VANHOUTTE Philippe - 1969 s

VANHOUTTE (Philippe), né le 20 juillet 1949 à Lille (Nord), décédé le 23 février 2016 à Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire). – Promotion de 1969 s.


Le décès de Philippe Vanhoutte, survenu après quelques semaines d’une maladie foudroyante, a laissé tous ses amis attristés et décontenancés . Cette disparition était à l’image de sa vie discrète, rapide, claire-obscure .

Philippe était issu d’une famille modeste de Lille où son père, Modeste Vanhoutte, était employé de préfecture . Il fit ses études au lycée Faidherbe depuis les petites classes (il y avait encore une section primaire dans les années 1950) jusqu’à la taupe où, curiosité, il eut Bernard Arnault

comme condisciple . Il y montra constamment des qualités étincelantes en sciences, s’intéressant peu aux autres matières . Ce parcours l’amena ainsi à être admis dans les meilleurs au concours de mathématiques d’Ulm en 1969 avec des notes excel- lentes en maths, et la meilleure note, de loin, en physique . Auprès de ses camarades de promotion venant en général du Sud, qui commence à Saint-Quentin comme chacun sait, il acquit tout de suite une grande popularité par sa bonne humeur, sa bonhomie toute nordique (on dirait chti aujourd’hui), sa simplicité et son ouverture aux autres .

La Direction de l’École, alertée par sa réussite au concours, l’attira vers la filière physique en lui faisant tout de suite visiter les labos de la rue Lhomond, qui l’ont émerveillé, confiera-t-il plus tard . Il aurait préféré faire des maths, toutefois il se laissa convaincre en passant sa maîtrise puis l’agrégation en physique, on pourrait dire quasiment en roue libre avec ses exceptionnelles facilités . En effet, son truc, c’était surtout les jeux, non pas les jeux d’argent qu’il fuyait mais les belote, barbu, dames, dés et bien sûr le bridge qui sera la passion de sa vie, nous y reviendrons . Il pouvait ainsi jouer aux dés « chez le bougnat » (NB : rue des Feuillantines) en fin d’après-midi, partir faire un tournoi de bridge à 20 h dans les arrondissements de l’Ouest parisien, revenir dîner vers minuit au Beach (NB : rue de l’Abbé de l’Épée) et finir jusqu’au petit matin par un barbu interminable dans une thurne de l’École . Dans le jeu, il ne cherchait pas une sorte de consécration individuelle (c’était pour- tant le meilleur en tout type de jeu), il le prenait plutôt comme un media pour les contacts avec les autres . En bridge, il a ainsi créé un club de l’ENS, qui a pu arriver en finale des Championnats de France universitaires en battant au passage, plaisir suprême, plusieurs des équipes de Polytechnique (l’X en avait cinq contre une seulement à l’ENS) . Nous pouvions apprécier, en plus de ses talents d’organisateur, ses qualités de pédagogue où la clarté de son analyse et sa rapidité de jugement nous émerveillaient . Plusieurs de ses camarades de l’École qui ont ainsi connu quelques succès ultérieurs dans le bridge amateur (Michel Volcker, Jean-Pierre Ehrmann, Yves Langevin, moi-même,...) reconnaissent qu’ils le doivent avant tout à Philippe .

À sa sortie de l’École, il opta pour les classes préparatoires, non pas par défaut mais pour réaliser son rêve d’enseigner en prépa à Lille et accessoirement retrouver ses amis et son club de bridge . Il fut d’abord nommé en mathématiques spéciales au lycée Henri-Wallon de Valenciennes en 1973, un doux purgatoire avant, pensait- il, d’accéder à la métropole . C’était sans compter avec l’unique inspection, faite le 1er février 1974, où l’inspecteur, après avoir apprécié l’exposé brillant des notions abordées ce jour-là, conclut par : « Monsieur Vanhoutte peut sûrement, et par consé- quent doit, apprendre à enseigner » . Un jugement un peu sévère pour un jeune qui n’avait qu’à peine quatre mois d’expérience d’enseignement, et qui avait peut-être voulu, naïvement, refaire une sorte d’oral d’agrégation le jour de sa première inspec- tion . Philippe doit sans doute à ce rapport et à la note moyenne qui l’accompagnait d’être envoyé, après un an de service militaire, en classe de mathématiques supé- rieures au lycée Jean-Bart à Dunkerque pendant dix longues années, de 1975 à 1985 . Certes Dunkerque est bien dans le Nord (le département) mais un peu loin quand on choisit d’habiter Lille, et tous ses amis se souviennent à quel point il a souffert de faire ces « deux fois 80 kms » en train quasiment tous les jours ouvrés pendant 10 ans . Nous avons pu consulter les rapports d’inspection de ces années-là, ils sont tous très favorables avec souvent la note de 40 sur 40 . Quand un poste pour une math sup se présenta au lycée technique Baggio de Lille, Philippe le prit sans hésiter et y resta 24 ans jusqu’à sa retraite . Un tel cador finissant sa carrière comme prof de math sup dans un lycée technique, cela a de quoi surprendre, et ce n’est pas une observation élitiste, ce sont ses collègues de Baggio eux-mêmes que nous avons interrogés et qui le disent : « Nous n’avons pas compris pourquoi Philippe est resté à Baggio, sans doute parce qu’il s’entendait bien avec le proviseur », « Il a refusé plusieurs fois de prendre une math spé », « Il aurait pu aller à Faidherbe mais il n’a pas présenté sa candida- ture » . En revanche ces mêmes collègues sont unanimes sur la qualité exceptionnelle de son enseignement et l’aura qu’il avait auprès des élèves . Alors qu’il aurait pu rester en poste jusqu’à 65 ans, il a choisi de faire valoir ses droits à la retraite le plus tôt possible, le jour de ses 60 ans ! Il partit alors s’établir, avec son épouse Françoise, dans la campagne angevine, à Saint-Georges-des-Sept-Voies, où la maladie viendra le prendre six ans plus tard .

