SENTIS Philippe - 1945 s

SENTIS (Philippe), né le 8 novembre 1923 à Marseille (Bouches-du-Rhône), décédé le 5 novembre 2020 à Clamart (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1945 s.


Lorsque Philippe Sentis entra à l’École en 1945, il y trouva le père André Brien qui venait d’y prendre ses activités d’au- mônier . Connaissant les grandes aptitudes de Philippe, non seulement pour les sciences mais aussi pour la théologie, et ayant pu apprécier moi-même en 1954 le rayonnement des exposés d’André Brien, j’imagine fort bien leur fructueuse entente . Un groupe de ses anciens élèves s’est constitué vers 1964, époque à laquelle il quitta l’aumônerie de l’École . Ces « archicubes talas » organisaient des rencontres annuelles de plusieurs jours dans des lieux choisis . Dès que cela lui fut

possible, Philippe s’y rendit y avec sa famille . Ces rencontres pouvaient bénéficier de la participation très appréciée de plusieurs prêtres archicubes tels que Michel Join- Lambert (1938 l), Claude Wiéner (1941 l), Henri Faure (1944 l), Claude Dagens (1959 l) (qui deviendra évêque d’Angoulême) . Un des principaux apports de Philippe aux réunions du groupe consistait d’ailleurs dans de multiples propositions de noms de visiteurs capables d’offrir de remarquables exposés . Les rencontres se ramenèrent par la suite à une journée en région parisienne, chez Paul (1939 s) et Marie-Antoinette Germain (qui mettaient à notre disposition un domaine de l’Académie des sciences), puis chez Raymond (1940 s) et Marie-Rose Comolet à Vauhallan, et chez Marc (1938 s) et Marie Zamansky (1940 S) dans leur appartement parisien . Philippe et son épouse Lise furent des membres assidus et actifs de ces réunions, qui s’étoffaient de la présence de nouveaux archicubes . Parmi les membres de ce groupe qui étaient aussi actifs au sein de l’ancien « Centre catholique des intellectuels français », ils ont noué de solides amitiés avec de grandes personnalités comme Henri Bédarida, Jacques Polonovski et Maxime Lamotte (tous deux 1939 s), ou Jacques Arsac (1948 s) . Après le décès en 1998 de celui qui était désormais monseigneur Brien, nous avons toujours conservé, lors de nos réunions, une conférence présentée par un invité . Philippe était très attaché aux discussions suscitées par le conférencier, qui précédaient la messe souvent célébrée par Claude Wiéner . Philippe et Lise nous ont encore fait bénéficier de leur présence en 2018 .

Pierre MEIN (1954 s)

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À la sortie de l’École en 1949, mon père suivit un cursus universitaire classique : agrégation de mathématiques, assistant à la faculté des Sciences de Rennes, puis en 1954 détachement pour aller enseigner à Rabat (Institut scientifique chérifien) . Il revint à Bordeaux en 1956 comme chef de travaux à la faculté des Sciences et passa son doctorat d’État en probabilités-statistiques en 1957 sous la direction de Georges Darmois (1906 s) (1888-1960), avec une seconde thèse dans le domaine de la théorie des graphes qu’il affectionnait beaucoup (j’ai beaucoup entendu parler du problème de la « coloration de cartes en quatre couleurs » dans ma jeunesse) .

Mais en juin 1959, un changement s’opère : à la suite d’une querelle avec des collè- gues, mon père décide de démissionner de son poste à la faculté et obtient une place de chargé de mission à la Direction de la prévision au ministère des Finances . Brusquement, mes parents quittent avec leurs cinq enfants le petit pavillon qu’ils venaient de faire construire dans la banlieue de Bordeaux et emménagent dans un appartement HLM à Chatenay-Malabry, où ils resteront trois ans .

De 1959 à 1973, mon père va donc travailler à la Direction de la prévision sur l’introduction des techniques statistiques en économie . Il publie des articles remar- qués sur les « tableaux d’échanges interindustriels », sur la problématique de l’aide à la décision en avenir incertain, sur celle des capacités maximales de production, etc . Dans le sillage d’Edmond Malinvaud – qui était alors professeur à l’EHESS, puis directeur de l’ENSAE et avec qui il avait de nombreux échanges –, son apport principal a été la prise en compte d’un environnement incertain dans les modèles économiques, ce qui était une nouveauté dans les années 1960 .

