ZERNER Martin - 1952 s

ZERNER (Martin), né le 5 décembre 1932 à Vienne (Autriche), décédé le 9 décembre 2017 à Paris. – Promotion de 1952 s.


Martin est né le 5 décembre 1932 au sein d’une famille d’intellectuels juifs viennois . Son grand-père Theodor Zerner était médecin à Vienne, son père Friedrich Zerner (1895- 1951), mathématicien-physicien, collaborait au Handbuch der Physic, où il est l’auteur en 1927 de deux chapitres sur l’électromagnétisme . Sa mère, Élisabeth Zerner née Lazarsfeld, a exercé divers métiers et bien souvent, c’est elle qui assura le gagne-pain de la famille . Au moment du coup d’État de Dollfus (1934), le père de Martin était officier de la police municipale de Vienne, membre de la direction du

Schutzbund (ligue de défense républicaine), et fut arrêté à ce titre . Il semble alors avoir été victime d’une forme d’interdiction professionnelle et a fait de la consulta- tion internationale jusqu’à l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie) en 1938 . Il a ainsi été amené à travailler pour la « Société française d’études des brevets et procédés Coanda » . C’est à cette époque, durant l’été 1935, que Martin a été atteint par une épidémie de polio dont il a conservé d’importantes séquelles malgré les massages prodigués par son père . À l’Anschluss, F . Zerner a été arrêté, puis libéré sur l’intervention de ladite société auprès de l’ambassade de France, à condi- tion de quitter immédiatement le pays . Il quitte Vienne avec sa femme et son fils pour Paris, s’installe à Asnières et il est aussitôt recruté pour la recherche sur le déve- loppement de l’aviation à réaction . Un second fils naît le 15 mai 1939 à Paris, Henri .

Début septembre 1939, c’est la déclaration de guerre . Grâce à Henri qui a reçu la nationalité française à sa naissance, Friedrich Zerner n’est pas interné en tant que ressortissant d’un pays ennemi, mais il est réquisitionné . Martin est évacué avec les enfants de son école à Neung-sur-Beuvron en Sologne, où il est très malheureux et obtient d’en revenir au printemps suivant . En juin 1940, c’est la débâcle, Martin est à nouveau évacué avec son école, sa mère réussit à passer avec Henri en zone Sud et à gagner Montauban, à une adresse dont Martin a connaissance . Quand les enfants de l’école sont ramenés, en août, l’appartement d’Asnières est vide . Martin est pris en charge par une femme de ménage qui, ce faisant, le sauve de la déportation . Mais cela dura et Martin en garde les pires souvenirs . Sa mère réussit à le faire ramener par le mari de la concierge de l’immeuble où elle s’était réfugiée, ce dernier était en effet cheminot et avait la possibilité de traverser la ligne de démarcation . Élisabeth Zerner et ses deux fils rejoignent le père, réquisitionné comme travailleur agricole dans le village de Clarensac près de Nîmes . Ils vont y vivre dans des conditions matérielles difficiles mais ils ne sont pas isolés pour autant ; ils découvrent le milieu protestant, ils se font des amis ; par leur intermédiaire, ils se lient avec un commis- saire de police haut placé à Marseille, hostile à Pétain, qui les tient au courant de la dégradation de la situation politique et des dernières mesures contre les réfugiés . Début décembre 1942, de toute urgence il faut que les enfants quittent Clarensac et soient cachés ; Martin et Henri sont emmenés par une filière protestante, proche de la Cimade, dans la commune cévenole de Thoiras près de Saint-Jean-du-Gard, dans deux familles distinctes mais parentes . Le père et la mère rejoignent un réseau lyonnais de la Résistance dans les mois qui suivent .

Martin ne reverra ses parents que trois ans plus tard, à la Libération . Il s’est intégré parfaitement à la vie locale . De l’école primaire à Thoiras (à 3 km à pied, en galoches), il passe au cours complémentaire de Saint-Jean-du-Gard et prend en plus des leçons de latin . Il rejoint les Éclaireurs unionistes . Sur son dernier bulletin scolaire en 1945, le directeur déplore son prochain départ et écrit qu’il est « un excellent élève doué en français et particulièrement en mathématiques, un sujet d’avenir » ! Profondément marqué par ces années cévenoles, Martin garda un grand attachement pour la famille qui l’avait hébergé et hérita d’eux sa culture protestante, le goût de la campagne, il découvrit aussi le scoutisme auquel il resta lié jusqu’à son entrée à l’ENS . Tout ceci, mêlé à l’héritage culturel transmis par ses parents, lui conférera un humour bien à lui et un regard critique qui a frappé ses camarades normaliens .

