TRIOMPHE Robert - 1936 l

TRIOMPHE (Robert), né le 3 novembre 1917 à Roanne (Loire), décédé le 8 mars 2019 à Strasbourg (Bas-Rhin). – Promotion de 1936 l.


Robert Triomphe a, tout au long de sa vie, concilié une activité intellectuelle intense et un besoin impérieux de travailler la terre . Cette double dimension s’explique en partie par ses origines . Descendant d’ancêtres paysans installés dans le Forez depuis plusieurs siècles, ses parents, instituteurs, inculquèrent à leurs quatre enfants une éduca- tion humaniste qui les amena tous à faire de solides études . Après une scolarité à Roanne, Robert Triomphe prépare le concours de l’École normale supérieure au lycée du Parc, à Lyon, et entre à la rue d’Ulm l’année de ses 19 ans .

Féru de lettres classiques et d’archéologie, passionné par l’astronomie, il réussit l’agrégation de Lettres et est nommé professeur de français-latin-grec au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale . Mobilisé en qualité d’officier, il est fait prisonnier lors de la débâcle en juin 1940 et interné au camp de Châteaubriant . Il est libéré pour raisons de santé au bout de quelques mois, mais cette incarcération n’en marque pas moins un grand tournant dans sa vie : c’est là qu’un médecin parlant le russe l’initie à cette langue qui deviendra rapidement sa grande passion .

De retour dans sa région natale, il reprend son poste d’enseignant, tout en renouant le lien avec la propriété familiale et rurale de Balbigny, où il fait ses débuts d’apiculteur . À la Libération, il entre à l’École des Langues Orientales, et en sort diplômé de russe . Il est ensuite nommé professeur au lycée du Parc, à Lyon, où on lui demande d’assurer, en plus de son enseignement de français, des cours de russe .

Le choix de son sujet de thèse illustre bien le changement de ses centres d’intérêt . Il porte sur le personnage ambigu de Joseph de Maistre (Joseph de Maistre : étude sur la vie et la doctrine d’un matérialiste mystique, publiée en 1968) tandis que la thèse complémentaire est consacrée à la linguistique .

Après sa soutenance en 1955, Robert Triomphe obtient le poste de professeur de russe à l’université de Strasbourg où il exerce jusqu’à sa retraite . Il y assure un enseignement de philologie slave, mais s’efforce parallèlement d’élargir le domaine de l’Institut d’études slaves qu’il dirige, en y intégrant l’étude de langues non-slaves en usage dans l’URSS . Il s’intéresse particulièrement aux langues caucasiennes et a l’occasion de se rendre à plusieurs reprises dans les républiques, alors soviétiques, du Caucase, où il découvre des sociétés, des modes de vie et des systèmes linguis- tiques complexes et encore peu étudiés . Il leur consacre plusieurs articles . Il noue des amitiés qui dureront jusqu’à sa mort avec des savants géorgiens et arméniens et invite des professeurs de Tbilissi et de Erevan à venir enseigner à l’université de Strasbourg . Fasciné par la personnalité controversée du linguiste géorgien Nicolas Marr, il mène des recherches approfondies sur ses travaux en ethno-linguistique du Caucase .

Son attachement à l’Alsace, où il réside jusqu’à son décès, s’explique notamment par des raisons familiales . Peu de temps après son arrivée, il rencontre Micheline Rocher, qu’il épouse en 1957 et avec qui il a sept enfants . La famille s’installe en 1970 dans une vaste maison, non loin du Jardin botanique de l’université, où il installe ses ruches .

Il décide de prendre sa retraite dès 1977 et fait l’acquisition d’une maison à Soyans, petit village dans la Drôme, où il passera désormais près de la moitié de l’année . Il y retrouve ses activités de jardinier et d’apiculteur, tout en poursuivant sa réflexion qui, étayée par ses recherches, l’amène à publier plusieurs ouvrages . Ceux-ci témoignent de sa grande érudition qui va de la mythologie grecque à la Russie et lui permet de discerner les influences et les liens qui se sont formés au cours des siècles entre ces deux mondes . Citons quelques titres :

  • –  Le Lion, la vierge et le miel (1989)

  • –  Prométhée et Dionysos, ou la Grèce à la lueur des torches (1995)

  • –  Images de la communion cosmique : sur la terre comme au ciel (1997)

  • –  Le signe de la pomme : amour mystique et politique de Sapphô à sainte Thérèse, de Charlemagne à Jacques Chirac : la pomme dans tous ses états (1999)

–  Promenade aux frontières de la parole, l’outil et le jouet, l’écran ou le miroir (2013) ; cet ouvrage, peut-on dire, rassemble et reprend les thèmes qu’il a abordés toute sa vie .

Il aime voyager, non pour voir des paysages ou des monuments, mais surtout, à l’instar du personnage des Récits du pèlerin russe, pour « apprendre comment les gens vivent » . Ayant eu l’occasion de visiter l’Europe de l’Est au cours de sa carrière, marquée notamment par une année de résidence à Moscou en qualité de conseiller culturel (1963) et un semestre d’enseignement à l’université de Yale, il profite de sa retraite pour découvrir d’autres pays (Afrique, Amérique latine, Chine), s’efforçant à chaque fois d’apprendre les rudiments des langues des pays traversés . Sa curiosité intellectuelle se tourne aussi vers l’astronomie qu’il avait eu, avant la guerre, le projet d’étudier, et les interrogations philosophiques liées aux avancées de la science . Cette même curiosité l’amène à s’intéresser à l’informatique et à se servir de ce nouvel outil de travail pour ses recherches, alors qu’il a plus de 80 ans . Menant toujours de front créativité intellectuelle et activité manuelle, il garde jusqu’à ses derniers jours une curiosité, une vivacité d’esprit et un humour que ses proches et ses collègues évoqueront longtemps .

Micheline TRIOMPHE, son épouse