En parallèle, si l’on peut dire, Philippe laissa sa marque sur le bridge français de ces dernières années . Pour les lecteurs qui ignoreraient la difficulté du bridge de compétition, il suffit de rappeler qu’à la différence par exemple du poker, des échecs ou du go, le bridge est le seul jeu de l’esprit où les programmes informatiques n’arrivent toujours pas en 2019 à battre les meilleurs joueurs . Après avoir joué dans les compétitions régionales et nationales, notamment en paire avec son épouse qui est une excellente joueuse, Philippe se lança dans le grand bain international lorsqu’il atteignit l’âge des compétitions senior (fixé à 57 ans à cette époque) . Il sera alors très souvent sélectionné dans l’équipe de France et sera avec elle champion d’Eu- rope en 2007 et 2009, puis, la consécration, champion du monde en 2011 . Cette carrière fulgurante lui permit, sur le tard, de parcourir le monde, bien loin de son Nord qu’il quittait rarement : la plupart des pays européens, Shanghai, Bali, Venice Beach, Sao Paulo, ... Son partenaire en équipe de France, Patrick Grenthe (tiens, aussi un Lillois), qui sera longtemps président de la Fédération française de bridge, se souvient : « Un homme et un joueur d’exception avec lequel j’ai partagé 47 ans d’amitié et de bridge . Philippe Vanhoutte était un équipier modèle et un théoricien passionné » . De fait, Philippe n’était pas seulement un joueur exceptionnel mais aussi une sorte de phare pour ses coéquipiers qui recherchaient souvent son avis et qu’il accueillait toujours avec une grande gentillesse, la même qu’il avait montrée durant ses années d’École .

Une vie singulière où la morne rectitude de la carrière académique a côtoyé les réussites éclatantes du bridge, comme si l’une devait soutenir les autres .

Nous laissons son camarade Philippe Ratte (1969 l) conclure en nous donnant quelques clés possibles :

« De la 6e 7 à la math élém . 2 du lycée Faidherbe à Lille, Philippe Vanhoutte est le seul lycéen dont j’aie de part en part été le condisciple dans les mêmes classes successives . Nous entrâmes à l’École lors du même concours 1969... et ne nous y fréquentâmes jamais .

Non qu’il y eût là l’effet de la moindre antipathie, mais Philippe était un monde à lui tout seul, indifférent aux camaraderies de fait, et par là d’aspect un peu bourru . Sa passion était le bridge, elle filtrait ses relations, avec un niveau d’exigence très élevé sur ce plan . Je n’y jouais pas . Il en vécut, y devint même champion du monde senior dès sa retraite, prise dès que possible .

Retraite d’une retraite, au demeurant, puisque ce surdoué des mathématiques, auxquelles à peu près seules il devait la renommée de son parcours lycéen, remarqué comme quasi prodigieux lors de l’épreuve de physique d’entrée à l’École, avait choisi de se retirer d’emblée d’à peu près tout ce qui n’était pas le monde du bridge, et de mener une humble carrière de professeur en hypotaupe au lycée technique de Lille, sa ville natale – pas même au lycée Faidherbe . Parti de Lille, revenu à Lille, une carrière modeste lui convenait, destinée aurait-on dit à le débarrasser à moindre frais du souci de tenir un rôle dans le monde, ce à quoi il n’avait jamais semblé attacher la moindre importance, pourvu que sa virtuosité en maths lui valût crédit de tout le reste . Nous avions eu ensemble en classe de math élém . un merveilleux modèle de ce genre en la personne de monsieur Robert Poix, incomparable professeur de mathé- matique à qui suffisait le respect de ses élèves et la compagnie des amis avec lesquels il jouait jovialement chaque soir à la belote au bistrot d’en bas de chez lui . De même en khâgne, Fernand Deparis (1933 l), qui avait durant ses années d’École été un émule prometteur de sa condisciple Jacqueline David (madame de Romilly), tint-il toute sa vie la chaire de latin-grec . Y a-t-il là un syndrome lillois, illustré aussi bien par notre défunt camarade Facomprez (1969 l), de modestes surdoués, tirant leur fierté de leur modestie même, choisie comme un beau destin ? Philippe Vanhoutte était trop secret, dès la 6e, pour autoriser à son propos quelque diagnostic que ce soit, mais tel fut bien son destin public . À de tels choix, devenus rares, il confère par ce qu’il fit voir de ses dons exceptionnels dans ses domaines de prédilection, maths, physique, bridge, une réelle grandeur . »

Je remercie Françoise VANHOUTTE et Michel VOLCKER (1970 s) pour leur aide précieuse à la rédaction de cette notice .

Jérôme BRUN (1969 s)