Après la Libération, en 1945, Friedrich Zerner eut d’abord un contrat de recherche en aéronautique qui l’amena à Paris, où Martin rejoignit ses deux parents, qui trou- vèrent assez vite à se loger à Orsay et purent reprendre Henri avec eux . Martin fut inscrit en quatrième au lycée Lakanal à Sceaux – où, entre autres, il eut comme professeur d’histoire Marc Ferro qui l’enthousiasma . En 1948, F . Zerner obtint un poste de chercheur au CNRS à l’université de Marseille, au laboratoire de mécanique des fluides . Ils s’installèrent à Marseille, dans les conditions difficiles de l’après- guerre, la mère conservant un lien professionnel à Paris où elle occupait un poste de secrétaire, Martin entrant en seconde au lycée Thiers . Il y fut un élève brillant, en sciences et en lettres, tout naturellement inscrit ensuite en math sup . ; mais le père meurt en avril 1951 . Elisabeth Zerner, qui avait conservé son travail, revint s’instal- ler à Paris avec ses deux fils . Martin fut inscrit en math spé . au lycée Saint-Louis et réussit du premier coup le concours d’entrée à l’École .

Entré à l’ENS en 1952, sorti en 1956, Martin Zerner bénéficie d’une année supplé- mentaire à l’Institute for Advanced Study de Princeton . Après son séjour à Princeton, en octobre 1957, il se marie avec Monique Chardavoine, étudiante en histoire à la Sorbonne . De 1957 à 1963, il est attaché de recherche au CNRS, et soutient sa thèse sous la direction de Laurent Schwartz . À la rentrée 1962, il est nommé maître de conférence (ancien style) à la Faculté des sciences de Marseille et en 1966, il rejoint Alexandre Dieudonné à Nice où celui-ci s’entoure d’une équipe particulièrement dynamique (Adrien Douady, Louis Boutet de Monvel, Christian Houzel, André Martineau et plus tard Jean Cea et Pierre Grisvard), pour monter le Département de mathématiques . Martin y resta professeur jusqu’à sa retraite en 1995 . Il rejoint alors le Laboratoire d’histoire et philosophie REHSEIS à Paris . Son épouse, devenue élève de Georges Duby à Aix-en-Provence, l’avait suivi à Nice, où elle avait entamé une carrière d’historienne du Moyen Âge, et devint à son tour professeur en histoire médiévale à l’université de Nice . Ils ont eu trois filles, Sylvie, Hélène et Jeanne . Son frère Henri a reçu une formation d’histoire de l’Art sous la direction de Meyer Schapiro à New York et d’André Chastel à Paris . Il a enseigné à Brown University (1966-1973), puis à Harvard (1973-2015), où il est aujourd’hui professeur émérite .

Dans les Math Reviews, au nom de Martin Zerner, il n’y a que quarante-cinq titres (sans compter évidemment ceux de son homonyme également mathématicien, Martin P . W . Zerner, qui travaille à l’ETH Zurich) . Ceci tranche beaucoup avec l’inflation actuelle des publications . Il faudrait toutefois ajouter ses articles dans des ouvrages de vulgarisation ou d’enseignement (trois articles dans l’Encyclopedia Universalis et un autre dans « La Mathématique enseignée aux physiciens et aux chimistes ») ainsi que ses récentes contributions à l’histoire des mathématiques, qui n’apparaissent pas dans cette liste . En fait, sa production scientifique a été à peu près constante et peut se décrire comme ci-dessous .

Martin Zerner est donc l’un des dix-sept étudiants de Laurent Schwartz (dont Boutet de Monvel, Malgrange et Grothendieck !) pour une thèse sur la théorie des équations aux dérivées partielles (EDP) réalisée entre 1957 et 1963 à Paris dans le cadre de l’Institut Henri- Poincaré, à l’époque le seul endroit parisien où l’on faisait de la recherche en mathématiques .

