YOCCOZ Jean - 1947 s

YOCCOZ (Jean), né le 1er février 1925 à Chambéry (Savoie), décédé le 30 décembre 2016 à Bures-sur-Yvette (Essonne). – Promotion de 1947 s.


Sa mère était valdôtaine, originaire d’Allein, du côté italien mais francophone des Alpes . Il fut adopté par une famille de paysans, les Mérendet, du hameau de Saint- Germain, commune de Séez . Il passa son enfance dans ce village de montagne savoyard, il allait d’abord à l’école de Séez, puis à la petite ville voisine de Bourg-Saint-Maurice, où il se rendait à pied . Il aimait à raconter qu’il avait été sauvé par le facteur qui l’avait réveillé alors qu’il s’était endormi au retour de l’école, lors d’une tempête de neige . Ce fut ensuite le lycée de Chambéry, puis la taupe à Lyon au lycée du Parc ; il fut reçu à l’ENS en 1947 comme moi .

Yoccoz tranchait sur plusieurs points de ses camarades de promotion : d’abord par son origine sociale, bien plus modeste que pour la plupart d’entre nous : il était un des produits de « l’ascenseur social », déjà rares à cette époque et encore plus aujourd’hui ; ensuite, par son allure, à la fois ours et sympathique ; enfin, par son obstination exceptionnelle au travail .

Je ne sais pas à quel moment il se décida pour des études de physique, et plus précisément de physique théorique . À l’époque, la première année universitaire était commune aux mathématiciens et aux physiciens : certificats de physique générale et de calcul différentiel et intégral . Le choix pouvait donc attendre la deuxième année . Les études de physique posaient quelques problèmes : la mécanique quantique, pour- tant vieille de vingt ans, était mal connue en France, donc peu enseignée (exception faite des cours de Louis de Broglie) . Il fallait aux physiciens l’apprendre par eux- mêmes, tout en suivant en même temps leur cursus universitaire . Par contraste, la situation des mathématiciens était bien meilleure : le directeur des maths à l’École était Henri Cartan (1923 s), un des piliers du groupe Bourbaki, à l’époque avant- garde des mathématiques . Après la licence et l’agrégation (qu’il passa en 1951), Yoccoz fut recruté au CNRS et entra au laboratoire de Frédéric Joliot-Curie ; je laisse la parole sur ce sujet à un de ses collègues de ce laboratoire, Pierre Radvanyi : « Notre directeur, Frédéric Joliot, voulait ainsi renforcer le petit groupe de théoriciens qu’il estimait indispensable dans notre laboratoire . À cette époque, l’enseignement de la mécanique quantique était quasiment inexistant à la Faculté des sciences de Paris . Avec une collègue, nous voulions quand même y comprendre quelque chose . Nous nous aperçûmes rapidement que l’aide d’un théoricien nous serait utile . Yoccoz accepta de nous aider à progresser . . . Au bout d’une année environ, Yoccoz partit à Birmingham pour travailler auprès de R . Peierls sur un nouveau modèle collectif du noyau qui eut un certain succès . »

Ce travail avec Peierls est à l’origine de sa thèse, soutenue en 1956 à Paris . Un peu avant (le 12 juin 1954), il s’était marié avec Denise Neugnot . De ce mariage naîtront trois garçons, Jean-Christophe (1975 s), Serge (1978 l) et Nigel-Gilles (1982 s) . Il faut dire quelques mots de l’aîné qui fit une très brillante carrière de mathématicien, consacrée aux systèmes dynamiques . Lauréat de la médaille Fields en 1994, il fut élu à l’Académie des sciences et au Collège de France . Sa carrière fut prématurément interrompue par sa mort en 2016 après plusieurs années de lutte contre la leucémie . Une notice qui lui sera consacrée en dira davantage .

