VERRET Michel - 1948 l

VERRET (Michel), né le 6 novembre 1927 à Cambrai (Nord), décédé le 27 novembre 2017 à Nantes (Loire-Atlantique). – Promotion de 1948 l.


Michel Verret est mort à Nantes, où il était revenu à la fin de sa vie, riche en publications et en responsabilités univer- sitaires, après une première retraite à Paris. Signe tranquille de sa constance philosophique, ses cendres ont été disper- sées, selon son désir, dans le Jardin du souvenir au cimetière de l’Est (Père-Lachaise) à Paris . Jeune agrégé de philoso- phie, il s’était installé à Nantes dès 1953, et y a enseigné près de quarante ans . Il venait d’épouser Éliane Berenbaum, elle aussi militante communiste et psychologue, l’un et l’autre passionnément attentifs à l’éducation de leurs quatre enfants . Michel a d’abord été professeur au lycée Clemenceau, puis à l’université de cette ville, où il m’a succédé, en 1969, à la direction du département de sociologie qu’il a étoffé et associé à des enquêtes statistiques et ethnographiques, en créant le Laboratoire d’études et de recherches scientifiques sur la classe ouvrière – Lersco – reconnu comme laboratoire associé au Centre national de la recherche scientifique dès 1974 .

L’expérience de la génération intellectuelle née autour des années 1930 a été marquée – j’y appartiens aussi – par l’insatisfaction d’avoir manqué de peu les risques et l’éclat des combats de la Résistance ; d’où à la Libération, un regain d’énergie, comme pour effacer la grisaille des jours au temps de l’enfance sous l’Occupation, en se réinvestissant, pour les uns dans le renouveau théorique des sciences de l’Homme et la réouverture du monde à la communication scientifique, ou pour d’autres, dans l’espérance revi- gorée d’une Révolution ultime à venir . Issus de la victoire des Alliés sur le nazisme et les fascismes mondiaux, les choix politiques de Michel, comme ceux de beaucoup dans cette génération, surtout s’ils étaient philosophes, en ont été marqués durable- ment, pendant les crises de la guerre froide, comme, plus tard, lors des déchirures du bloc socialiste ou des transformations du capitalisme à mesure qu’il se transformait et se mondialisait . Son itinéraire philosophique a associé une rectitude intellectuelle et une ferveur militante sans concessions aux prudences de carrière . Entré aux Jeunesses Communistes à la Libération, puis au Parti Communiste Français dès 1945 avant même sa réussite au concours de l’École normale supérieure (1948), il abandonna, – « silen- cieusement » et sans regret –, le PC de Georges Marchais en 1988 .

Je l’ai croisé d’abord à mon entrée à l’ENS à l’automne 1950, quand je rejoignais ce même Parti qui rassemblait alors un bon quart des élèves de l’École tant litté- raires que scientifiques . Michel y était déjà une référence : il avait mis en place avec Lucien Sève (1945 l) et Louis Althusser (1939 l) retour de captivité, une cellule des élèves communistes distincte de celle des autres personnels . Il fut rédacteur en chef de Clarté l’organe des Jeunesses Communistes, après Annie Besse – plus tard Annie Kriegel, auteur d’Aux origines du Communisme français, 1914-1920 – dont il resta l’ami malgré leur rupture politique . Il participa à tous les combats intellectuels du Parti, au Comité de rédaction de La Nouvelle Critique (de 1958 à 1967), à laquelle il donna des articles rigoureux, pas toujours bien accueillis par l’appareil, notam- ment lors de la crise ouverte dans le Parti français par la publication du Rapport Khrouchtchev sur « le culte de la personnalité » .

Arrivant à Nantes en 1966, et m’étant moi-même éloigné de la philosophie pour m’investir dans les enquêtes empiriques en sociologie, j’ai voulu créer une section de sociologie dans cette faculté . J’ai retrouvé avec un grand plaisir personnel Michel, qui enseignait la philosophie dans les classes préparatoires du lycée de cette ville où son influence d’intellectuel marxiste sur les élèves était notoire – et redoutée par ses adversaires politiques locaux . Je pus cependant obtenir son recrutement comme assistant de sociologie à la rentrée universitaire de 1967 . Là, ont débuté nos échanges suivis sur les controverses scientifiques – par conversations nocturnes, vite étendues à ce qui nous intéressait alors tous deux – l’épistémologie des sciences sociales –, qui scella une amitié profonde, nourrie de la différence de nos engagements et itiné- raires personnels, inaltérable jusqu’à la mort . Le chercheur qui ouvrit le Lersco aux premiers doctorants étrangers – d’abord d’Afrique ou de Chine puis d’autres pays européens – avait proposé en 1968 dans ses articles une lecture remarquée de la révolte étudiante de Mai, – fort différente de celle d’Althusser avec qui, avant leur rupture franche (pour lui fort douloureuse), il avait entretenu une correspondance politique suivie . Nous en parlions souvent, ayant été l’un et l’autre fascinés par ce mentor philosophique . La crise de l’Université et de l’éducation en France, associée à la lecture de mes enquêtes avec Pierre Bourdieu (1951 l), lui inspirèrent d’abord Dialogues pédagogiques (1972) et, après sa thèse d’État, Le temps des études, 1976 . Michel Verret, désormais sociologue d’enquête, a su, dans ses trois livres1 consacrés à la sociologie de la classe ouvrière française, associer à sa sympathie personnelle pour la vie quotidienne de tous les hommes et femmes qui composent le « peuple », une culture marxiste élargie, en décrivant dans cette trilogie l’habitat, le travail et le mode de vie populaire avec ses goûts, ses loisirs et ses normes autonomes de juge- ment – un peu à la manière de The Uses of Literacy : Aspects of Working Class Life (1957), ouvrage marquant de Richard Hoggart, dont je venais en 1970 de terminer la traduction – et qui alimenta nos premiers échanges sur les différences entre le regard du sociologue et les certitudes du militant .

Retrouvant Paris peu avant sa retraite, Michel a été confronté à la mort d’Éliane, après celle de leur deuxième fils Jean-Michel . Il fut atteint sévèrement, mais surmonta cette épreuve en étendant sa curiosité de grand lecteur à d’autres civilisations et à l’écriture de textes d’un ton personnel où il revenait, en écrivain et en sociologue, sur les liens entre ses biographies superposées – personnelle, politique et philosophique . Retiré à Nantes ces dernières années auprès de sa compagne Anne-Lise Sérazin, il continuait à écrire et à publier méditations, souvenirs et poésies privées . Dans ces textes illuminés par la mélancolie souriante du grand âge et imprégnés de son goût pour la littérature et les arts de mondes lointains, transparaît l’homme privé, avec son ouverture chaleureuse à l’échange et son accueil de la diversité humaine .

Jean-Claude PASSERON (1950 l)

1 . Respectivement : L’espace ouvrier 1979, Le travail ouvrier 1982 et La culture ouvrière 1988 .

À compléter par Histoire d’une fidélité 1991 (Politix n° 34) .