Malgré la modestie des moyens matériels (en terme de bureau, de documen- tation etc .), ce fut une période très stimulante pour ce type de recherches . Avec l’introduction des distributions, Laurent Schwartz a réussi à rapprocher le point de vue visionnaire d’Hadamard (1884 s) sur les singularités des solutions d’équations hyperboliques et les méthodes de l’Analyse fonctionnelle, promues par le groupe Bourbaki . Les élèves de Schwartz se sont engouffrés avec enthousiasme dans cette brèche, avec Hörmander . Martin Zerner y a trouvé l’occasion d’y jouer un rôle essentiel . Mentionnons l’honneur d’avoir été choisi pour aller chez Hadamard et pour l’aider à finir les derniers chapitres de son livre entre 1958 et 1959 . Entre 1958 et 1969 il a réalisé dix articles sur le sujet où l’on trouve en particulier le premier résul- tat sur la propagation des singularités selon une bicaractéristique . C’est l’objet de sa thèse et Hörmander le cite comme précurseur de ses propres travaux . Il s’agit alors d’une étude dans le cadre analytique complétée par un article avec François Trèves . Cet ensemble de contributions lui vaudra en 1977 le prix Bordin de l’Académie des Sciences . Goro Kato et Daniele Struppa citent dans leur livre Fondamentals of Algebraic Microlocal Analysis, un théorème, essentiel pour la suite de la théorie, sur les valeurs au bord de fonctionnelles analytiques, attribué par Martineau à Malgrange et Zerner – et donc dit théorème de Malgrange-Zerner – sans que ni Malgrange ni Zerner l’aient publié . Ne pas se soucier de publier ses contributions est d’ailleurs un travers de la personnalité de Martin Zerner qui ne fera que s’amplifier au cours des années .

En 1960-1970 c’est aussi le démarrage en France d’une approche moderne des mathématiques appliquées (EDP), stimulée par l’apparition des calculateurs et les contributions visionnaires de Jacques-Louis Lions (1947 s) . Autant par goût que par idéologie (faire des mathématiques « utiles »), Martin Zerner s’est très tôt investi dans cette approche . Un des sujets de réflexion naturels est l’analyse de l’erreur faite en remplaçant des phénomènes continus décrits par des EDP par des phénomènes dépendant d’un nombre fini de variables . Pour Zerner c’est l’objet entre 1961 et 1972 de sept contributions . Ultérieurement, dans ce domaine, il aura encadré deux thèses de 3e cycle soutenues en septembre 1969, celle Abdelaziz Mostéfai et celle d’Amar El Kolli, et la thèse d’état d’Amar El Kolli soutenue en 1977 . Le sujet était déjà populaire dans l’école russe avec entre autres les contributions de Tihomirov (1955), Kolmogorov (1956) et Mitjagin (1963) sur ce qu’ils ont appelé l’epsilon entropie . Cela vaudra à Martin d’être invité à Moscou tout le mois de mai 1968 : un séjour que finalement il va écourter d’une bonne semaine, on devine pourquoi ! II restera ensuite en contact avec Arnold et Kolmogorov qui chercheront toujours à le rencon- trer lors de leurs visites en France .

Plus tard, sous l’influence de ses collaborateurs, souvent plus jeunes, et de ses étudiants, Martin a diversifié son approche des mathématiques appliquées . En 1976 nous avons eu la chance, Saïd Benachour et moi de bénéficier de la collaboration de Martin pour prouver des propagations de l’analyticité pour les solutions des équa- tions d’Euler de la mécanique des fluides . Par certains aspects et en espérant faire preuve d’objectivité, il me semble qu’il s’agit d’un travail qui a joué un rôle précur- seur (en particulier pour l’article fondamental de Beale, Kato et Majda) dans l’étude de régularité de ces solutions .

Avec son élève Abdelkader Intissar qui étudiait la théorie des pôles de Regge, Martin Zerner s’est intéressé à la théorie spectrale de semi-groupes possédant une propriété de positivité, donc en relation avec le théorème de Krein-Rutman publiant, entre 1981 et 1994, huit articles avec des applications variées allant de la physique théorique à la dynamique des populations .

Enfin on trouve aussi dans sa liste de publications des choses un peu plus exotiques comme un article avec Denise Chenais (1963 S) sur l’analyse numérique d’un problème d’élasticité motivé par un contrat avec un fabriquant de skis, ou avec M . Sylvain un des premiers articles sur l’existence (locale avant l’apparition de singu- larités) de solutions lipschitziennes de lois de conservation .