Après sa thèse, Jean Yoccoz fut nommé à Strasbourg, en 1957 . J’y étais moi-même en poste depuis deux ans : bonne occasion de renouer et de développer une amitié datant des années d’École . Cela dura jusqu’en 1960, où je partis à Orsay . De son côté, Yoccoz resta à Strasbourg jusqu’en 1967, puis partit à Grenoble prendre la direction de l’Institut des sciences nucléaires nouvellement fondé . Je l’y rejoignis en 1969 : bonne occasion pour lui et sa famille de nous faire connaître Grenoble et de nous faire profiter de leurs loisirs, ski et ballades en montagne . Cette situation se prolongea jusqu’en 1975, où il retourna à Orsay prendre la direction de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS (en abrégé IN2P3) dont il était déjà directeur adjoint depuis sa création en 1971 . Avec Denise, il s’installa à Gif, puis à Bures-sur-Yvette ; je les voyais de temps en temps lors de voyages à Paris .

Je ne suis pas compétent pour juger de son activité à IN2P3 ; je peux seulement en parler d’après les témoignages qui figurent dans une brochure à sa mémoire, rédigée par ses collègues physiciens après sa mort . Les éloges unanimes qui s’y trouvent ne trompent pas . Tous vantent sa compétence, ses qualités d’organisateur et, surtout, sa qualité d’écoute . Je ne citerai qu’un témoignage, celui de Michel Paty : « J’ai toujours perçu en lui, sous l’écorce bourrue du “taiseux”, tassant le fourneau de sa pipe et gardant pour lui ses réflexions, la présence solide et entière d’un homme conscient de la responsabilité dont il est investi, sachant faire apprécier une situation et décider, tout en portant une attention bienveillante à ses collègues et collaborateurs . »

Après son départ de l’IN2P3 en 1983, il resta à Bures ; avec le temps, nos relations s’espacèrent ; mais j’avais toujours de ses nouvelles par Jean-Christophe, que j’avais l’occasion de voir dans des réunions de mathématiciens .

L’année 2016 aura été une année noire pour la famille Yoccoz : d’abord le décès de Denise, suivi de quelques mois par celui de Jean-Christophe, des suites de sa leucémie . Jean, que j’avais eu l’occasion de contacter alors, était extrêmement affecté par ces décès . À la suite d’une crise cardiaque, sa mort survint quelques mois après celle de son fils .

Bernard MALGRANGE (1947 s) avec l’aide de Nigel GILLES (1982 s) et Serge YOCCOZ (1978 l) 

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À la rentrée de 1947, nous nous sommes retrouvés à Ulm à six provinciaux dans une des austères thurnes du rez-de-chaussée (cf . la notice consacrée à Jacques-Louis Lions en 2003) : oblongue, avec une grande fenêtre donnant sur la rue Rataud, trois tables alignées de chaque côté, sur chaque mur latéral une planche pour ranger nos livres, une avant-thurne obscure avec un tableau noir . Par hasard, nous étions trois matheux et trois physiciens . Nous ignorions tout les uns des autres, sauf le rang d’en- trée auquel nous attachions, je crois, plus de prestige qu’aujourd’hui . Le matheux Lions, le physicien Yoccoz étaient classés juste après les « vedettes » parisiennes . Ils étaient tous deux des bûcheurs acharnés, ne séchant aucun cours en Sorbonne et le reste du temps silencieux et concentrés à leur table de travail . Dans les courtes récréa- tions qu’ils s’accordaient, Jacques Lyons était très expansif, Jean Yoccoz au contraire était assez secret . Il lui arrivait cependant de nous parler de la ferme familiale en Savoie, que sa mère (adoptive) devenue veuve tenait à bout de bras . Fière d’abord des succès scolaires de son fils, rêvant de le voir revenir au village comme instituteur, elle avait ressenti comme une trahison son irrémédiable éloignement .

En deuxième année, les voies des physiciens et des mathématiciens se séparaient . Mais les destins de Jean Yoccoz et de Jacques Lions devaient trouver plus tard un point de rencontre inattendu : chacun aurait un fils mathématicien, bien sûr norma- lien, et médaille Fields, et professeur au Collège de France . . .

J’ai retrouvé par la suite Jean Yoccoz à Orsay, puis au Comité d’évaluation créé par Laurent Schwartz (1934 s), dont il est devenu le vice-président . Je me souviens de ses regrets de ne pas avoir choisi la voie des mathématiques, tant les charges de directeur d’un grand laboratoire étaient chronophages .

Jean CERF (1947 s)