Ses travaux ont été appréciés par François Perroux, professeur d’Économie appli- quée au Collège de France, qui l’a fait nommer en 1973 sous-directeur de laboratoire au Collège . Il retrouvait ainsi le milieu universitaire et ses travaux s’orientèrent un peu plus vers l’économétrie, tout en lui laissant une plus grande liberté dans ses sujets de recherche et en particulier en philosophie des sciences . Il avait d’ail- leurs passé une thèse en philosophie sur les travaux de Pierre Mendel concernant l’hérédité : La Naissance de la génétique au début du xxe siècle (publiée en 1970) . Il travailla ensuite à une thèse d’État en philosophie sous la direction de Jeanne Parain-Vial (soutenue en 1980) sur la question des ruptures épistémologiques .

Concernant la théorie économique, il décela des ambiguïtés dans le vocabulaire utilisé généralement en comptabilité du patrimoine (d’où son ouvrage Fortune ou richesse. La comptabilité du patrimoine publié en 1983 et d’autres articles comme sa contribution au premier colloque de Comptabilité nationale) .

Par ailleurs, il suivit une formation en théologie et soutint en 1983 un mémoire de maîtrise intitulé : Structure et théologie de l’épître de Jacques, le problème de la foi et des œuvres (ce qui l’a conduit à écrire un opuscule de vulgarisation sur Jacques le Mineur) .

Il convient aussi de mentionner son engagement local à Meudon comme fonda- teur en 1967 de l’Académie meudonnaise . Cette association qu’il a présidée pendant cinquante ans a organisé au moins trois cent conférences et quelques colloques pres- tigieux : un avec Alfred Sauvy sur la démographie, un autre avec son ami Jacques Arsac (décédé en 2014) qui donnera lieu à la publication d’un ouvrage intitulé Science et Sens ; enfin une soirée mémorable avec l’archiduc Otto de Habsbourg .

Arrivé à la retraite en 1988, il prend d’autres responsabilités dans de nombreuses associations : il devient secrétaire de l’Association des philosophes chrétiens et assure la responsabilité de la publication de la petite revue de cette association, Réflexions chrétiennes, pour une vingtaine d’années . Il participe à la fondation en 1998 de l’As- sociation des scientifiques chrétiens – avec Michel Delsol (biologiste décédé en 2012) et son premier président Jacques Arsac – dont le but était de réfléchir aux rapports entre sciences et foi . Il donne aussi de son temps comme secrétaire de l’Association du vœu national, comme membre de l’Académie catholique de France ou comme vice-président du Comité consultatif pour la protection des personnes à l’hôpital Ambroise Paré de Boulogne . Il est très actif au sein de la Conférence Saint-Vincent de Paul de Meudon dont il devient président (je me souviens des repas de Noël pour les personnes âgées ou isolées qu’il a organisés dans le cadre de cette association pendant quinze ans) . Son engagement associatif fut reconnu par sa promotion dans l’Ordre national du mérite comme chevalier puis officier .

À 80 ans, il a écrit un article qui est un peu son testament sur la question qui l’a accompagné pendant un demi-siècle, celle du hasard : ce hasard qui peut être capricieux, aléatoire ou incertain (cf . La Notion de hasard, ses différentes définitions et leurs utilisations, Laval-théologique-et-philosophique, 2005) . S’il n’est pas choquant d’affirmer que le hasard est partout présent, écrit-il, un honnête homme ne peut admettre que le hasard explique tout ; et il souligne aussi que pour un chrétien, la Providence ne doit pas être confondue avec le hasard .

Quatre ans après l’anniversaire de ses soixante-dix ans de mariage, ses obsèques furent célébrées le 9 novembre 2020 devant ma mère, leurs sept enfants et leurs vingt-quatre petits-enfants, en présence du maire de Meudon et des nombreuses personnalités venues saluer sa mémoire .

Rémi SENTIS (1969 s)