Martin n’a jamais été formellement membre d’un parti politique mais le militan- tisme a marqué toute sa carrière, et il n’a jamais renoncé au principe marxiste de la lutte des classes auquel s’ajoute naturellement le combat contre l’exploitation des anciennes colonies par les sociétés occidentales et jusqu’à la fin de sa vie il a participé activement au soutien des migrants et des sans-papiers .

Une des choses les plus remarquables dans cette quête de synthèse entre activité mathématique et militantisme me semble être son engagement pour l’Algérie . Bien sûr, il a participé sans réserve aux actions menées en France en faveur de la fin de la guerre et pour l’indépendance de l’Algérie . Ensuite il y a fait son premier séjour dans le cadre d’une des missions de coopération organisées en 1964 à l’université d’Alger par la première vague de coopérants militaires (j’ai eu la chance d’en faire partie avec en particulier Daniel Lehmann également ami proche de Martin et qui a suggéré son invitation) . Pour l’organisation de ces missions de mathématiciens nous avions bénéficié de l’appui de Rachid Touri nouveau directeur du Département de mathématiques et du service culturel de l’ambassade de France où officiait Stéphane Hessel . Touri et Mostefai, nouveau maître de conférence à Alger, rencontrent ensuite Zerner au Congrès international des mathématiciens à Moscou durant l’été 1966 et décident la mise en place d’un DEA de mathématiques à l’université d’Alger : il sera la cheville ouvrière de ce projet . L’enseignement est conjointement assuré par des jeunes Algériens de plus en plus nombreux au fur à mesure de leur formation, de nouveaux coopérants militaires comme Boutet de Monvel et Filippi, et d’enseignants français ou italiens (par exemple Geymonat, Grisvard, Malgrange) . Zerner stimule les participations, organise et harmonise les visites . L’expérience a duré jusqu’en 1978 . Elle a conduit à la réalisation de trois thèses d’État et d’une quinzaine de thèses de troisième cycle, certaines soutenues à Alger même, dont celles de Mostefai et El Kolli citées ci-dessus, les autres en France, le plus souvent à Nice . Elle est également illustrée par le projet dit « du cône d’eau » . L’Algérie est un pays pétrolier doté à son indépendance d’une Société nationale pour la recherche et l’exploitation pétrolière, la SONATRACH . Donc, pour participer à l’avenir du pays et contribuer à son indépendance vis-à-vis des grandes sociétés pétrolières « impérialistes », il convient que les étudiants contribuent à cette industrie . L’initiative en revient probablement à Giuseppe Geymonat . Dans le sol, il arrive que se produise une interface entre de l’eau et du pétrole, soit parce que l’eau était déjà là, soit parce qu’elle a été injectée pour pousser le pétrole vers le puits . Et bien sûr, il convient d’analyser cette interface pour éviter de pomper l’eau à la place du pétrole . Dans le contexte mathématique cela porte le nom de problème de Muskat et cela sera un des thèmes de recherche et de coopération avec l’industrie du groupe . L’ensemble de l’aventure est très bien décrit dans un article de Zerner et El Kolli (deux acteurs essentiels du projet) : « Une tentative de coopération indépendante : La formation d’une équipe de recherche en mathématiques à Alger (1966-78) », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs 9/2010 . Mais dans cet article on trouve une certaine amertume . Le projet « cône d’eau » ne semble pas avoir suscité un enthousiasme énorme de la part des ingénieurs de la SONATRACH . Ils étaient probablement plus tentés par l’utilisation de « services » offerts par les multinationales . L’ensemble des activités mathématiques à Alger a subi ensuite un ralentissement temporaire et a repris avec de nouveaux chercheurs .

Néanmoins la reconnaissance de l’équipe actuelle de mathématiciens algé- riens pour Martin reste très vive . À l’annonce de son décès, une journée d’étude initialement prévue sur les dérivées partielles à l’université d’Alger (USTHB) a été immédiatement transformée en hommage officiel à Martin Zerner, le mercredi 20 décembre 2017 . En trois points annoncés par le programme : 1) Martin, un ami de l’Algérie ; 2) le fondateur de la formation doctorale en mathématiques après l’indé- pendance ; 3) témoignages sur ce grand mathématicien et son humanisme .

