puis en DEA de chimie physique à l’ENS Cachan et à l’École polytechnique .

En 1995, Yves Quéré, alors directeur de l’enseignement à l’École polytech- nique, ayant constaté les grandes qualités pédagogiques de Florence lors de leurs enseignements communs en DEA, l’encourage à candidater à un poste de profes- seure chargée de cours à l’École polytechnique . Recrutée du premier coup, elle devient en septembre 1995, la troisième femme à enseigner au département . Les vacances d’été précédant cette première rentrée sont particulièrement studieuses, elle passe plusieurs heures par jour à préparer ses cours à l’ombre d’un parasol !

Pendant les treize années suivantes, au cours desquelles elle enseigne à l’École polytechnique, elle garde les mêmes exigences et prépare aussi assidûment chacun de ses enseignements . De nature réservée, l’enseignement la pousse à dépasser sa timidité et à s’affirmer comme une enseignante très appréciée de ses élèves et de ses collègues . Elle fait preuve d’un sérieux irréprochable et d’une très grande honnêteté, osant dire à ses collègues enseignants quand elle n’avait pas compris un point !

En parallèle avec son activité de recherche et d’enseignement, elle accepte une charge d’adjointe à la direction du Laboratoire des solides irradiés (LSI), auprès de Charles de Novion (dont elle assure ensuite l’intérim en 1992), puis aux côtés d’Henri Alloul de 1994 à 1999 . Le laboratoire dépend alors de trois tutelles : École polytechnique, CNRS et CEA et est particulièrement complexe à gérer . Florence y consacre beaucoup de temps et d’énergie, souvent au détriment de son activité de recherche .

Pendant toute cette période, elle n’hésite pas à s’orienter vers le domaine de recherche qui explose à l’époque en physique des solides, l’étude des nouveaux maté- riaux supraconducteurs (les cuprates) dont la température de supraconductivité Tc est élevée et dépasse 77K, la température de liquéfaction de l’azote . Elle entrevoit immédiatement l’intérêt d’étudier l’incidence des défauts d’irradiation sur Tc . Elle effectue très soigneusement avec ses premiers étudiants les expériences qui confir- ment son intuition : les défauts produits par irradiation électronique dans les plans CuO2 des cuprates ont une action sur la supraconductivité analogue à celle produite par les substitutions chimiques sur le site Cu . Elle initie en parallèle les expériences montrant que les défauts colonnaires induits par irradiation par des ions lourds sont des centres de piégeage des vortex qui apparaissent au sein du supraconducteur en présence d’un fort champ magnétique .

Le bourgeonnement de ces succès scientifiques conduit Florence à renoncer à prendre la direction du LSI en 1999 pour s’investir prioritairement dans ses activités de recherche et d’enseignement . Elle décide de s’ouvrir de nouveaux horizons en rejoignant le Service de physique de l’état condensé (SPEC) du CEA . Elle peut alors se consacrer à plein temps à son activité de chercheur en collaboration avec Dorothée Colson et Claude Fermon .

Libérée des tâches administratives, elle va pouvoir mieux bénéficier de l’entou- rage vitalisant du plateau de Saclay et collaborer activement au sein de ce complexe scientifique, en particulier avec le groupe de recherches d’Henri Alloul du Laboratoire de physique des solides d’Orsay .

Pendant cette période son activité scientifique sur les cuprates se développe à grands pas car elle dispose d’un outil de choix . Il lui est possible de mesurer sur un échantillon monocristallin unique l’évolution des propriétés de transport électro- nique lorsqu’on produit progressivement par irradiation électronique un désordre contrôlé, qui peut par ailleurs être recuit par traitement thermique . Elle a ainsi étudié très finement l’effet du désordre simultanément sur les propriétés de l’état métallique au-dessus de Tc et sur la supraconductivité elle-même .

Cette activité a été à l’origine d’au moins cinq publications qui ont acquis une forte reconnaissance internationale . Elles traitent de différents aspects de la physique des cuprates : l’effet du désordre sur Tc, la localisation électronique, la transition métal isolant, le pseudogap, les fluctuations supraconductrices au-dessus de Tc, le diagramme de phase en fonction du dopage et du désordre .

Stimulée par ces succès, Florence n’a pas hésité à encourager Dorothée Colson à aborder la synthèse de monocristaux de la nouvelle famille de composés supra- conducteurs à haute Tc à base de fer découverts en 2008 . Leur collaboration a été très productive et a permis à Florence de déterminer les diagrammes de phase en fonction des substitutions du fer par du cobalt, du nickel ou du ruthénium . Dans un article qui a obtenu une reconnaissance internationale unanime, elle a mis en évidence l’incidence du caractère multi-orbital des électrons du fer sur les propriétés de transport dans ces composés . Elle a été à l’origine d’une collaboration efficace, financée par l’Agence nationale de la recherche, de différents laboratoires de la région parisienne sur ces composés à base de fer .

La découverte de sa maladie au début 2014 l’a conduite à prendre un arrêt maladie de quelques mois, mais elle décide rapidement, après une opération chirurgicale, de reprendre son activité en mi-temps thérapeutique . Elle poursuit et initie même de nouvelles expériences et finalise un article de revue sur le transport électronique dans les composés au fer dont elle est le seul auteur .

Dans son activité de recherche, le travail expérimental a occupé une place de choix : elle maîtrisait parfaitement toutes les étapes et les techniques d’irradiation et pouvait passer des heures à préparer des échantillons avec une grande préci- sion . Toujours avec le sourire, elle affrontait les difficultés de laboratoire, réussissant souvent à les contourner, et procédait à une analyse rigoureuse des résultats . Elle pouvait ainsi, avec une grande humilité, affirmer ses convictions sur l’incidence de ses résultats .

Florence a discrètement montré à de nombreux chercheurs que féminité et recherche expérimentale en physique n’étaient pas antinomiques . Elle a servi d’exemple à de nombreuses femmes qui l’ont vue à l’œuvre .

Cette association de rigueur, de volonté et de charme, a valu à Florence un succès indéniable matérialisé par des participations en tant que conférencière invitée à de nombreuses conférences et Écoles d’été internationales . Elle a pu se défaire d’un petit complexe de l’anglais troisième langue et se délecter de la découverte du monde . Ses participations à des conférences internationales lui ont ainsi permis de sillonner aux USA la côte ouest californienne ainsi que la côte est de Boston à Key West, sans négliger les grands espaces de l’Arizona . Elle a eu également l’opportunité de se rendre au Mexique et au Brésil, à Rio bien sûr mais aussi dans le nord à Natal et à Salvador de Bahia . Bien d’autres projets en particulier vers le Japon et l’Asie étaient en attente... .

Emportée prématurément par la maladie à 60 ans, elle a jusqu’au dernier jour résisté à cette agression sans perdre sa dignité . Elle a assumé ses multiples vies et sa passion pour la recherche avec discrétion, sans se compromettre dans des actions de promotion si prisées dans le monde scientifique actuel . Elle manque aujourd’hui à tous ceux qui l’ont connue .

Élise, Marie (2002 s), Pauline, Étienne, ses enfants, Henri, son compagnon,

Aidés par des témoignages de Claudine HERMANN (1965 S) et de Yves Quéré