Conscient du rôle des mathématiques dans notre société, Martin s’est impli- qué dans l’expérience des IREM (Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques), membre de la Commission inter-Irem « Épistémologie et histoire des mathématiques », participant aux colloques et donnant des conférences . À sa retraite en 1995, il est devenu membre associé du laboratoire de REHSEIS . Il y a été très actif . Il a codirigé une thèse sur la finance mathématique jusqu’à sa soutenance en 2010, à laquelle il a réussi à être présent, alors même que sa longue hospitalisation n’était pas tout à fait terminée . Et tant qu’il a pu se déplacer, jusqu’en 2015, il a suivi le Séminaire de recherche en histoire des sciences . Je cite ici un extrait du témoignage envoyé par Hélène Gispert du Groupe d’histoire et de diffusion des sciences d’Orsay (GHDSO) : « Martin a été un historien des mathématiques dont on peut toujours constater la modernité . Son apport dans cette façon de faire aujourd’hui une histoire sociale et culturelle des mathématiques, de leur contenu, de leur production, de leur transmission, est important et trop méconnu... Avec des conceptions marxistes de ce qui peut être objet d’histoire, il a été l’un des premiers à prendre à bras le corps l’histoire des mathématiques comme l’histoire d’une activité humaine, produite par des hommes inscrits dans un contexte social, culturel, institutionnel, mathématique particulier et a écrit un gros article (85 pages) le premier sinon un des premiers du genre, sur les traités d’analyse écrits au xIxe siècle . »

En guise de conclusion, j’ajoute quelques commentaires vraiment personnels . Dès les débuts de ma carrière, j’ai eu la chance de bénéficier de l’aide d’un fantastique réseau d’amis proches et excellents mathématiciens : Louis Boutet (1960 s), Charles Goulaouic (1958 s), Jean-Pierre Labesse (1963 s), Uriel Frisch (1959 s) . Mais celui à qui je dois le plus dans cette aventure est sans aucun doute Martin Zerner . C’est après notre rencontre à Alger que je suis entré dans le monde des EDP et des mathématiques appliquées . Ensuite nous avons constamment interagi . Notre collaboration avec Saïd Benachour sur l’analyticité des équations d’Euler a été une étape importante . J’ai eu aussi d’excellentes expériences lorsque durant mes années à Nice, j’ai partagé son enseignement . Enfin je considère que les textes de « vulgarisation » que nous avons écrits pour l’Encyclopedia Universalis sous la direction de l’éditeur de l’époque, Jean-Luc Verley (1957 s), ont été une vraie réussite et sont toujours d’actualité .

J’ai aussi partagé son enthousiasme pour la montagne avec de régulières escalades à Fontainebleau ou au Baou de Saint-Jeannet et je me souviens avec émotion d’une super traversée du Pelvoux avec Martin et Daniel Lehmann . Au-delà des choix scien- tifiques politiques et pédagogiques, Martin s’était construit un réseau de proches et même de très proches amis . Il avait intégré dans cette galaxie ses étudiants . Aussi bien les étudiants de maîtrise que ses thésards . Comme pour les contributions scien- tifiques, il y a peu de traces officielles de ces étudiants . Sur le Math Genealogy, on en trouve un seul ! Mais Martin en a eu bien plus . Beaucoup d’étudiants algériens dont Amar El Kolli . Et il a aidé beaucoup de jeunes sans être leur directeur de thèse, comme Guy Métivier ou Jacques Morgenstern (à l’époque il n’y avait pas à Nice beaucoup de seniors impliqués dans l’informatique théorique) . Dans ce rôle il faisait preuve de générosité scientifique et de chaleureuse amitié .

Mais par son indépendance, ses critiques et ses remarques sarcastiques, Martin Zerner a toutefois dérangé les notables de la recherche pure ou appliquée, qui ont eu tendance à l’ignorer . Dans la « Matheusie » – selon le terme proposé dans son article sur Joseph Bertrand – il n’y a heureusement pas de goulag, mais il y a des placards et on ne sait, ni bien gérer, ni encourager les individus un peu ou beau- coup atypiques, fussent-ils Roger Godement (1940 s), que cela ne semble pas avoir affecté, ou Alexandre Grothendieck . Jaloux de son indépendance, Martin ne semble pas avoir admis qu’il est (en paraphrasant La Fontaine) impossible d’avoir à la fois la liberté du loup et la soupe du chien . Il me semble qu’il en a souffert, malgré son humour constant, le recul que cela lui conférait et enfin l’accueil chaleureux que lui ont réservé les historiens des sciences .

Claude BARDOS (1960 s)
avec la collaboration de Monique ZERNER
 et d’Henri ZERNER